La filiale nigérienne du groupe français Orano, acteur majeur de l'exploitation de l'uranium, se voit contrainte de suspendre ses activités à partir du 31 octobre 2024. Cette décision fait suite à une situation "fortement dégradée" qui paralyse l'exportation du concentré d'uranium produit sur son site d'Arlit. Près de 1.050 tonnes de concentré d'uranium, produites depuis 2023, sont actuellement bloquées sur le site d'Arlit, dans le nord du Niger, en raison de la fermeture des frontières avec le Bénin, rendant l'exportation impossible et privant l'entreprise de près de 300 millions d'euros de revenus.Un conseil d'administration extraordinaire de la Société des mines de l'Aïr (Somaïr) devrait acter formellement la suspension dans les prochains jours.
Cette suspension représente un coup dur pour Somaïr, société contrôlée à 63,4% par Orano et à 36,6% par la société d'État nigérienne Sopamin. L’aggravation de ses difficultés financières rend impossible la poursuite de la production. "Les frontières avec le Bénin sont toujours fermées, rendant l'exportation impossible", a déclaré la porte-parole d'Orano. Les propositions d'alternatives, comme une exportation aérienne via la Namibie, n'ont reçu aucune réponse favorable, précipitant la décision.
"On est dans la contrainte, dans l'impossibilité de continuer", a déclaré la porte-parole, rappelant que le site avait déjà rencontré des difficultés par le passé, notamment lorsque la production avait été suspendue entre septembre 2023 et février 2024 en raison de l'incapacité à faire venir des intrants chimiques.
Passé le 31 octobre, "la maintenance se poursuivra, mais il n'y aura plus de production", a-t-elle ajouté, regrettant une situation "navrante" qui "s'impose à nous", malgré le fait que "le site fonctionne très bien". Elle a également souligné les conséquences "importantes, et notamment en premier lieu pour nos salariés et les sous-traitants".
Le site emploie au total environ "780 collaborateurs et autant de sous-traitants", dont "99% sont nigériens". Ces employés continueront d'être "rémunérés jusqu'au 31 décembre 2024", malgré la suspension de la production.
Une industrie en panne
La situation à Arlit reflète des tensions croissantes autour de l'exploitation des ressources naturelles au Niger. Le régime militaire, qui a fait de la souveraineté un de ses piliers, ne cache pas son intention de revoir en profondeur les accords avec les compagnies étrangères. Cette volonté de réforme s’est concrétisée en septembre dernier, lorsque le conseil des ministres a adopté un décret portant création d’une société d’État, la Timersoi National Uranium Company (TNUC), dans l’optique de mieux contrôler l’exploitation de l’uranium.
Le site d'Arlit, exploité depuis 1971, est la seule mine encore en activité par Orano au Niger. Mais avec la suspension de la production, ce sont 1.050 tonnes de concentré d'uranium, stockées depuis 2023, qui se retrouvent bloquées, privant le groupe de près de 300 millions d'euros de revenus. Cette matière première, cruciale pour l’alimentation des centrales nucléaires françaises, reste pour l'heure inaccessible.
Un impact social et économique préoccupant
Au-delà des enjeux financiers, la suspension de la production à Somaïr menace directement l'emploi des 780 collaborateurs et des 780 sous-traitants, pour la plupart Nigériens. Si leurs salaires sont garantis jusqu'à la fin de l'année 2024, l'incertitude demeure quant à leur avenir après cette date.
Le conseil d'administration extraordinaire de la Somaïr, prévu dans les jours à venir, devrait acter formellement la suspension des activités. Cette décision intervient dans un contexte financier déjà difficile pour Orano, dont les pertes au premier semestre 2024 s'élèvent à 133 millions d'euros, majoritairement attribuables aux difficultés rencontrées au Niger. Le retrait en juin dernier du permis d’exploitation d’Imouraren par les autorités nigériennes, ainsi que des dépréciations d’actifs liés à Somaïr, ont creusé davantage le déficit.
Des répercussions au-delà du Niger
L'uranium nigérien a toujours été stratégique pour la France, dont les centrales nucléaires dépendent largement de ce minerai. Malgré les difficultés actuelles, Orano se veut rassurant quant à l’approvisionnement de ses clients, grâce à la diversification de ses sources, notamment au Canada et au Kazakhstan.
Le Niger, riche en uranium, pourrait bien redéfinir les règles du jeu pour l’ensemble des compagnies minières étrangères présentes sur son sol. Pour Orano, cette suspension est une étape critique, marquant l'aboutissement de mois de négociations infructueuses avec le régime dirigé par le général de brigade Abdourahamane Tiani, Président du CNSP fermement décidé à redessiner le paysage économique du pays. Les conséquences de cette crise, tant sur le plan économique que social, risquent d'être lourdes pour toutes les parties impliquées.