Le mariage précoce est une pratique coutumière qui remonte à la nuit des temps dans nos communautés. C’est une pratique qui a traversé les générations et les siècles dans notre société. Elle est considérée, dans la conscience collective des communautés, comme un moyen de lutte contre la déperdition sociale des filles, mais aussi comme un moyen d’assurer une descendance respectable et éviter la honte. Le mariage précoce concerne les jeunes filles n’ayant pas atteint l’âge légal du mariage, c’est-à-dire l’âge conventionnel de la maturité fixé à 18 ans.
Au Niger, pays où la majorité de la population est rurale, le mariage précoce est toujours d’actualité. Au regard de l’ampleur qu’il prend de nos jours, le mariage précoce est devenu un sujet de préoccupation pour l’Etat, mais aussi pour ses partenaires intervenant notamment dans le domaine des droits de l’enfant. Ce phénomène constitue un obstacle à la scolarité de la jeune fille en la privant de facto de son droit à l’éducation, un des droits reconnus par les instruments nationaux et internationaux.
Même si le mariage, en tant qu’institution, est lui aussi un droit dont doit jouir toute personne humaine qui le désire, il n’en demeure pas moins qu’il doit être régi par des règles. Sa jouissance ne doit pas être la cause de violations d’autres droits fondamentaux de l’enfant qu’est la fille, tels que les droits à la santé, à l’épanouissement, à l’éducation, au bien-être, à une vie décente et même le droit à la survie et au développement.
Dans notre pays, le phénomène du mariage précoce, par la fréquence et l’ampleur ainsi que les conséquences qui en découlent, est une source d’inquiétude, notamment dans certaines régions ou localités du pays, à l’image de la région de Maradi où la question du mariage précoce se pose avec acuité. Véritables victimes d’un système nouveau mais à caractère traditionnel certes, les filles de cette région, comme tant d’autres concitoyennes, aspirent au bien-être. Mais hélas, beaucoup de parents pensent et préfèrent voir leurs filles aller dans un foyer conjugal, plutôt que d’aller à l’école.
Certaines sont données en mariage pour des raisons d’ordre coutumier ou éthique, pourrait-on justifier, mais d’autres le sont pour des raisons d’ordre purement matériel. Offertes à la fleur de l’âge à des hommes souvent beaucoup plus âgés qu’elles et peuvent même être leurs géniteurs, ces filles voient ainsi leur avenir assombri juste pour assouvir les désirs de certains hommes riches, sans vergogne. Une sorte de traite de personnes qui ne dit pas son nom, au nom d’une soi-disant coutume.
Coupées de leur milieu familial à bas âge, leur scolarité interrompue, ces gamines rejoignent, pour celles qui se résignent à aller et rester, un foyer conjugal où elles sont soumises aux tâches ménagères sans la moindre préparation, et surtout sans la maturité physique requise. Elles s’exposent ainsi au risque d’une vie familiale difficile, et surtout, du fait de l’immaturité de leur corps, aux maternités à risque, notamment l’apparition de certains problèmes tels que les complications à la délivrance et les fistules obstétricales.
En outre, ces filles sont aussi souvent victimes de répudiations ou de divorces.
En effet, ils sont nombreux les cas de divorce et de répudiation observés dès les premières années du mariage. Ces mineures se retrouvent à nouveau sur ‘’le marché’’, parfois avec des nourrissons sur le dos, une sorte de ‘’yaro baya daukan yaro, sai dai runguma ni mu fadi’’, autrement dit, ‘’un enfant ne peut porter un autre enfant au risque de tomber tous les deux’’, comme le dit un adage haoussa.
Ce phénomène a atteint un seuil où les autorités et leurs partenaires ne peuvent plus laisser faire. Conscient de sa responsabilité de protéger les enfants en tant que débiteur des obligations, l’Etat, avec le soutien de ses partenaires comme l’UNICEF, a décidé d’agir, d’attaquer le phénomène afin de trouver une issue pour ces milliers des filles innocentes qui paient les frais d’une situation qu’elles n’ont ni voulue ni inspirée à travers des actions courageuses.
Une approche participative, incluant l’ensemble des populations de plusieurs villages, a donc été mise en œuvre. Aussi, sur place, s’effectue un travail de sensibilisation et de communication pour le changement de comportement et de mentalité à destination des communautés de ces villages dans lesquels le mariage précoce est le plus observé.
A Maradi, une région où l’UNICEF intervient activement en faveur de l’enfant, conformément à son principe fondateur et aux instruments internationaux dont la CDE, la question de la lutte contre le mariage précoce est prise à bras-le-corps. Les populations, principaux acteurs de ce phénomène, sont fortement impliquées à travers un mécanisme communautaire de prévention et de lutte contre le mariage précoce et de promotion de la scolarité de la jeune fille. C’est une approche participative mise en œuvre par l’Etat et l’UNICEF, et consistant à former les parents sur les questions de droit de l’enfant, dont celui à l’éducation. Cela a l’avantage d’amener les parents à comprendre que les droits de l’enfant sont interdépendants, et qu’en tant que parents, ils doivent savoir que la scolarité ne fait pas bon ménage avec le mariage précoce ; et qu’en rehaussant l’âge du mariage de la jeune fille, ils lui donnent la chance de continuer sa scolarité et d’être une mère imbue de ses responsabilités vis-à-vis de ses enfants.
Il s’agit d’un mécanisme qui met les parents, mais aussi les responsables coutumiers et religieux, et même de la communauté tout entière, au centre des décisions concernant l’avenir de leurs enfants, leur santé, leur bien-être et leur épanouissement. Les populations de plusieurs villages de la région expérimentent ce procédé avec l’appui de l’UNICEF.
Le cas du village de Garin Bajini dans la commune de Serkin Yamma est un exemple éloquent sur l’efficacité de cette approche. Dans cette bourgade du département de Madarounfa située au sud-ouest de la ville de Maradi, la question du mariage précoce n’est plus un tabou. Elle est devenue une affaire de tous les 1.669 habitants, depuis le démarrage, il y a trois ans, des activités que mène l’UNIEF de concert avec la direction régionale de la population. Suite au travail de formation à base communautaire mené avec succès dans ce village, les populations de Garin Bajini prennent désormais en charge la question du mariage de façon endogène. En effet, donner une fille en mariage n’est plus l’affaire du père et ou de la mère, c’est plutôt celle des habitants du village tout entier, avec à leur tête le chef du village et l’imam. Depuis trois ans en effet, grâce au travail de sensibilisation mené, le mariage est bien réglementé dans ce village. Les résultats enregistrés sont très encourageants et sans ambigüité. L’abandon du mariage précoce est une réalité et ‘’il est même irréversible’’, renchérit le chef du village, M. Ali Garba. Quant à la scolarisation, le nombre d’élèves filles fréquentant le collège a beaucoup progressé à Garin Bajini : dix-sept (17), dont une en classe de 3ème, et six autres en 4ème, contrairement aux années antérieures quand toutes les filles abandonnaient l’école dès la 6ème, et qu’à la perte de leur scolarité, s’ajoute inéluctablement le mariage précoce. Aujourd’hui, la déscolarisation et le mariage précoce ne sont plus que de lointains souvenirs, et les habitants du village, réunis à la place publique autour du chef du village, s’en réjouissent. Il faut dire qu’à Garin Bajini ‘’le fruit a honoré la promesse des fleurs ‘’.