Déjà confronté à d’autres défis, notamment la cherté de la matière première, le coût du transport, le secteur industriel nigérien doit aussi faire face au problème persistant d’une concurrence considérée comme déloyale des produits importés. Une situation entravant ainsi le développement des industries et entreprises locales de transformation dont certaines sont forcées de mettre la clé sous le paillasson, avec toutes les conséquences qui s’en suivent. Actuellement, celles qui subsistent encore continuent à se débattre espérant, comme bouée de sauvetage, une amélioration significative dans l’environnement national des affaires et surtout des mesures encourageantes de la part des autorités.
Le marché de Niamey est littéralement envahi par des produits importés. Et les affaires des entreprises locales en pâtissent. Un constat simple dans la ville en dit long sur cet état de fait. Les artères principales, les coins de rue et autres lieux de rassemblement sont pris d’assaut par des vendeurs de jus de toutes marques, d’eau minérale et plein d’autres articles vendus à des prix défiant toute concurrence. Ces commerçants viennent souvent de pays voisins avec leurs cargaisons de produits fabriqués chez eux. Selon les avis des commerçants nigériens, l’activité de ces vendeurs opérant souvent à la sauvette est hélas sans retombée économique palpable pour le Niger. Un manque à gagner énorme pour les populations et pour le fisc. Ces vendeurs errants n’ont aucune entreprise sur place, ni d’entrepôt. Ils ne font pas d’investissements ou ne louent pas de place dans le pays. Ce qui signifie qu’ils n’apportent pas de valeur fiscale.
L’entrée de grands et petits commerçants des pays voisins pour effectuer des ventes directes auprès des commerçants et consommateurs nigériens a pris une grande ampleur sans précédent ces dernières années. Ce qui réduit les chances de développement et de succès des entreprises installées au Niger qui, elles, s’acquittent de tous les droits légaux, emploient du personnel local. Cette situation a occasionné la fermeture de plusieurs unités industrielles spécialisées dans la production de boissons gazeuses, de produits hygiéniques, de textiles. C’est les cas de : la société Mahaba, Safi, Zahra, la Société des Brasseries et Boissons Gazeuses du Niger (BRANIGER), la Société des Produits Chimiques du Niger (SPCN), la Société des Textiles du Niger (SOTEX), etc.
Dans le contexte actuel du marché du Niger, l’offre de produits fabriqués localement est en nette diminution, laissant place à des importations massives. En effet, l’on constate ces derniers temps une raréfaction de certains produits locaux, pourtant de bonne qualité et sûrs comme les jus, les savons et les concentrés de tomate. Les entreprises qui résistent font face à une «concurrence déloyale» qui ne leur laisse aucune marge de manœuvre. Cela affaiblit petit à petit le tissu de l’économie nigérienne.
Vendu par casier de 12 bouteilles en raison de 2.000 francs CFA ou en détail à 200 francs CFA l’unité, le jus made in Niger est désormais de moins en moins acheté par le consommateur local, et même extérieur à cause de la différence sur les prix comparativement aux produits importés. Car, les jus importés sont vendus sur le marché à 1300 voire 1200 francs CFA le casier de 12 bouteilles. Cette différence de prix attire tout naturellement plus le consommateur qui délaisse jour après jour le produit fabriqué localement. Les entrepreneurs nigériens voient en cette concurrence qu’ils qualifient de « déloyale » une vraie menace pour leurs industries fabriquant les mêmes genres de produits.
La présence, surtout l’abondance des produits bon marché importés est une réalité prégnante à Niamey et plus encore dans les localités frontalières où il est pratiquement impossible de voir ne serait-ce qu’un seul produit nigérien dans les marchés ou autres places marchandes. Sur le boulevard du château 8, des boutiques sont remplies de boissons, d’eau minérale et d’autres produits de rafraîchissement dont la quasi-totalité est importée. Rencontrés sur leurs lieux de négoces, les boutiquiers s’en défendent expliquant que cette situation se vit indépendamment de leur volonté. « Le client est roi. C’est lui qui prend les décisions concernant ses désirs. Nous nous basons sur la demande des consommateurs pour commander les produits. Je vous prie de m’excuser, mais ils préfèrent les jus qui ne sont pas fabriqués au Niger », confie l’un d’entre eux. Ce que confirment des clients venus se ravitailler, qui ont tous demandé les jus importés en raison de la différence des prix.
