Dans cette seconde note de blog consacré au Niger, Laurent Touchard revient sur l'Histoire mouvementée du pays, depusis son indépendance en 1960.
* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Sans entrer dans le détail de l'Histoire mouvementée du Niger depuis son indépendance le 3 août 1960, il est impossible de passer sous silence la longue gestation de la démocratie dans le pays car les militaires y sont étroitement liés. Un interminable accouchement tout au long duquel se succèdent les coups d'État et les règnes irresponsables de despotes peu éclairés. Ces putschs et "révolutions de palais" ne doivent pas uniquement au sens du devoir des uns et des autres, mais d'abord aux rivalités et à la soif du pouvoir. Aussi bien de militaires que de civils.
Durant des décennies, au fil de ces atteintes à la démocratie, les libertés sont souvent bafouées, les arrestations arbitraires sont monnaie courante... Pour ne rien arranger, le pays connaît deux insurrections nomades (pas uniquement touarègues) : en 1990 et en 2007. Celle de 1990 est latente depuis environ cinq ans quand elle explose finalement, en mai 1990, avec l'attaque du poste des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de Tchin Tabaradene. Les représailles sont meurtrières : plusieurs centaines de nomades sont victimes d'exactions. Les hostilités prennent fin entre 1995 et 1998, mais elles ont laissé des blessures profondes dans les sociétés du Nord.
Durant les années qui suivent, les ex-rebelles estiment que les engagements pris par les autorités ne sont pas respectés. Ils se considèrent lésés : selon eux, ils ne reçoivent pas les bénéfices promis de l'extraction de l'uranium, ressource naturelle principale du Niger. L'insurrection se réveille alors entre le printemps et l'été 2007. Une fois encore, les violences s'accompagnent de leur cortège de crimes commis par tous les protagonistes. Les FDS mènent une guerre impitoyable aux nomades. Les civils doivent fuir dans le désert, en proie à la soif et à la faim. Les chameaux sont abattus, les troupeaux massacrés. Militaires et paramilitaires paient aussi un lourd tribut : en 2008, officieusement, plus de 160 d'entre eux ont été tués. Les nomades posent des mines qui tuent aveuglément.
« La révolte touarègue au Nord-Mali n'a pas d'effet direct sur les communautés nomades du Niger qui sont lasses de la guerre.
Finalement, grâce à la médiation de la Libye, la rébellion s'assoupit en 2009. Les populations, qui ont beaucoup souffert, sont désormais lasses de la guerre. C'est une des raisons qui explique qu'en 2012, la révolte touarègue au Nord-Mali n'a pas d'effet direct sur les communautés nomades du Niger. La plupart des membres de celles-ci estiment que le recours aux armes est seulement synonyme de mort, de destructions et de misère. Sentiment que renforce la peur des FDS, héritage des exactions du passé.
Nouvelle Constitution
Le 25 novembre 2010, une énième Constitution est promulguée. C'est l'avènement de la VIIe République (sept en cinquante ans !). République qui doit, paradoxalement, son existence à un coup d'État militaire. Le 18 février 2010, Salou Djibo, à la tête de la compagnie de commandement d'appui et de soutien de Niamey, renverse le Président Mamadou Tandja. Élu en 1999, reconduit dans ses fonctions en 2004, Tandja manœuvre politiquement afin de prolonger de trois ans son mandat et d'être autorisé à en briguer un nouveau. Ce, alors que la Constitution en vigueur ne le lui permet pas.
Le putsch qui survient – le quatrième de l'Histoire du Niger - sauve la démocratie. Ses auteurs donnent rapidement des gages de bonne volonté, plébiscités par un grand nombre de citoyens. Un Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) est mis en place afin d'assurer la transition. Des élections sont organisées. Le 12 mars 2011, au second tour du scrutin, Mahamadou Issoufou est élu chef de l'État.
Son investiture se déroule un peu moins d'un mois plus tard, le 07 avril 2011. L'action des militaires est contestable ; néanmoins, elle survient dans un contexte où celui censé être l'expression de la démocratie – en l'occurrence, le chef d'État élu - ne respecte pas la règle du jeu ; à savoir, la Constitution. Toute proportion gardée, le parallèle peut être établi avec l'attitude de l'armée lors de la Révolution des jasmins en Tunisie. L'armée refuse de tirer sur les manifestants permettant ainsi au changement politique de s'opérer.
Un présent apaisé ?
Il n'en reste pas moins qu'en Tunisie, le changement n'a pas été amené par l'armée. La nuance est importante... Cet atavisme du putsch, il faudra des décennies avant d'avoir l'assurance que les FDS de la VIIe République n'en sont plus malades. Or, rien n'est définitivement gagné : ainsi, une tentative de coup d'État échoue dans la nuit du 12 au 13 juillet 2011. Si elle est à l'évidence mal préparée, l'intention est là. Mahamadou Issoufou n'occupe alors ses fonctions que depuis quelques semaines !
