Né à Tombouctou, le styliste nigérien est devenu un ambassadeur incontournable de la mode africaine. Entretien.
Le Point Afrique : De quels pays revenez-vous ?
Alphadi : Je suis parti à Lomé pour apporter ma contribution en tant que parrain de Pagne en fête, un festival organisé par la chambre de commerce et d’industrie du Togo.
Du 22 au 29 avril dernier, cet événement a offert une visibilité à toute la filière du pagne africain. Le président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, m’a demandé d’être à ses côtés face aux enjeux de développement du secteur textile. Pour cette première édition, les légendaires Nanas Benz ont été mises en lumière : ce sont des femmes d’affaires spécialisées dans la vente du pagne depuis les années 1970 au Togo et en Afrique de l’Ouest. Actuellement, elles rencontrent beaucoup de difficultés du fait de la concurrence étrangère.
Le pagne est une institution en Afrique...
Nous voulons produire nos propres pagnes comme le fait Vlisco depuis plus de cent ans. La vente de ces pagnes fabriqués en Hollande ne profite pas assez à l’Afrique puisque les bénéfices retournent aux Pays-Bas. Aujourd’hui, les autorités togolaises souhaitent redémarrer des usines textiles parfois fermées depuis vingt ans afin de créer plusieurs milliers d’emplois et d’encourager le travail féminin dans cette filière. Le but est de donner un ancrage local aux pagnes portés par nos mères et nos soeurs. Toute ma production de textile est fabriquée au Ghana, au Nigeria et au Niger. C’est un produit qui marche bien. J’ai commencé il y a six ans et je continue à la faire évoluer pour la rendre plus abordable et encourager les Africains à acheter du local.
Vous êtes ensuite allé au Niger ?
Je suis allé à Niamey où je suis déjà en train de préparer le prochain Festival international de la mode africaine (Fima). Des concours pour la jeunesse - stylistes, mannequins - ont lieu durant le Fima. Deux cents jeunes stylistes vont être sélectionnés, seuls les dix meilleurs iront au Niger, enfin trois nominés bénéficieront d’une exposition internationale. Mon rêve, à terme, est de réinstaller le Fima dans le désert, comme lors de la première édition de 1998, pour montrer que la paix existe réellement. Une bonne image du Niger et du continent africain permet de développer le tourisme. Beaucoup de pays réputés plus stables me proposent de faire le festival chez eux. Je leur réponds que mon pays est aussi en paix et a besoin de cet événement pour sa stabilité. Le Niger m’a toujours soutenu malgré les difficultés dans le passé. En 2011, un incendie a ravagé mes ateliers. Ce fut une période difficile. Aujourd’hui, les soucis sont derrière nous. Ce que je fais n’est pas contre ma religion, je suis musulman. Je mène ce combat pour lutter contre la pauvreté et donner une dignité à l’Afrique. Il faut montrer aux hommes politiques africains que la culture peut créer des emplois.
De quelle manière les autorités nigériennes vous soutiennent-elles ?
Le gouvernement aide ceux qui veulent investir au Niger. Depuis deux ans, le ministère de la Culture est un ministère de plein exercice. Le ministre, Ousmane Abdou, est très engagé dans l’entrepreneuriat culturel. Il faut donner à ce pays une chance d’être ouvert sur la mode et le textile. Que Niamey puisse devenir un hub de la mode. Nous sommes en train de préparer une table ronde pour récolter des financements auprès des bailleurs de fonds, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la coopération française et luxembourgeoise, afin de rendre possible l’ouverture d’une École supérieure de la mode. Le terrain de 3 000 m2 est cédé par le gouvernement nigérien, mais cela a pris du temps.
C’est un établissement d’enseignement supérieur qui verra le jour ?
C’est une réflexion de plus de dix ans qui commence à devenir réalité. Nous travaillons déjà avec l’atelier Chardon-Savard à Paris, qui est venu à Niamey pour concevoir les programmes de la future école. Nous collaborons également avec Casamoda, une école de mode créée par l’atelier Chardon-Savard à Casablanca. L’École supérieure de la mode et des arts proposera tout un éventail de cursus bac + 3 et bac + 4 dans l’économie de la mode, du stylisme au management, ainsi que des formations diplômantes pour les "petites mains", ceux et celles qui ont déjà leurs ateliers. Les premières promotions débuteront avec une cinquantaine d’élèves pour atteindre peu à peu les deux cents élèves. Ces étudiants ne viendront pas uniquement du Niger, mais de toute la sous-région. La culture n’a pas de frontière !
Rencontrez-vous des freins au développement de vos projets ?
J’ai pâti d’une incompréhension de certains Africains à mes débuts. Pour eux, le secteur de la mode ou celui de la musique, c’était pour les voyous et ceux qui ne savent rien faire d’autre. En Afrique, nous avons besoin d’investisseurs qui comprennent que la mode est une économie à part entière, or, jusqu’à maintenant, ils sont plutôt frileux... L’écoute commence à venir, certaines premières dames et certains ministres choisissent de porter mes créations. Auparavant, personne ne pensait qu’un Africain puisse habiller les autorités. Les officiels africains préféraient se rendre en France ou aux États-Unis ! Ils doivent donner une bonne image en consommant africain.
Quelles matières avez-vous utilisées pour vos dernières collections ?
J’ai mis ma créativité au service de la paix après les difficultés surmontées par le Mali et le Niger. J’ai donc essentiellement utilisé du blanc au travers du bazin, du perlage, des mousselines. Pour l’année prochaine, je travaille sur des matières purement africaines que je réalisais déjà à mes débuts, comme le bogolan. J’ai envie de retourner à mes premières collections et d’insuffler une nouvelle dynamique, car ce savoir-faire se perd parmi les tisserands. Je veux que leur travail soit de nouveau visible sur les podiums.