C’est une femme, une Africaine, plus encore une Africaine de l’Ouest et précisément une Nigérienne qui vient d’être nommée représentante spéciale pour la Côte d’Ivoire et chef de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Voilà qui va faire du boucan du côté des « machos » d’Abidjan où tout ce qui est féminin et, plus encore féminin sahélien, ne mérite pas d’être autre chose qu’une femme de ménage. Ce n’est pas le genre d’Aïchatou Mindaoudou Souleymane.
Mais elle sait à quoi s’en tenir : elle a décroché sa licence et sa maîtrise en droit international à l’université… d’Abidjan avant d’obtenir un doctorat à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne. Sujet de sa thèse : « Les investissements privés étrangers et le développement du Niger ». Aïchatou Mindaoudou n’est pas qu’une femme à la tête bien pleine. C’est aussi une femme qui a la tête sur les épaules, ce qui lui a permis d’avoir un parcours professionnel et politique significatif dans des domaines que les hommes, trop souvent, ont tendance à considérer comme des « réservés ».
Mais c’est dans l’enseignement qu’elle a débuté sa carrière en tant que maître-assistant à la faculté des sciences économiques et juridiques de l’université Abdou Moumouni Dioffo de Niamey. C’était en 1991. Il ne lui faudra pas longtemps pour se retrouver au gouvernement à un poste que l’on pense généralement sur-mesure pour une femme : ministre du Développement social, de la Population et de la Promotion de la femme. Nous sommes alors le 24 février 1995 et c’est Hama Amadou qui vient d’être nommé premier ministre. Mahamane Ousmane préside alors le Niger, mais il a perdu la majorité à l’Assemblée nationale, d’où ce gouvernement de « cohabitation » dirigé par Hama Amadou. Et une confusion politique qui, le 27 janvier 1996, arrivera à son terme avec le coup d’Etat du colonel Ibrahim Baré Maïnassara. Aïchatou Mindaoudou, qui milite dans le cadre du Mouvement national pour la société de développement (MNSD), l’ancien parti unique, ne sera donc pas du gouvernement du 30 janvier 1996, ni des suivants.
Le 9 avril 1999, Maïnassara est assassiné. Le commandant Daouda Mallam Wanké va être nommé à la tête de l’Etat par le Conseil de réconciliation nationale (CRN) qui a été mis en place et qu’il préside. Un gouvernement de « large consensus » est formé le 16 avril sous l’autorité d’Ibrahim Assane Mayaki. Un gouvernement de 19 membres : 2 officiers supérieurs, colonels dans l’armée, et 17 civils dont deux femmes. Parmi elles Aïchatou Mindaoudou qui se voit confier le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération. C’est la première fois qu’une fois accède à cette fonction au Niger.
Le 24 novembre 1999, le colonel (à la retraite) Mamadou Tandja remportera l’élection présidentielle. Et Hama Amadou retrouvera la primature. Dans le gouvernement qu’il va former le 5 janvier 2000, il nommera Aïchatou Mindaoudou au portefeuille des Affaires sociales. Mais dès l’année suivante, en 2001, elle va se retrouver en charge des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Intégration africaine. Elle conservera ce portefeuille tout au long des deux mandats de Tandja. Et ce ne sera pas toujours une partie de plaisir. Les tensions avec Paris seront parfois fortes et Aïchatou Mindaoudou devra aussi s’investir dans la négociation avec le groupe AREVA qui exploite les mines d’uranium du Niger mais dont certains cadres seront présentés comme étant impliqués dans le financement de la « rébellion touareg ».
La « rébellion touareg », pour elle, n’en est pas une. Elle me le dira, à Paris, en 2007, alors qu’elle est venue mettre de l’huile dans les rouages entre Niamey et AREVA : ce n’étaient là que des groupes qui s’adonnent aux trafics : drogue, armes, etc. (cf. LDD Niger 031/Mercredi 1er août 2007). Il lui faudra, à nouveau, « aller au charbon » quand Tandja voudra, à l’issue de ses deux mandats présidentiels, organiser une « transition politique de trois ans allant du 22 décembre 2009 au 22 décembre 2012 ». Les organisations africaines et internationales vont entrer en branle et dégager le Niger en touche. Aïchatou Mindaoudou va multiplier, en vain, les missions d’explication.
