La Banque internationale pour l’Afrique (BIA Niger), l’une des institutions bancaires les plus vieilles du pays, a fait les frais d’une gestion calamiteuse, entre 2006 et 2011, d’une poignée d’anciens membres de son conseil d’administration. Un véritable pillage organisé qui place la BIA Niger sous haute tension de trésorerie financière.
C’est l’un des plus gros scandales bancaires de l’espace Uemoa ces trente dernières années où se côtoient trafic d’influence, arrogance, extorsion de fonds, affairisme ambiant de tout acabit, privilèges ostentatoires oligarchiques.
Comment une poignée d’anciens membres du conseil d’administration ont pu livrer sans scrupule, en pièces détachées, la banque aux nouvelles autorités ? Quid des prêts faramineux contractés et jusque-là non remboursés ? Les Afriques qui a compulsé le volumineux rapport (90 pages) du cabinet d’audit Mazars Sénégal livre les dessous de ce Madoff à la nigérienne ! Enquête explosive !
Un Madoff à plusieurs têtes
Sur la place bancaire nigérienne, l’affaire BIA (Banque internationale pour l’Afrique, détenue à 35% par la Belgolaise avant son rachat par le géant burkinabé, Coris Banque, lequel, abusé, a jeté l’éponge, puis la refila à l’état nigérien), est assurément l’un des scandales les plus insoupçonnés du marché bancaire de la zone Uemoa. Un hara-kiri au postulat ostentatoire et dévastateur sur les berges du fleuve Niger et dont les tentacules continuent à se propager.
Incroyable, mais vrai ! Tout y passe, trafic d’influence, position abusive d’une poignée d’actionnaires qui tirent les ficelles tous azimuts et qui font la pluie et le beau temps, prêts faramineux non remboursés sans sourciller, c’est un pan de l’oligarchie de l’establishment politico-affairiste qui a exercé la terreur sur l’institution bancaire mise à nu par les conclusions du diagnostic de la gestion des risques de la BIA Niger (de 2006 à 2011) rapportées par le très sérieux cabinet d’audit Mazars Sénégal. Un rapport définitif lourd (90 pages), daté du 27 septembre 2012 et dont Les Afriques a une copie, en exclusivité, qui a passé au crible les différentes étapes de la gestion des engagements de la banque sur la période 2006-2011. Les Afriques, qui suit de très près le dossier BIA, après nos révélations sur les tentatives de rachat avortées du marocain Attijariwafa bank et de la position de la major française BNP Paribas, qui soufflait le chaud et le froid, a démêlé l’écheveau de ce que l’on pourrait appeler le scandale de la BIA. Tout n’avait pas été dit sur ce qui se cachait derrière ce mammouth bancaire de la place de Niamey. Le secret bancaire avait permis aux principaux intervenants du tour de table de la BIA Niger de ne pas faire sauter le verrou. Malgré qu’ils se regardaient en chiens de faïence, le climat étant devenu délétère, l’égo des uns et des autres se voulait de sauver les meubles de ce fleuron bancaire du pays. Sens dessus dessous, la BIA Niger était mise en coupe réglée de 2006 à 2011 par une frange d’anciens membres de son CA (conseil d’administration) qui ont précipité le naufrage de l’établissement bancaire. Le plus incongru est que le gaspillage outrancier s’est effectué sans le moindre accord du conseil d’administration, lequel aurait laissé faire jusqu’à l’abysse. Ce qui semble étonnant pour l’auditeur qui confirme l’excès liberticide dans la gestion des deniers de la banque par une poignée d’actionnaires intouchables.
Un portefeuille en eau de boudin
Livrée à un pillage organisé, aux appétits boulimiques, la qualité du portefeuille s’est dégradée avec une rapidité exponentielle. Le rapport du cabinet Mazars étaye son diagnostic sur l’évolution du portefeuille de crédits de la BIA Niger au cours de ces six dernières années. Les chiffres sont hallucinants. Avec une valeur brute du portefeuille de 48 milliards à 94 milliards (comprenant créances impayées et immobilisées, passées de 1 milliard à 6 milliards de f CFA et créances douteuses et litigieuses (6 milliards à 20 milliards) et des provisions en créances en souffrance de 4 milliards à 16 milliards), la BIA Niger a battu le record d’un passif chronique, orchestré par un affairisme ambiant dont le jeu favori est l’extorsion de fonds. Le rapport Mazars indique que la valeur nette du portefeuille est estimée à 78 milliards de f CFA, avec un taux de provision de 60,06%, un taux de dégradation du portefeuille oscillant à plus de 28,93% et non des moindres un taux de recouvrement arrêté à 0,95%.