Un peu plus loin, dans un autre quartier de la capitale, nous sommes en face d’une boutique pleine de divers produits dont essentiellement des jus importés. À notre arrivée dans le magasin, la responsable, méfiante, s’est éloignée laissant, un de ses employés nous accueillir. Après quelques échanges, elle finit par se montrer, tout en précisant que sa boutique ne se limitait pas uniquement aux produits importés. Bien qu’hésitante au début, elle a finalement répondu à nos questions, mais sous le couvert de l’anonymat. Cette situation s’explique, dit-elle, par le fait que les clients ont plus d’attrait pour les jus importés plutôt que les jus made in Niger. « Les clients apprécient plus les produits que nous ne produisons pas, parce que le prix et la qualité diffèrent. Ils se plaignent plus de la cherté des produits locaux. Souvent même, nous leur proposons nos jus nigériens, mais ils montrent leur réticence », explique-t-elle.
« Je ne comprends pas pourquoi les produits importés, malgré le passage de la frontière, sont moins onéreux que ceux fabriqués localement dans notre cher pays », s’interroge un client venu faire des achats avant de recommander aux commerçants nigériens de revoir leurs prix afin que le citoyen à faible revenu puisse acheter des produits locaux. « Il est important pour chacun de consommer ce qui est fabriqué dans son propre pays », reconnait ce consommateur.
Cherté des matières premières et difficultés de transport
Le secteur industriel nigérien ne subit pas seulement la concurrence. Mais il fait également face à des problèmes de coût de production. D’après les déclarations de Mme Boy Salaye Ayouba, responsable d’une usine de transformation des produits d’hygiène, la question de l’approvisionnement en matières premières pose un problème majeur pour l’ensemble des entrepreneurs, dans la mesure où au Niger, les industriels importent la quasi-totalité des matières premières.
« Avec les problèmes de l’embargo, tout est devenu encore plus compliqué. Avant, on prenait les produits au niveau de la Côte d’Ivoire. Avec nos rapports d’aujourd’hui, les matières premières sont devenues inaccessibles pour nous. Nous sommes obligés de nous tourner vers d’autres horizons qui ne sont pas dans la zone UEMOA », dit-elle. Mme Boy Salaye Ayouba confie qu’aujourd’hui les coûts des transports ont triplé et ceux des matières premières ont aussi augmenté considérablement. « Auparavant, avec 1 500 000 de francs CFA ou maximum 2 millions de francs CFA, on pouvait amener les stocks des produits. De nos jours, il faut débloquer jusqu’à 6 millions de francs CFA. C’est ce qui impacte beaucoup les coûts de la production. Elle est impactée également par le prix de l’électricité qui est très élevé, la main d’œuvre aussi, car on est obligé de faire appel à certaines compétences étrangères pour la réparation des machines qui tombent en panne. Il y a aussi la pression fiscale, la taxe immobilière, la taxe d’apprentissage, la taxe professionnelle sans compter l’ITC, vignette, etc. », mentionne-t-elle.
Les sociétés supportent un grand nombre de charges. Et le contexte actuel ne leur permet pas de gérer des coûts pour des produits, car ceux qui arrivent sur le marché sont plus compétitifs que ceux manufacturés sur place. C’est la raison pour laquelle, beaucoup de sociétés sont dans une certaine agonie et, conséquemment, le personnel est réduit ou licencié. « Avant ces problèmes, notre effectif s’élevait à 200 employés. Mais, maintenant, nous ne comptons que 100 personnes. Cela signifie que nous avons mis fin aux contrats de tous nos employés. Sur une période des 10 derniers mois, nous n’avons travaillé que 2 à 3 mois. Nous continuons à gérer ces charges liées aux ressources humaines et les fluctuations de l’effectif ainsi que les variations du chiffre d’affaires qui impactent considérablement notre rentabilité », fait remarquer Mme Boy Salaye.