Le jeudi 18 février 2010, les militaires vont évincer Tandja et Aïchatou Mindaoudou devenue une personnalité politique majeure : numéro trois du gouvernement après le premier ministre et le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et de la Décentralisation. Elle quittera le gouvernement (remplacée aux Affaires étrangères par Aminatou Touré Maïga) quand la junte militaire de Djibo Salou s’installera au pouvoir.
Rebondissant très vite. Dès juin 2011, elle est nommée représentante spéciale conjointe chargée des questions politiques à l’Opération hybride Union africaine/Nations unies au Darfour (MINUAD) puis, d’août 2012 à mars 2013, représentante spécial conjointe et chef par intérim de la MINUAD ainsi que médiateur en chef conjoint par intérim. Aujourd’hui, elle poursuit sa carrière au sein des Nations unies : le 17 mai 2013, sa nomination comme représentante spéciale pour la Côte d’Ivoire et Chef de l’ONUCI a été rendue publique par Ban Ki-moon.
C’est la sixième personnalité nommée à ce job après le Gallois Alan Doss, fonctionnaire international qui a fait toute sa carrière au sein des Nations unies (il a débarqué en Côte d’Ivoire au titre de la MINUCI), le Béninois Albert Tévoédjrè (2003-2005), président du Comité de suivi de l’accord de Marcoussis (cf. LDD Bénin 005/Mardi 15 avril 2003), le Suédois Pierre Schori (2005-2007 - cf.LDD Côte d’Ivoire 0138/vendredi 4 mars 2005), le Sud-Coréen Choi Young-Jin (2007-2011) – qui a dû gérer la crise postélectorale 2010-2011 – et le Néerlandais Albert Gérard Koenders (2011-2013). Si c’est la deuxième fois qu’un Africain dirige l’ONUCI, c’est la première fois qu’une femme est consacrée.
Le 27 février 2004, la résolution 1528 de l’ONU instituant l’ONUCI aura dix ans. Elle faisait suite à la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (MINUCI), mission politique instituée en mai 2003 pour faciliter la mise en œuvre par les parties ivoiriennes de l’accord de paix signé avenue Kléber à Paris (dits accords de Marcoussis) en janvier 2003. Année après année, cette « opération » a été prolongée. A la suite de la crise postélectorale 2010-2011, l’ONUCI est restée sur le terrain « pour protéger les civils et soutenir le nouveau gouvernement ivoirien dans le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des ex-combattants (DDR), ainsi que dans la réforme du secteur de la sécurité ».
L’ONUCI est une grosse machine : 575 millions de dollars en 2012-2013, 11.000 membres du personnel en uniforme, 417 membres du personnel civil international, 766 membres du personnel civil local, 174 volontaires des Nations unies (effectifs déployés au 31 mars 2013). L’ONUCI a payé sa part de pertes humaines : 109 tués ! Le mardi 16 avril 2013, dans son rapport sur la situation en Côte d’Ivoire, le sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix, Edmond Mulet, soulignait que, « en dépit des progrès considérables accomplis depuis la fin de la crise postélectorale il y a deux ans, la Côte d’Ivoire continue de se heurter à des difficultés réelles, comme la présence d’éléments armés, la criminalité transnationale organisée, le terrorisme, la piraterie ou encore un secteur de la sécurité insuffisamment réformé ».
Il soulignait cependant le « rôle directeur et l’engagement personnel du président Ouattara » rappelant qu’il « importe que tous les partis politiques occupent l’espace politique qui est le leur et qu’ils participent de façon constructive à la vie politique du pays ». Sans dresser un parallèle entre Niger et Côte d’Ivoire, je note que, confronté à une « rébellion », à une crise politique majeure et à un coup d’Etat militaire, Niamey est parvenu à renouer avec la démocratie tandis que la Côte d’Ivoire est toujours sous « tutelle » de l’ONU. La question se pose de savoir si cette « tutelle » est productive ; ou si la Côte d’Ivoire, à l’instar du Niger, ne s’en serait pas, politiquement, mieux sortie seule, par elle-même. Mais peut-être n’en était-elle pas capable.