TRIPOLI, 31 mai 2013 (AFP) - Etat faible, frontières poreuses, prolifération d’armes: si la Libye est accusée d’être devenue une source d’instabilité pour ses voisins du sud, il serait abusif de lui faire porter seule le chapeau, estiment des experts.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou avait indiqué que les assaillants qui ont commis le 23 mai deux attentats suicide au Niger venaient du Sud libyen. Selon lui, ils préparaient parallèlement une "attaque" contre le Tchad.
Le Premier ministre libyen Ali Zeidan a démenti ces "allégations sans fondements", répétant que son pays "ne pourrait devenir en aucun cas une source de souci ou de déstabilisation pour ses voisins" du sud, en proie eux-mêmes à l’instabilité depuis des années.
Des experts et des diplomates occidentaux estiment toutefois que le Sud libyen serait devenu ces derniers mois l’un des sanctuaires où se sont reconstituées les cellules jihadistes après que les mouvements islamistes armés ont été délogés du nord du Mali depuis janvier par une opération militaire franco-africaine.
Selon Fraj Najem, directeur du centre africain des études à Tripoli, les accusations du président nigérien "sont sans fondements".
"Le Mali n’est pas frontalier avec la Libye, ce qui constitue un obstacle pour l’arrivée des combattants dans le Sud libyen", a-t-il expliqué.
Néanmoins, d’autres experts estiment que les groupes jihadistes chassés du Mali pourraient y arriver en transitant par les pays frontaliers comme le Niger ou l’Algérie, profitant du chaos régnant après le conflit libyen de 2011 qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi.
"Le sud-ouest de la Libye est contrôlé par les Toubous" qui n’ont pas de rapport avec les mouvements islamistes, rétorque M. Najem.
"A noter aussi que les Touareg de l’Azawad et d’Ansar Dine du Mali ne pourront pas retourner en Libye car ils avaient combattu aux côtés des troupes pro-Kadhafi, et de ce fait, ils sont recherchés" par les ex-rebelles libyens, qui n’ont pas déposé les armes, a-t-il ajouté.
Les Toubous, à la peau noire, qui vivent sur un territoire à cheval sur la Libye, le nord du Tchad et du Niger, contrôlent, aux côtés de plusieurs milices d’ex-rebelles, une grande partie de la zone frontalière sud, un no man’s land désertique où fleurissent la contrebande, le trafic d’armes et l’immigration clandestine.
En décembre, les autorités libyennes ont décidé de fermer les frontières sud communes avec le Tchad, le Niger, le Soudan et l’Algérie, confiant à sa jeune armée mal équipée une mission quasi-impossible.
M. Najem reconnait la faiblesse de l’Etat libyen qui "n’existe que par le nom et n’a aucune emprise sur le terrain et de ce fait, le contrôle des frontières lui échappe". "Ce sont les thowars qui détiennent le véritable pouvoir", dit-il.
Mais pour l’analyste politique libyen Hassan Indhar, les voisins du sud ne sont pas dans une meilleure posture.
"Les autorités nigériennes, tchadiennes, soudanaises et maliennes sont confrontées depuis plusieurs années à l’instabilité due à des rébellions armées et des tentatives de coups d’Etat et n’arrivent pas non plus à contrôler leurs frontières", a indiqué M. Indhar à la télévision libyenne al-Hurra.
Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a appelé lundi au Niger à "une action commune" contre les "groupes terroristes" dans le pays, demandant "un effort particulier, ce qui est souhaité d’ailleurs par la Libye, sur le sud de la Libye".
Claudia Gazzini, analyste de l’International Crisis Group pour la Libye, n’a pas écarté de son côté que les auteurs des deux attentats du Niger soient venus de la Libye, dont "les frontières sont poreuses en l’absence de forces de sécurité gouvernementales, en particulier dans le sud".
"Il y a aussi des soupçons fondés sur certains groupes islamistes qui auraient établi des bases dans le sud après avoir été délogés du Mali".
"Toutefois, en faisant porter au seul gouvernement libyen la responsabilité, comme l’a fait le président nigérien, on risque de détourner l’attention des racines du problème, qui sont étroitement liés au Niger et au rôle de la France dans la guerre du Mali", a-t-elle dit.
M. Najem a estimé par ailleurs que "les déclarations du président nigérien relèvent d’un bras de fer entre le Niger et la Libye, qui réclame l’extradition de Saadi Kadhafi", fils de Mouammar Kadhafi. Saadi avait trouvé refuge au Niger lors du conflit armé de 2011.
Ali Zeidan a demandé de nouveau mercredi à Niamey de lui livrer Saadi Kadhafi et d’autres dignitaires de l’ancien régime.