« Les FDS de la VIIe République paraissent enfin apaisées.
Actuellement, les FDS de la VIIe République paraissent enfin apaisées. La Constitution de 2010 semble bien bâtie, susceptible d'être auto-protégée contre toute crise institutionnelle. À condition toutefois que ceux qui en jouent la partition sachent en lire les notes... Par ailleurs, le Président Issoufou, malgré des erreurs, s'impose comme digne de la fonction qu'il occupe, incontestable chef des armées.
Ces dernières bénéficient de la professionnalisation croissante des effectifs qui favorise cet état d'esprit. Les programmes de coopération militaire et de formation initiés par les États-Unis et la France n'y sont pas pour rien. Dans le même temps, se réduit le fossé qui s'était créé durant cinquante ans entre les FDS et les citoyens.
Pour cela, tout un travail de "réconciliation" est mené. L'accent est mis sur les relations publiques (un musée des armées est créé en juin 2013), la promotion des militaires est faite au travers leur rôle social... Les forces de sécurité apprennent a priori à être une institution au service de l'État et de tous les Nigériens.
Ou... un avenir asthmatique ?
Néanmoins, tout n'est pas parfait, en particulier entre l'institution militaire et les communautés nomades. Certes, les membres de ces communautés peuvent exercer des responsabilités politiques. Les initiatives se multiplient pour encourager les études et la perspective de carrière administratives civiles intéressantes grâce à l'école et à l'université (plutôt que grâce au fusil d'assaut et à la rébellion). Mais, au sein des Forces armées nigériennes (FAN), les choses évoluent difficilement.
L'avancement des cadres nomades est plus lent. De plus, les désertions de nomades survenues au sein de l'armée malienne début 2012 incitent les FAN à se méfier de ceux qui servent dans ses rangs. Ce désenchantement des soldats nomades fait écho à celui de leurs communautés d'appartenance qui se désespèrent de ne pas beaucoup profiter d'un développement économique pourtant promis.
En outre, la présence de plus en plus importante de troupes étrangères n'est pas vécue de manière égale par tous les personnels des FDS. Il est vrai qu'une majorité d'entre eux apprécient les équipements obtenus grâce à Paris et à Washington. Ils apprécient l'appui considérable que représentent les vecteurs ISR basés à Niamey, permettant de déjouer les infiltrations des terrobandits.
Les services de renseignement ont une bonne coopération inter-étatique, tandis que les rapports sont cordiaux entre les conseillers militaires (Américains ou Français) et leurs "élèves" des FDS. Enfin, ils apprécient ce qu'ils gagnent en professionnalisme. De plus la plupart des cadres n'ignorent pas la responsabilité qui pèse sur eux : défendre la paix dans le pays face à une multitude de dangers. Ils savent que l'idée d'engranger suffisamment de succès dans la durée contre les terrobandits, pour parvenir à long terme à les éradiquer, est illusoire sans les États-Unis et sans la France.
Pourtant, en dépit des dénégations du ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, Massoudou Hassoumi, certains officiers, sous-officiers et soldats se montrent critiques à l'encontre de la politique de défense du Président Issoufou. Ils estiment que celui-ci ne fait pas assez confiance aux FDS. Selon eux, le dirigeant sous-traite la protection du pays aux étrangers, toujours plus nombreux. Ils arguent qu'avec ce choix, le chef d'État bafoue la souveraineté du pays.
À cette réprobation de la politique de sécurité s'ajoutent une crispation de la vie politico-sociale : accusations d'incitation à la haine ethnique portée contre Massoudou, interpellations de journalistes et d'opposants en janvier 2014 (libérés depuis), tirs contre la résidence du Président de l'Assemblée nationale (qui lui-même dénonce la politique de sécurité et de coopération du Président de la République).
La sédition, cette maladie chronique des FDS.
Si ce murmure n'est que le fait d'une minorité des FDS, c'est une erreur de nier ou d'ignorer son existence. Cela ne peut que renforcer les arguments de ceux qui en sont la cause. Surtout que leur murmure est entendu par beaucoup de citoyens.
Nous l'avons évoqué : dans un pays où règne la misère, l'augmentation sensible des dépenses de défense aux dépends de l'éducation tandis que le développement économique tarde à se matérialiser, n'est pas nécessairement bien perçue.
De murmure, il devient bruit. Bruit susceptible d'encourager quelques esprits aventureux à la sédition, cette maladie chronique des FDS. Rappelons qu'entre 1992 et 2002, pas moins de huit mutineries militaires ont eu lieu. Celle de 2002 se termine au prix de 8 morts et 253 arrestations... Rappelons également le coup d'état avorté de juillet 2011...
Un peu d'asthme mal traité peut avoir des conséquences catastrophiques. Aujourd'hui, le Niger toussote. À chaque fois que cela se produit, les FDS sont contaminées. Dès lors, les deux années qui conduisent à l'élection présidentielle de 2016 feront office de test quant à l'attitude de l'armée et des forces de sécurité...