Dans une tribune récente, le Dr Amadou Boubacar Maïna, économiste des ressources naturelles, ancien consultant pour la CEDEAO et enseignant à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, a livré une analyse approfondie des relations entre la multinationale française Orano (ex-Areva) et la République du Niger. Selon lui, il est temps d’ouvrir un véritable débat sur les compensations économiques et écologiques que la France et son entreprise publique doivent à leur ancienne colonie.
Une exploitation fondée sur un déséquilibre postcolonial
Pour le Dr Maïna, les accords signés entre la France et le Niger dans les années 1970 ont été conclus dans un contexte de forte dépendance postcoloniale. « À cette époque, le Niger n’avait ni les compétences techniques, ni les leviers politiques nécessaires pour négocier d’égal à égal », rappelle-t-il. Résultat : Orano s’est assuré une position dominante dans les sociétés mixtes, a fixé des prix d’achat inférieurs au marché mondial, et a capté l’essentiel des bénéfices générés par l’uranium nigérien.
L’expert rappelle que cette situation a été documentée par la Cour des comptes française en 2012, qui soulignait déjà l’opacité des montages contractuels mis en place.
Une manne nucléaire pour la France, une misère persistante pour le Niger
Depuis un demi-siècle, environ 150 000 tonnes d’uranium ont été extraites du sous-sol nigérien. Cette ressource a couvert près de 20 % des besoins historiques d’EDF pour son parc nucléaire, assurant à la France un approvisionnement stratégique à bas coût. Dr Maïna souligne que cette rente a bénéficié à l’État français et à son complexe militaro-industriel, pendant que les villes minières nigériennes comme Arlit ou Akokan restaient sans eau potable, sans électricité et sans infrastructures sanitaires adéquates.
Le contraste est d’autant plus choquant que les revenus directs pour le Niger sont restés dérisoires. « En quarante ans, moins de 5 % des recettes générées par l’uranium ont bénéficié à notre économie », précise l’économiste, citant un rapport d’Oxfam de 2013.
Un passif environnemental accablant
Les conséquences environnementales de cette exploitation sont tout aussi préoccupantes. Le Dr Maïna dénonce l’héritage de 20 millions de tonnes de déchets radioactifs laissés à l’air libre par Orano. À cela s’ajoutent l’appauvrissement des nappes phréatiques, l’augmentation des maladies non prises en charge, et les déplacements de populations.
Pour lui, il est urgent de parler de compensation : « Ce n’est pas seulement une question économique, c’est aussi une exigence de justice environnementale et morale. »
Un tournant en 2023 et la quête de souveraineté
Les décisions des nouvelles autorités nigériennes depuis 2023, notamment la suspension des activités d’Orano à Imouraren, marquent selon l’expert un tournant majeur. Il salue « une volonté affirmée de rompre avec un modèle de prédation hérité de la Françafrique » et de réorienter la gestion des ressources vers plus de souveraineté.
Dr Maïna estime que le Niger est en droit de diversifier ses partenariats, notamment avec la Chine ou la Russie, et d’exiger une meilleure redistribution des revenus ainsi que le respect de normes environnementales strictes.
Des voies juridiques à explorer
L’économiste encourage le gouvernement nigérien à envisager des actions concrètes pour obtenir réparation. Il estime que plusieurs instruments juridiques, tant au niveau international qu’africain, peuvent être mobilisés. Le Niger pourrait saisir la Cour internationale de justice en cas de refus de négociation de la part de la France. Il est également possible de s’appuyer sur l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), qui offre une plateforme pour dénoncer publiquement les abus dans les contrats miniers. Le recours à l’arbitrage international, notamment par le biais du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), permettrait de contester certaines clauses jugées léonines dans les accords passés. Par ailleurs, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pourrait être sollicitée pour porter l’affaire sur le terrain des violations des droits environnementaux et économiques. Enfin, à l’échelle régionale, des institutions comme la CEDEAO, l’Union africaine ou encore l’OHADA pourraient soutenir le Niger dans la renégociation de contrats plus équitables face aux multinationales.
Le Dr Amadou Boubacar Maïna affirme avec force : « Le Niger a le droit de réclamer des compensations. Pas par esprit de revanche, mais au nom de la justice et du développement futur de notre nation. » Selon lui, cette compensation devrait servir de base à un redressement économique et social durable.
À l’heure où le Niger affirme son autonomie stratégique, la reconnaissance des torts du passé et la mise en œuvre d’une compensation concrète sont devenues un impératif pour tourner la page d’un demi-siècle de spoliation.
Par Coulibaly Mamadou