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Pratiques esclavagistes au Niger : des paysans sans terre, ces parias de notre temps [Par Mahamane Sabo Bachir, ANP]

Publié le jeudi 19 septembre 2024  |  Agence Nigerienne de Presse
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© Autre presse par DR
Pratiques esclavagistes au Niger : des paysans sans terre, ces parias de notre temps [Par Mahamane Sabo Bachir, ANP]
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Danki, une localité située à environ 20 km, à l’ouest de Niamey, dans la commune de Boubon, Région de Tillabéri apparaît comme un village ordinaire à première vue.

Une école de 6 classes, dont deux en matériaux définitifs et quatre en paillottes, sans murs de clôture, un forage d’eau équipé de solaire, une mosquée de vendredi, le tout offre un visage ‘’normal’’ à cette bourgade de près de 2000 âmes.

Cette image d’Épinal cache une réalité où se mêlent le non droit, l’injustice, l’exclusion, le trafic d’influence, la stigmatisation…

En effet, les habitants de ce village agricole sont privés du droit à la terre depuis 10 ans, une décision de justice les ayant déshérités pour leur supposée origine servile, un esclave ne disposant pas de propriété, selon la coutume dans certaines communautés au Niger.

Des habitants du village rapportent qu’un prince du canton de Boubon s’est présenté une année pour réclamer tous les 48 champs qu’ils exploitaient, arguant que le village a été créé par les anciens esclaves de ses grands-parents. Par conséquent, toute terre qui est en leur possession, lui appartient logiquement, car « l’esclave n’a pas de droit à la propriété ».

Depuis, la justice s’y est mêlée

En cette période préparatoire de la saison de pluie, les champs en litige du village sont en friche à la merci des herbes folles et des plantes invasives, aucune des parties ne pouvant les mettre en valeur.

Hassane Abdou, 72 ans, mari de deux épouses et père de 17 enfants, est à la tête de la chefferie traditionnelle du village depuis 2006.

Comme les 260 chefs de famille déshérités de leurs domaines agricoles, ce chef ‘’sans terre’’ vit cette situation comme une injustice.

« Nos grands parents sont venus du village de Boubon pour s’y installer depuis que l’esclavage a été aboli. Ils ont creusé un puits mis à l’eau au bout de 3 ans de travail, la nappe phréatique étant à 66 mètres. Ils étaient 9 chefs de famille. Ils ont élu un chef parmi eux, c’était mon grand-père.», relate le Chef du village.

Le plaignant a fait valoir que ‘’tout ce qui appartient à un esclave, revient de droit à son maître’’ et il a convaincu les juges qui nous ont dépossédés de nos terres », pointe le chef traditionnel, amer.

Après plusieurs procès devant les juridictions nationales, les habitants de Danki sont finalement privés des terres qu’ils exploitaient depuis des générations, alors que l’agriculture était leur principale source de revenu, tout comme les 85% des Nigériens.

Sans terre, ces ‘’intouchables’’ s’adonnent à d’autres petits métiers comme le ramassage de bois de chauffe et de la paille pour animaux qu’ils vendent principalement à Niamey ou ils louent leur force comme métayers dans les champs des villages voisins.

« Nous souffrons tous, ces dernières années. Nous arrivons à cultiver, mais dans des champs d’emprunt, qui sont très loin d’ici, alors qu’avant ce problème, je cultivais juste à la sortie du village », raconte avec nostalgie Ali Hamidou, l’Imam du village.

Outre l’exclusion économique liée à leur ‘’ascendance’’, les membres de cette communauté sont victimes de stigmatisation sociale.

«Nos enfants ne s’aventurent jamais à aller chercher en mariage dans d’autres villages par peur d’être humiliés. L’humiliation fait vraiment très mal. Les hommes et les femmes de notre communauté se marient entre eux », regrette une habitante de 50 ans.

Dans certains milieux de la société Zarma -Songhay très conservatrice, le mariage entre une personne considérée comme ‘’noble’’ et un descendant d’esclave n’est pas toléré.

La précarité de revenu, l’ignorance, le manque d’instruction, pendant longtemps les enfants étant privés du savoir, la stigmatisation, l’exclusion de sphère de décision, la collision entre les milieux esclavagistes et les appareils d’Etat sont autant de chaînes de perpétuation de l’esclavage, font savoir les victimes trouvées à Danki.

‘’Même maintenant nous sommes sous l’esclavage’’, se désole Ide Hamidou, un vieillard de 83 ans qui a vécu l’époque coloniale.

La catégorisation touche aussi le sacré : Ali Hamidou, Imam de la mosquée de Danki rapporte que ceux qui se considèrent comme nobles de la zone refusent de prier derrière une personne d’origine servile. De telles considérations sont contraires aux enseignements islamiques qui prônent la fraternité entre les coreligionnaires, fait remarquer l’uléma.