Au 31 décembre 2011, la valeur brute du portefeuille est de 94 861 millions de f CFA (soit 94 milliards de f CFA) dont 27 milliards 443 millions de f CFA de créances en souffrance provisionnées à hauteur de 16 millions, soit un taux de provision des créances en souffrance de 60,6% et un taux de créances en souffrance de 28,93%. Ce qui veut dire a priori une forte détérioration de la qualité du portefeuille sur les 6 dernières années. Les conclusions épinglent des noms et bon nombre d’entreprises du marché nigérien, dont, entre autres, Dreyfus Michel, BETP, Eticap NIGER, Moussa Arbachi, Entreprise Moctar et Fils, Entreprise Oumarou Ango et Frères et Exim. Le total cumulé des engagements est évalué à plus de 14 milliards de f CFA et une provision assez faible tournant aux alentours de 9 milliards de f CFA. Teylium Group Côte d’Ivoire alourdit la liste des gros débiteurs. Derrière cette vaste déconfiture de la banque, l’absence d’analyse du risque de crédit et le non-respect des procédures d’octroi de crédit. La quasi-totalité des dossiers de prêts n’avaient pas d’éléments juridiques assujettis aux opérations de décaissement. Un laisser-aller qui a permis à une sorte d’oligarchie de faire main basse sur les coffres de la banque. À la faveur de l’impuissance et du manque de transparence de l’ancienne direction générale dont l’ancien directeur général, Daniel Hasser, qui a soufflé sur les braises de la tempête de la BIA Niger, en connivence avec de hauts responsables de l’institution. Selon le rapport Mazars, la direction générale de la banque n’a pas désigné de directeur des Risques depuis avril 2006 jusqu’à 2011.
Le haut establishment de BIA Niger épinglé
De fil en aiguille, l’on s’aperçoit que la situation de l’endettement des membres du conseil d’administration a pris des allures insoupçonnées, au point de faire couler la banque. D’anciens membres du conseil d’administration, représentant leurs sociétés au tour de table, ont contracté. Sans l’autorisation du conseil d’administration. Dans la short list des gros débiteurs, des dignitaires de l’establishment bien connus du secteur bancaire nigérien. Le rapport épingle l’entrepreneur Hima Souley, l’assureur Mamadou Talata Doulla, qui représentait les intérêts du groupe Sunu au conseil d’administration. Il y siégeait à titre de représentant de Sunu en tant que directeur général de UGAN. Le prêt contracté en deux tranches, enregistré le 30 mai 2008 sous le numéro 015733, estimé à plus de 350 millions de f CFA, n’a pas été remboursé. En s’adjugeant ce prêt, Talata Doula n’avait pas l’aval du groupe Sunu. D’autres gros pontes sont éclaboussés par le rapport, entre autres, Hima Souley dont le prêt est enregistré sous le numéro 016731 pour des montants faramineux, SY Cofipa de l’entreprise Motor Oil Trading sous le numéro 014800, Dahiru Mangal de la société MAX AIR sous le numéro de prêt 025923, et Balla Laoulli.
Le plus loquace dans l’affaire des créances non remboursées est que la direction générale de l’époque avait fermé ses yeux et n’exerçait aucun contrepouvoir pour s’opposer aux actions et autres influences sur certains administrateurs de la banque, lesquels avaient dû bénéficier des crédits excessifs à des conditions obscures.
En dépit de la forte zone de turbulence dans laquelle est empêtrée la BIA Niger, après la passe d’armes et le sempiternel ping-pong (BNP Paribas, Coris Bank, État du Niger), la nouvelle direction générale sous la férule de l’ancien ministre des Finances, Ouhoumoudou Mahamadou, s’efforce à assainir le portefeuille rudement éprouvé par ces anciens administrateurs. Malgré les injonctions de la direction générale de la banque, les débiteurs s’emmurent dans un silence et rechignent à rembourser leurs prêts. Cette déconfiture financière a produit des effets sur le portage de certains actionnaires présents au tour de table. Le groupe Sunu qui y détenait 15% des actions a dégringolé à 5% du tour de table. Selon les dernières informations en notre possession, le conseil d’administration a demandé à la nouvelle direction de porter plainte contre les débiteurs. Affaire à suivre.
ENQUÊTE RÉALISÉE PAR ISMAEL AIDARA, Envoyé spécial à Niamey