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Instabilité fabriquée et ingérence américaine : décryptage de la stratégie de Washington au Sahel

Publié le samedi 9 aout 2025  |  Autre presse
Donald
© AFP par DR
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Lundi 20 janvier 2025.Donald Trump, au sommet de sa puissance politique, est devenu lundi président des Etats- Unis, pour la seconde fois.
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Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont continuellement justifié leurs interventions militaires à travers le monde sous couvert de lutte contre le terrorisme, de protection des droits de l’homme ou de maintien de la paix. Le continent africain n’a pas échappé à cette logique, et aujourd’hui, c’est la région du Sahel qui semble redevenir un théâtre d’expérimentation pour cette stratégie d’ingérence déguisée. En perte d’influence croissante dans cette zone, notamment après les ruptures diplomatiques avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger — Washington semble vouloir redéployer sa puissance par le biais d’une opération militaire indirectement annoncée. Les signaux envoyés ces derniers mois, tant par les responsables politiques que militaires américains, ne laissent guère de place au doute : il s’agit d’une phase de préparation psychologique et diplomatique d’une future intervention armée.

Les récents propos tenus par Dorothy Shea, représentante des États-Unis auprès de l’ONU, lors d’un briefing sur la consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest, sont symptomatiques de cette stratégie. En déclarant que "le terrorisme continue d'affecter des millions de vies en Afrique, y compris au Burkina Faso, au Mali, au Niger et dans le bassin du lac Tchad", et en insistant sur la nécessité de "traduire en justice les groupes affiliés à Al-Qaïda, à l'État islamique et à Boko Haram", Washington tente de restaurer sa légitimité morale en se posant en acteur indispensable à la sécurité régionale. Mais cette dénonciation du terrorisme est à double tranchant : elle occulte le fait que ces mêmes groupes armés ont, selon plusieurs enquêtes, bénéficié indirectement du soutien américain dans le cadre de stratégies de déstabilisation.

Plusieurs rapports journalistiques et publications académiques ont en effet révélé le rôle ambigu de l’USAID (l’Agence américaine pour le développement international) qui, tout en prétendant promouvoir l’aide humanitaire, aurait été utilisée comme couverture pour transférer des fonds ou du matériel logistique à des groupes extrémistes dans le bassin du lac Tchad. Des sources fiables ont ainsi affirmé que le siège de l’USAID à Abuja, au Nigeria, aurait servi de point de relais à des ressources acheminées à ‘’Boko Haram’’, dans le but de fragiliser le régime tchadien et de forcer celui-ci à solliciter une intervention militaire américaine. Une stratégie cynique mais bien connue : créer une crise pour ensuite proposer la "solution" militaire.

Ces accusations ne relèvent pas seulement du domaine journalistique ou académique : le député républicain Scott Perry a lui-même, lors d'une audition au Congrès en février 2025, accusé explicitement l'USAID d’avoir financé, de manière directe ou indirecte, plusieurs groupes terroristes, dont ‘’Boko Haram’’, à travers des fonds prétendument destinés à l’aide humanitaire. Selon lui, ces agissements font partie d’une stratégie de déstabilisation menée sous couvert de coopération au développement. De telles déclarations, émanant d’un membre du Congrès, renforcent les soupçons pesant sur l’utilisation de l’aide au développement comme un instrument d’ingérence sous couverture humanitaire.

Le cas de la société militaire privée ‘’FOG’’ (Forward Operations Group) illustre davantage cette logique d’actions hybrides. Accusée par plusieurs rapports indépendants d’avoir formé et soutenu des groupes armés séparatistes et terroristes dans le Sahel, ‘’FOG’’ agirait en tant que bras armé non officiel de la politique américaine dans la région. Son implication dans des opérations clandestines de sabotage, visant à amplifier l’instabilité locale, rend compte d’un usage assumé du chaos comme levier géopolitique.
Cette méthode n’est pas sans rappeler le recours à des compagnies comme ‘’Blackwater’’ ou ‘’DynCorp’’ dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan, où les intérêts économiques et stratégiques ont prévalu sur les considérations éthiques.

