La 5ème République a sans conteste été la période démocratique la plus apaisée que le Niger ait connue. La raison essentielle de cette « stabilité politique » résidait dans la permanence du dialogue entre la mouvance présidentielle et l’opposition.
Les principales soupapes d’échappement de cette République étaient le Conseil National de Dialogue Politique (CNDP) et les rencontres régulières entre le Président de la République de l’heure, Tandja Mamadou et le chef de file de l’opposition, Mahamadou Issoufou. Pendant cette période, hormis les « traditionnels affrontements » entre Hama Amadou, premier ministre et président du CNDP et le bouillant et inépuisable Sanoussi Jakou, les séances du CNDP étaient « normales » et débouchaient à tous les coups, sur des décisions consensuelles. D’autant que « l’homme du consens » était encore en vie. Les rencontres entre le président de la République et le patron de l’opposition étaient si régulières au point où ce dernier était devenu « le principal conseiller » du Président Tandja.
La rupture totale
Aujourd’hui, les choses sont tout autres. Les deux camps se regardent en « chiens de faïence ». Et pourtant, la 7ème République avait tout aussi bien démarré que la 5ème. Une majorité confortable, une opposition bien présente avec un chef de file, en la personne de Seyni Omar. Les séances du Conseil national de dialogue politique, présidées par le Premier Ministre Birgi Rafini, étaient détendues et fraternelles. Le président Issoufou, jusqu’à la veille de la formation du Gouvernement Birgi 2, recevait Seyni Omar avec toute la déférence qui sied à son rang. Tout semblait aller pour de bon dans le pays, jusqu’à l’avènement de ce gouvernement dit d’union nationale pour les uns et de large ouverture pour les autres.
GUN ou GLO, la formation du 2ème gouvernement de la 7ème République a été le point de départ de la détérioration du climat politique de notre pays. Dans la foulée de sa publication, la 2ème force de la mouvance présidentielle, ou du moins une partie conduite par son président mais aussi président de l’Assemblée Nationale, annonce son retrait de la MRN, la coalition au pouvoir, pour des prétextes de « coquilles vides ». S’en suivit alors un chambardement de la classe politique. La mouvance amputée d’une partie du MODEN, récupère cependant les principaux dissidents ainsi que ceux des autres partis de l’opposition. De l’autre coté, l’arrivée du MODEN de Hama Amadou, renforce l’ARN, ancienne opposition qui se (re)structura en ARDR (Alliance pour la réconciliation, la démocratie et la république), une alliance qui se définissait dès au départ comme un « front anti Issoufou ». Souvenez-vous du « mémorandum haineux », qualifié ainsi par certains observateurs, lu par Mahamane Ousmane, avec une émotion à peine contenue, le jour de la création de l’ARDR.
Depuis lors, les ponts étaient définitivement coupés. D’un coté, ce qui reste de la MRN appuyée par les dissidences bruyantes de Lumana et de l’ARN, de l’autre, une nouvelle opposition, dont la virulence a été décuplée depuis l’arrivée de « Hama Amadou et ses troupes ». Depuis lors également, aucune session du CNDP, aucune rencontre entre le Président de la République et le Chef de file de l’opposition, ne se sont tenues. Résultat : L’opposition, loin de proposer une alternative nouvelle, critique systématiquement, noircit les actions du gouvernement et en particulier, ne rate aucune occasion pour brocarder le Président Issoufou. Quant à la mouvance, toujours en panne de communication, agacée et gênée par les nuisances corrosives de l’opposition, celle-ci ne trouve d’autres recettes que celles d’entretenir et d’amplifier les dissidences à travers les débauchages et les orchestrations de défections.
« Faux pas politiques »
Désormais, les deux camps ne se font plus de cadeaux. Y compris face à l’intérêt supérieur de la nation. L’opposition politique vient, par deux fois de suite, de démontrer qu’elle ne participera à la défense d’aucun intérêt national au côté du gouvernement, tant qu’elle est persuadée que Mahamdou Issoufou pourrait en tirer la moindre gloriole. Ce fut le cas le 29 mars dernier lors de l’interpellation du Ministre des mines sur les négociations avec AREVA. Sans doute coachés par Hama Amadou, les députés de l’opposition ont tout simplement quitté l’hémicycle au grand désarroi de leurs compatriotes. Ce fut également le cas une semaine plus tard, lors de la pose de la première pierre de la gare ferroviaire de Niamey, un moment de fierté nationale que l’opposition a royalement boycotté.
La tension politique est semble-t-il à son paroxysme. Le discours d’ouverture du congrès extraordinaire de Lumana de Hama Amadou le 5 avril, intervenant seulement quelques heures avant le discours bilan du Président Issoufou, donne l’ampleur du fossé, non seulement entre les deux hommes, mais également entre les différents blocs politiques qu’ils représentent. L’opposition ne reconnait aucun mérite au gouvernement en face. La tension entre les deux groupes politiques est si forte que l’opposition va jusqu’à décliner un débat politique que l’ORTN a voulu organiser pour permettre à l’opinion nationale d’être fixée sur les ambitions des uns et des autres. De part et d’autre on s’évite en s’invectivant généreusement. Une situation qui amplifie le stress politique des populations et provoque cette atmosphère de « ni guerre, ni paix » dans tout le pays.
Malheureusement ou heureusement, la situation est même endémique dans la sous région ouest africaine. Le récent rapport de la Banque mondiale pointe du doigt la multiplicité des « faux-pas politiques » comme facteur important de risque pouvant à terme éroder la croissance économique, pourtant enviable de la région. Ainsi, au Niger, au Nigéria, au Bénin, au Burkina Faso, au Togo, en Guinée, sans compter le Mali, les situations politiques sont tendues et les dialogues, entre pouvoir et opposition, rompus. Ce qui n’a rien de rassurant pour les investisseurs, tant nationaux qu’internationaux.
A quoi sert la Médiature ?
Le problème c’est que la république, disons nos républiques, n’ont prévu aucun mécanisme qui puisse contraindre les parties adverses à renouer le dialogue en cas de rupture qui s’éternise. Les citoyens sont obligés de consommer les choses comme telles et subir les variations épisodiques d’humeur des protagonistes politiques de leurs pays, attendant stoïquement une ultime médiation de la CEDEAO ou de l’UEMOA. C’est le cas dans tous les pays précités où les populations assistent impuissantes à la détérioration du climat politique sans qu’elles ne puissent intervenir. Ici au Niger, sauf prise de conscience nationale, il est à parier que les deux camps politiques continueront à se télescoper, à « se manger le nez » et à s’insulter, jusqu’aux prochaines joutes de 2016.
Pour autant, doit-on faire « laisse guidon » et laissez les choses s’empirer et s’accumuler pendant encore deux ans ? N’ya-t-il pas un conseil de sages, ou toute autre structure républicaine neutre pour jouer les médiateurs entre les deux clans politiques rivaux ? Si, il ya la Médiature nationale présidée par Cheffou Amadou. Elle pourrait même s’adjoindre les services du CESOC, présidé par l’héritier politique de « l’homme de consensus ». Mais pourquoi ces institutions ne font rien pour renouer le dialogue politique dans leur pays ? Cette tâche ne fait-elle pas partie de leurs agendas ? Est-ce à la société civile de jouer aux pompiers ?
Ce dont les nigériens ont besoin aujourd’hui, c’est la fin des hostilités politiques.