Evoquant l’importance des langues nationales dans le développement socioculturel d’un pays et les innovations envisagées pour leur promotion, la ministre de l’Enseignement Primaire, de l’Alphabétisation, de la Promotion des Langues Nationales et de l’Education Civique, Mme Ali Mariama Elhadj Ibrahim, a rappelé que l’expérimentation de l’introduction des langues nationales remonte aux années 70, avec l’ouverture de la première école bilingue hausa-français en 1972 à Zinder.
« Cette expérimentation qui se poursuit depuis 40 ans est tout à fait singulière, du fait d’une part, de sa longévité et d’autre part, au regard de la richesse des résultats engrangés. Mais est-elle justifiée ? Assurément oui, s’il faut s’en tenir essentiellement aux raisons de l’utilisation des langues nationales dans notre système éducatif, qui du reste a commencé dès 1963 dans le non formel. La langue, sous toutes ses formes, est au cœur de toutes les activités de l’Homme et il ne saurait avoir de communauté humaine sans langue. C’est à travers elle que s’effectue la socialisation de l’homme. C’est aussi à travers elle que sont transmis, de génération en génération, l’histoire des sociétés, leur culture, leurs savoirs, leur philosophie, bref, leur vision du monde » a-t-elle ajouté. Selon la ministre, la langue est à la fois élément et support de la culture.
Pour ce qui est de l’utilisation à l’école des langues nationales aux cotés du français, elle a souligné qu’il est désormais certain que les élèves apprennent mieux et vite s’ils sont d’abord enseignés dans leurs langues maternelles et parallèlement dans la langue officielle. Les rendements internes et externes sont meilleurs car les conditions psychologiques et pédagogiques sont réunies pour cela, nos langues étant manipulées avec aisance aussi bien par les élèves que par leurs enseignants. « Savez-vous que nos premières écoles bilingues, des années 1970 et 1980, affichaient allègrement des résultats de 100% et 95% aux examens d’entrée en sixième, loin devant les écoles traditionnelles d’enseignement exclusif en français ? » a dit Mme Ali Mariama Ehadj Ibrahim.
Elle a souligné qu’on ne peut donc envisager notre développement économique et social en dehors de la prise en compte de nos langues et cultures nationales. Cela est d’autant plus vrai que dans nos Etats colonisés d’Afrique, le recours à des langues étrangères dans les secteurs clés de la vie nationale, a créé une fracture drastique entre le peuple et ses élites, une barrière linguistique qui ne favorise guère l’exploitation optimale du génie de notre peuple et de son potentiel de créativité. « Aucun peuple ne s’est développé dans la langue et la culture d’autrui et comme par hasard, tous les pays pauvres sous-développés sont essentiellement les pays qui ont tourné le dos à leurs cultures authentiques. Cela dit, notre société doit rester ouverte à toute innovation féconde et à la coexistence pacifique entre les peuples, les cultures et les langues » a affirmé la ministre.
Parlant de l’expérimentation, elle a indiqué que malgré ses résultats reluisants, elle a connu des périodes de léthargie et particulièrement au cours de ces dernières années. « Nous sommes passés de 42 écoles au cours des années 1990 à 599 à partir de 2009-2010. Si les conditions de l’extension de l’enseignement bilingue avaient été réunies, nous aurions aujourd’hui dépassé le cap de 700 écoles bilingues, toutes langues confondues. Mais hélas depuis 2010, ces écoles n’ont pas bénéficié de tout le soutien qu’elles méritent. Au manque de formation et de suivi des acteurs sur le terrain sont venues se greffer l’insuffisance des matériels didactiques et pédagogiques et la rareté de financement » a constaté la ministre.