La situation du village de Danki fait écho à celle du village de Gouti-Koira, situé à 42 km à l’Est de Niamey, commune de Kouré, région de Tillabéri.

Les habitants de Gountou-Koira sont aussi dépossédés de leurs terres par la justice suite à la plainte d’autres citoyens, précisément des habitants d’un village voisin, qui estiment avoir le droit sur toutes leurs propriétés terriennes, font savoir les déshérités.

Selon ces derniers, les habitants de ce village voisin les considèrent comme leurs ‘’esclaves par ascendance’’.

« Nous n’avons aucun champ, ça fait 12 ans que nous ne cultivons plus. Car des gens nous accusent d’être leurs esclaves. Ce qui est un mensonge », se rebelle Yaya Garba, Chef du village de Gountou-Koira.

Selon lui, tout a commencé quand les habitants de son village ont cessé d’offrir une partie de leur récolte agricole aux habitants du village voisin, ce qui était une pratique établie depuis la création de son village. Avec l’abandon de cette tradition ayant traversé des générations, les habitants du village d’en face ont créé ce « stratagème », qui consiste à leur coller l’étiquette ‘’d’esclaves’’.

« Nous donnions une partie de nos récoltes, mais la génération actuelle des habitants de ce village pense que c’est un droit de propriété terrienne », poursuit Yaya Garba.

Dans la lutte pour leurs droits, les habitants des deux localités affirment bénéficier du soutien de certaines organisations dont Timidria, une ONG nigérienne de défense des droits de l'homme qui fait de la lutte contre l’esclavage au Niger son créneau.

L’association a porté le dossier devant la cour de justice de la CEDEAO, dont le Niger était membre – jusqu’à une date récente, selon Ibrahim Inaboutou, Secrétaire général de Timidria.

Après un procès, la Cour de justice communautaire a rendu une décision le 5 juillet 2023 dans laquelle elle reconnaît l’Etat du Niger comme coupable de plusieurs violations de droits des habitants du Danki et le « condamne (…) à verser la somme de 500.000 (cinq cents mille francs cfa) à chacun des deux cents soixante (26) chefs de famille vivant dans le village de Danki figurant sur la procuration ».

Mais à cause du changement politique intervenu dans le pays, depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 et l’annonce de la République du Niger de son retrait de la CEDEAO, la décision de la Cour communautaire peine à être appliquée par l’Etat du Niger, fait observer le responsable associatif.

Le cas de ces localités n’est que la partie visible de l’iceberg.

Selon Timidria, il y a encore 2204 personnes identifiées comme étant toujours en esclavage dans certaines localités d’Agadez (Région du Nord du pays).

« Après une enquête de 46 jours diligentée par notre association Timidria, nous avons répertorié 2204 cas d’esclavage dans des localités d’Agadez. Nous reconnaissons quand même que ce n’est pas très répandu comme dans certaines localités situées dans les régions de Tahoua ou de Tillabéri », informe la source.

Le président régional de Timidria d’Agadez Elhadji Bilal Afournounouk juge que « l’esclavage dans la région d’Agadez existe dans certaines poches seulement. Et c’est qui est curieux, même quand nous approchons ces personnes pour les aider à s’affranchir et défendre leurs droits, elles nous disent si nous quittons qui va nous nourrir ! C’est difficile, voyez-vous ! »

Selon l’indice mondial de l’esclavage « en 2018, il existait environ 133 000 personnes victimes d’esclavage au Niger, malgré les décisions de justice et les campagnes de sensibilisations menées aussi bien par les anciennes victimes de cette pratique que par certaines organisations de la société civile. Les descendants d’esclaves qui ne sont plus sous le contrôle direct de leur « maître » seraient toujours considérés comme « esclaves » par la société et feraient l’objet de stigmatisations et de discriminations de toutes sortes. »

Des structures telles que Timidria mènent la lutte sur plusieurs fronts : lobbying, sensibilisation et de soutiens en faveur des déshérités de ces deux localités.

Il s’agit des négociations pour un rachat négocié de ces terres, la création d’une école communautaire - qui n’existait pas au départ- et le fonçage d’un puits.

Le responsable de Timidria milite aussi pour un ‘’toilettage’’ des textes sur les pratiques esclavagistes au Niger, notant :‘’Il est inimaginable aujourd’hui qu’on rende des procès dans lesquels il y a une affaire de l’esclavage et que les autorités donnent raison à des prétendus maîtres d’esclaves. Ça, c’est vraiment une ambiguïté ».

Les reformes ont abouti à la loi 2003 qui criminalise l’esclavage mais nous allons essayer de capitaliser toutes les erreurs, tout ce que la jurisprudence nous a montré comme insuffisance. Nous avons fait des propositions légales qui soient les plus claires possibles », conclut le défenseur des droits humains.

MSB/CA/AS/ANP 076 septembre 2024
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