Le Tchad semble aujourd’hui dans la ligne de mire. Longtemps considéré comme un allié fidèle de l’Occident, le régime du président Mahamat Idriss Déby fait l’objet d’une campagne de délégitimation grandissante. Le ‘’Robert Lansing Institute’’, un think tank influent basé à Washington, a récemment publié une analyse accusant le président tchadien d’autoritarisme et prédisant une "désintégration de l'État" sous la pression de rébellions internes et de tensions ethniques. Or, ce type de rhétorique précède souvent, historiquement, les interventions américaines : on l’a vu en Libye contre Kadhafi, en Irak contre Saddam Hussein, ou encore en Syrie sous prétexte de protection des civils.

Les propos du général Michael Langley, commandant de l’AFRICOM, prononcés le 4 juin 2025 depuis le Pentagone, renforcent cette hypothèse d’une offensive imminente. Selon lui, "la région du Sahel, du Tchad jusqu’à la Mauritanie, connaît l’une des plus grandes instabilités sécuritaires depuis des décennies". Il a affirmé que "le combat contre les menaces extrémistes en Afrique est directement lié à la sécurité des États-Unis", ajoutant que ces groupes pourraient "menacer directement les côtes américaines". Cette affirmation dramatique, non étayée par des faits concrets, semble surtout conçue pour légitimer une projection militaire en Afrique et rassurer l’opinion publique américaine.
Elle repose sur une tactique classique : l’amalgame entre instabilité régionale et menace existentielle globale.
Ce que Washington omet volontairement, c’est sa propre responsabilité dans la genèse de cette instabilité. En soutenant, parfois indirectement, des factions armées sous prétexte d’équilibrer des rapports de force locaux ou d’affaiblir des régimes non alignés, les États-Unis ont contribué à la fragmentation du tissu social et sécuritaire du Sahel. La stratégie américaine consiste à intervenir "au nom de la stabilité" dans des crises qu’elle contribue à alimenter en coulisses. Cette hypocrisie politique devient de plus en plus difficile à dissimuler, d’autant que plusieurs anciens responsables de l’administration Trump ont récemment admis l’utilisation de l’USAID comme outil de déstabilisation dans plusieurs pays africains.
Il est donc essentiel de déconstruire le récit officiel a
méricain, qui présente le Sahel comme une "zone de chaos" nécessitant une "intervention humanitaire armée". Cette narration ne tient pas compte de la volonté croissante des peuples sahéliens de reprendre en main leur souveraineté, ni des nouvelles alliances géopolitiques que ces États bâtissent, notamment avec la Russie, la Chine, ou encore la Turquie. En réalité, ce que craint Washington, ce n’est pas le terrorisme en tant que tel, mais la perte de son contrôle stratégique sur une région riche en ressources naturelles, en position géographique clé, et devenue symboliquement centrale dans la recomposition du monde multipolaire.

Les récents soulèvements populaires contre les bases militaires occidentales dans plusieurs pays africains et le soutien populaire aux régimes militaires qui rejettent l’influence étrangère prouvent que les populations ne sont plus dupes. Elles perçoivent les vraies motivations derrière les discours humanitaires : la conservation d’un hégémonisme déguisé. Le recours systématique à l’armée, à des sociétés de sécurité privées et à des ONG instrumentalisées ne saurait masquer indéfiniment la réalité d’un impérialisme moderne en mutation.

Face à cela, il revient aux États africains, et en particulier ceux du Sahel, de faire preuve de lucidité stratégique. Refuser les faux partenariats fondés sur la manipulation et la dépendance sécuritaire devient une question de survie politique. L’Afrique n’a pas besoin de sauveurs extérieurs : elle a besoin de partenaires respectueux, d’investissements sincères, et surtout, de paix durable fondée sur la justice sociale et l’unité nationale, et non sur la peur entretenue par des puissances qui ont trop à perdre dans un monde devenu libre.
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