L’avènement de la VIIe République consacre la renaissance de l’enseignement bilingue grâce à l’engagement de SEM le Président de la République de rendre obligatoire l’enseignement des langues nationales. « Comme vous le savez, cet engagement s’est aujourd’hui matérialisé par l’élargissement de la dénomination de notre ministère et la création en son sein de la direction générale de la promotion des langues nationales. Cette nouvelle structure que nous sommes en train d’étoffer en ressources humaines et en matériels de travail, est déjà à pied d’œuvre. Dans un premier temps, elle se chargera de consolider les acquis de 40 ans d’expérimentation de l’enseignement bilingue, notamment à travers la formation des acteurs et leur dotation en matériels pédagogiques appropriés » a dit Mme Ali Mariama Elhadj Ibrahim. Parallèlement, a-t-elle ajouté, elle s’attèle à la préparation de la généralisation de l’enseignement des langues nationales suivant un schéma graduel qui va couvrir toutes les 10 langues nationales, toutes les régions et donc toucher tous les enfants du Niger. Cette approche fait partie des mesures retenues dans la lettre de politique éducative de notre pays adoptée en Conseil des ministres le 30 mai dernier en vue de l’amélioration de la qualité de l’éducation. « Et comme vous savez certainement, la refondation de notre curriculum d’éducation de base repose en partie sur une entrée par les langues nationales, c’est-dire leur enseignement dès le primaire. Nous disposons aujourd’hui d’une stratégie de généralisation de l’enseignement bilingue qui porte sur le renforcement du cadre juridique et institutionnel de l’éducation bilingue, l’adoption et la mise en œuvre d’une politique linguistique explicite, le développement d’un dispositif de formation et suivi, un plan de développement de matériels pédagogiques et didactiques, une stratégie de communication, un plan de recherche action pour le développement de l’ensemble de nos langues et un atlas sociolinguistique pour la gestion du choix des langues à enseigner dans les écoles et de l’affectation des enseignants, etc » a indiqué la ministre.
Tous ces chantiers sont aujourd’hui engagés avec le ferme soutien du Président de la République et la contribution de nombreux partenaires extérieurs dans le cadre du programme Ecole et langues nationales en Afrique (ELAN) qui concerne sept autres pays africains francophones. Parmi ces partenaires, on peut citer l’OIF, l’AFD, la coopération suisse et la GIZ allemande. « Nous nous réjouissons d’être un pays phare au sein de ce programme, en raison de notre expérience et notre expertise en la matière. Aujourd’hui, l’espoir est permis mais sans triomphalisme ni précipitation, il faut aussi admettre qu’il faut, comme dit l’autre, donner du temps au temps » a conclu la ministre de l’Enseignement Primaire, de l’Alphabétisation de la Promotion des langues Nationales et du l’Education Civique.
Oumarou Moussa
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Promotion de l’enseignement bilingue
Depuis 40 ans, le Niger expérimente l’enseignement bilingue, c'est-à-dire l’utilisation à la foi des langues nationales et du français comme moyens et matières d’enseignement à l’école. Les structures en charge de la mise en œuvre de cet enseignement ont varié dans le temps et dans leurs formes. Les années 1970 ont vu la création d’un Secrétariat permanent de la commission nationale de la réforme de l’enseignement. Il y eut, en 2001, la création de la Direction de la Promotion des Langues Nationales, puis une division en charge des langues nationales, au sein d’une direction centrale. Il a fallu l’avènement de la 7ème République, en 2011, pour voir la création d’une Direction Générale, avec quatre (4) directions centrales et dix (10) divisions. Cet acte prouve la volonté du Gouvernement de la 7ème République à aller progressivement et graduellement vers la généralisation de l’enseignement bilingue. Car l’enseignement a fait la preuve de son efficacité, tant interne qu’externe.
Selon le Directeur Général en charge de la Réforme, de la Promotion des Langues Nationales et de l’Education Civique, Dr Mallam Garba Maman, la mention ‘’Promotion des Langues Nationale’’ dans l’intitulé du Ministère de l’Education Primaire procède de la volonté du Président de la République, Chef de l’Etat, SEM Issoufou Mahamadou, de faire de l’école un ascenseur social et d’offrir les mêmes chances à l’ensemble des enfants du Niger, afin qu’ils puissent se réaliser individuellement et qu’ils contribuent collectivement au développement économique de notre pays’’.