« Jeter de l’argent par la fenêtre », c’est ainsi que décrit un investisseur fort de son expérience au Niger où la conjoncture défavorable affecte le bon déroulement de ses affaires. La concurrence influencée par de nombreux facteurs est totalement déloyale, notamment en raison des grandes disparités dans les coûts de transport des produits. « Ils ont des ports et nous supportons 10.000 dollars de plus en transport par conteneur », dénonce M. Mahamadou Abdou de la société Akakos, une unité de production de jus et d’eau minérale à Niamey. En plus de cette concurrence déloyale, les entreprises doivent gérer des charges additionnelles sur le coût élevé de l’électricité, de l’eau, les impôts, le carburant, etc.
« La vente frauduleuse des produits importés n’apporte rien au pays. Au contraire, ceux qui s’adonnent s’enrichissent, en apportant les bénéfices dans leurs pays tandis que les sociétés qui contribuent à développer le Niger sont confrontées à des problèmes dus à cette concurrence », se plaint-il.
Quid de la protection des industries de fabrication et de transformation nigériennes ?
Si les sociétés implantées au Niger venaient à disparaître, cela aurait un impact négatif sur le développement économique car, le pays souffrirait de la réduction des recettes liées à la douane, à l’électricité, à l’eau. Aussi, la perte des investisseurs conduirait à une augmentation du chômage des jeunes. C’est pourquoi, les promoteurs et chefs d’entreprises demandent à l’Etat de protéger les industries de fabrication et de transformation en adoptant une législation et l’établissement d’une nouvelle loi appelée ‘’loi sur la taxe de dumping’’ pour tous les produits et biens vendus au Niger à un prix inférieur à leur coût local. On parle de dumping lorsqu’une société vend un produit à un tarif plus bas à l’international que celui qu’elle pratique sur son propre marché, avec pour objectif de supprimer la concurrence dans le pays d’importation et de créer une position monopolistique.
Selon des responsables et chefs d’entreprises nigériennes, le gouvernement Burkinabè a adopté un décret portant institution de quotas d’enlèvement à l’importation des produits similaires fabriqués ou produit, au niveau national. Ce décret priorise la production nationale et la transformation industrielle des matières premières sur les produits d’importation. « Nous demandons aux autorités d’imposer la taxe de dumping sur les produits importés similaires à ceux fabriqués au Niger. Cette question n’imposera aucun fardeau à l’Etat ou au citoyen. Ce qui signifie qu’elle ne réduira pas les apports financiers, mais les augmentera en rétablissant l’activité de l’industrie locale en collectant ainsi davantage d’impôts et de douanes auprès des fabricants nationaux ou en augmentant les douanes sur les produits importés », suggère M. Mahamadou Abdou.
« Le consommateur doit être vigilant et examiner attentivement les produits qu’il choisit », conseille Mme Boy Salaye, car diverses matières comme certaines graisses peuvent être utilisées dans la fabrication du savon. « En raison de nos principes religieux, nous ne pouvons pas utiliser n’importe quelle graisse. De plus, tous les producteurs de savons importés ne fournissent pas des informations détaillées sur les ingrédients, se contentant souvent d’appâts publicitaires. En tant que musulmans, il est crucial de s’assurer de la qualité et de la composition des produits », ajoute-t-elle.
L’entrepreneure souligne qu’il est essentiel de protéger les producteurs nationaux afin de les aider à prospérer. Car cela ouvre des opportunités d’emploi pour les jeunes dans des sociétés florissantes. « Concernant le dédouanement, il est nécessaire de revoir la tarification, en particulier pour la redevance sur les produits chimiques. Je suis d’accord pour qu’une redevance soit imposée à ceux qui utilisent ces produits de manière néfaste pour la santé publique. Mais ceux qui achètent ces produits pour les utiliser dans la fabrication des kits d’hygiène ne devraient pas subir ces taxes », estime Mme Boy Salaye.