Affaire GAVI, affaire ristournes, les « gros dossiers » se suivent et se succèdent au ministère de la Santé publique avec leur cortège d’interpellations et d’arrestations. Ce qui se passe dans la « maison » de Soumana Sanda nous rappelle ce qui était arrivé chez son voisin, à savoir le Ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, allusion faite à l’affaire dite MEBA qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive mais aussi des larmes. Quels sont les contours de l’affaire GAVI qui est en train de tout foutre en l’air au ministère des femmes et des hommes en charge de la santé des Nigériens ?
Au commencement, la mission d’investigation menée par GAVI courant janvier 2012 un document intitulé « Mission d’investigation dans le cadre de l’exécution du programme GAVISSV au Niger (périodes 2007- 2010) ; Rapport d’investigation ;
Février 2012 » a abouti à des conclusions très graves. Ce rapport fait état de fraudes, d’anomalies et d’irrégularités et les préjudices causés à GAVI Alliance (donateur) et l’Etat du Niger (bénéficiaire) se chiffrent à 2 335 432 dollars US, soit la bagatelle somme de 1 149 032 338 FCFA repartie comme suit : 3 275 800 FCFA de dépenses inéligibles, 711 615 055 FCFA de fraudes et irrégularités, 178 338 849 FCFA de dépenses insuffisamment justifiées et de 225 802 634 FCFA de décaissements non justifiés. Les chefs d’accusation ressortis et détaillés dans le rapport GAVI sont : dépenses fictives, fabrication de fausses factures, surfacturations, fractionnement de marchés pour contourner les avis d’appel d’offres ouverts, pratiques anticoncurrentielles, utilisation de prête-noms. Le premier responsable de ces manquements graves est également indexé : c’est la division des immunisations du ministère de la Santé publique.
Des victimes qui dénoncent une parodie de justice Les premières victimes : une trentaine de cadres et d’agents du ministère de la Santé interpellés avec au finish une vingtaine derrière les barreaux. Puis, tombe en avril 2013 « l’expédition punitive » du ministère de la Fonction publique et du Travail pour faire suite au déclenchement de la procédure judiciaire. Il s’agit précisément de trois décisions (N°0320/ MFP/T/DDC, N°0330/MFP/T/ DDC et N°0332/MFP/T/DDC) en date du 10 avril 2013 par lesquelles 26 cadres du ministère de la Santé publique (20 médecins, 3 techniciens supérieurs, 1 infirmier d’Etat de classe exceptionnelle et 2 chefs de division d’administration générale) suspendus de leurs fonctions. Parmi les victimes du ministère de la Fonction publique et du Travail, l’ancienne ministre du Développement communautaire Mme Affizou Saadé Soulèye et le Secrétaire Général du ministère de la Santé publique, Saidou Malam Ekoye, tous deux médecins de formation.
Dans le camp des victimes, des voix se font entendre pour dénoncer une parodie de justice et des sanctions ‘’démesurées’’. Il y a par exemple, cette correspondance (non datée) signée Docteur Manzo FAROUK adressée au Ministre de la Justice, Garde des Sceaux qui parle de « abus de pouvoir et d’injustice sur d’innocentes gens » et de vices de procédures dans l’affaire dite GAVI qui continue à défrayer la chronique notamment l’absence de confrontation entre les parties prenantes, des « auditions expéditives » n’ayant pas permis aux victimes d’avoir le temps de se défendre. Pourtant, le rapport GAVI relève le respect des procédures en ce qu’une première réunion contradictoire a eu lieu le 10 novembre 2011 au cours de laquelle, « le Ministre de la Santé publique a informé GAVI que des pièces comptables additionnelles étaient en train d’être soumises par les régions pour examen par GAVI ». Il s’en est suivi, une seconde réunion contradictoire avec la Direction des Immunisations le 9 décembre 2011 ayant permis le « réexamen de l’ensemble des anomalies ainsi que du rapport proprement dit. »
Question : qui a assisté à ces réunions de contradictions ?
Vraisemblablement, certaines victimes n’étaient pas au courant des réunions du 10 novembre 2011 et du 9 décembre 2011. Les injonctions de GAVI au Ministre de la Santé publique, la souveraineté nationale quelque peu écornée Le 2 mars 2012, le Président Directeur Général de GAVI Alliance, sous le sceau de la confidentialité écrivait au Ministre de la Santé publique, Soumana Sanda. Dans cette lettre, on peut lire ces recommandations : «…Je vous confirme par la présente les mesures qui devraient être mises en œuvre, dont notamment : le remboursement intégral à GAVI Alliance du montant des fonds identifiés comme ayant été exécutés dans des conditions et/ou pour des fins autres que celles prévues par l’objet des programmes (…) ; L’engagement par le Gouvernement de la République du Niger auprès de GAVI Alliance de prendre les mesures prévues par la loi du Niger, à l’encontre de toutes les personnes responsables des fraudes / irrégularités identifiées par l’investigation… ». Voilà qui ressemble fort bien à d’injonctions qu’à un échange civilisé entre partenaires. Voilà encore une fois la souveraineté nationale quelque peu écornée. Voilà qui peut aussi expliquer les procédures expéditives qu’insinuait la correspondance de Docteur Manzo FAROUK adressée au Ministre de la Justice relativement à l’affaire dite GAVI. Autrement dit, le ministère de la Santé publique ou disons son premier responsable n’a fait que s’en tenir aux recommandations de GAVI Alliance dont le rapport d’investigation définitif contenait pourtant des insuffisances.
En effet, dans la partie synthèse de la mission dudit rapport, l’organisation internationale en charge des questions de vaccins et de vaccinations relevait : « la principale limitation à nos travaux d’investigation a été l’impossibilité de se rendre dans certaines régions Nord du Niger compte tenu des restrictions de sécurité en vigueur au moment de notre intervention ». Alors quelle rigueur et quel crédit pour les conclusions du rapport d’investigation qui a concerné l’ensemble des 8 régions du Niger ?
Certes, la mission GAVI sur l’utilisation des fonds alloués au Niger a mis nu d’énormes irrégularités et anomalies et confirmé malheureusement des mauvaises pratiques qui ont cours dans l’administration nigérienne, mais tout porte à croire qu’il y a des victimes innocentes. Il faut donc traiter ce dossier avec beaucoup de prudence. Car dans bien de cas, l’Etat du Niger a été perdant pour des dossiers hâtivement agrafés ralentissant ou compromettant tous les efforts en matière d’assainissement.