En effet, a-t-il ajouté, la promotion des langues nationales suppose d’abord l’utilisation de celles-ci à l’école pour permettre aux élèves de réussir. Cette utilisation n’est pas exclusive, elle se fait concomitamment avec la langue française. Ce qui, a-t-il ajouté, a amené le Ministère en charge de la Promotion des Langues Nationales à inscrire dans son programme la réalisation de l’enseignement bilingue pour permettre, dans les meilleurs délais, la promotion de la qualité de l’éducation. On apprend mieux et vite si on commence sa scolarité dans sa propre langue. « Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui l’école souffre de ce mal qu’on appelle baisse de niveau. Cette baisse est souvent liée au fait que les enfants qui vont à l’école travaillent dans une langue dont ils n’ont pas la maîtrise, alors qu’ils ont déjà une, voire plusieurs langues nationales, à leur actif’’, souligne-t-il. Dr Mallam Garba Maman a également expliquer que promouvoir les langues nationales, c’est améliorer la qualité des rendements de l’école afin de créer les conditions d’un développement durable et accessible à tous les écoliers.
Pour ce faire, selon Dr Mallam Garba, il faut aussi penser à l’utilisation de ces langues en dehors de l’école, et il faut qu’elles soient, dans un premier temps, dotées de tous les matériels nécessaires permettant leur utilisation pour la lecture et de l’écriture notamment, l’orthographe, la grammaire, bref de tous les matériels utilisés dans les disciplines enseignées à l’école. Dans un second temps, a-t-il ajouté, il faut qu’il y ait une politique linguistique, un texte juridique qui permette à nos langues nationales d’être utilisées dans la vie sociale, car le tout n’est pas de savoir lire et écrire ou d’apprendre la langue à l’école, faudrait-il aussi donner la possibilité au Nigérien de s’exprimer dans sa langue en toute liberté, de la vivre que ce soit sur son lieu de travail, de commerce ou dans les cercles d’échanges sociaux, comme cela se fait dans tous les pays développés.
‘’Le français est la langue officielle du Niger par accident de l’histoire, puisqu’on ne peut pas utiliser une langue qu’on ne maîtrise pas, qui véhicule une autre culture ou une autre mentalité et dire qu’on va aspirer à un développement fécond qui soit à la mesure de notre attente. Nous vivons la survivance de l’idéologie colonialiste. Donc la promotion de nos langues nationales est la normalisation d’une situation dans un pays pauvre et analphabète, d’une population très jeune qui veut asseoir les bases de son développement. Il nous faut nous tourner vers nos propres ressources, et la langue est une ressource capitale pour notre développement. Le lien langue, école et développement est déterminant’’, a dit le directeur général de la Réforme de la Promotion des Langues Nationales et de l’Education Civique. C’est pourquoi, ajoute-t-il, les autorités de la 7ème République insistent sur, non seulement l’utilisation des langues nationales, mais aussi sur l’intégration de nos cultures à l’école, en vue d’un changement positif de mentalité. ‘’Et que nous soyons préparés à affronter le monde moderne, celui de demain qui se rétrécit de plus en plus grâce aux moyens modernes de communication et de transport’’, a souligné Dr Mallam Garba.
Pour le Directeur Général en charge de la Réforme, de la Promotion des Langues Nationales et de l’Education Civique, la promotion des langues nationales n’est pas une question exclusivement dévolue au Ministère en charge de l’Education Nationale. Elle concerne tous les secteurs de la vie publique. Dans la situation actuelle, soutient-il, cela peut paraître un peu gênant de voir des élèves faire leur cursus primaire en langues nationales, et une fois au secondaire, se trouver exclusivement exposés à la langue française. ‘’Cela doit être revisité, car on n’avait pas un plan de développement de l’utilisation de nos langues nationales à l’école, un programme pouvant leur permettre de voir au-delà du primaire. Mais aujourd’hui, le Ministère dispose d’une stratégie de généralisation de l’enseignement bilingue, du primaire à la classe de 3ème des collèges d’enseignement général.
Jusqu’ici les obstacles majeurs que rencontre la promotion des langues nationales sont l’insuffisance des financements par rapport aux besoins et à la faiblesse de la communication, du fait que nos compatriotes ne croient pas et ne comprennent pas comment on peut utiliser la langue nationale à l’école. Beaucoup confondent bilinguisme et enseignement exclusif des langues nationales à l’école’’, a déploré Dr Mallam Garba Maman.