Monsieur Modi Alzouma, le Niger vit aujourd’hui une situation assez préoccupante. Quelle lecture en faites-vous ?
Je dois d’abord remercier votre journal qui me donne ainsi l’occasion de m’exprimer pour la première fois de façon publique sur des questions de grande importance pour tout Nigérien épris de paix et de quiétude sociale, soucieux de la stabilité institutionnelle et politique de notre pays qui a tant souffert des mêmes errements pratiquement.
Aussi, pour répondre à votre question, je dirai simplement que c’est bien dommage que le Niger retombe dans les mêmes travers en si peu de temps, essentiellement par la faute d’un homme, Mahamadou Issoufou, dont l’élection a été implicitement perçue par la plupart de nos compatriotes comme la fermeture d’une parenthèse malheureuse, du moment où l’intéressé est un acteur de premier plan de la vie politique des deux dernières décennies et de toutes les péripéties que le Niger a endurées au cours de cette période.
Malheureusement, l’homme n’a pas tiré de leçons pour le Niger. Dès le départ, il a posé des actes graves qui ont tout de suite renseigné les fins observateurs sur les dérives à venir, acceptant de porter officiellement des bilans cousus de fil blanc. Prenez l’exemple de l’éducation où le président affirme, sans tiquer, qu’il a réalisé 5800 salles de classe en matériaux définitifs en une année, soit 16 salles de classe en moyenne par jour. Même avec les classes préfabriquées, il n’aurait pas pu réaliser une telle performance parce qu’il est simplement impossible, avec les techniques que nous connaissons, de faire une salle de classe par jour. Et le secteur de l’éducation n’est pas un cas isolé.
Tous les secteurs sont sujets au trucage des statistiques. Je ne suis pas d’ailleurs le premier à le dénoncer, d’autres l’ayant fait avant moi et de la plus belle manière. L’objectif est clair, il fallait tout de suite enfermer le peuple nigérien dans une logique de propagande mensongère. C’était son péché originel. La crise institutionnelle et politique que nous vivons aujourd’hui, même si certains ne veulent pas qu’on parle de crise, procède en réalité de cette propension au sein du Pnds à penser qu’ils ont l’apanage de l’intelligence et de tout ce qui peut en découler. Pour tout dire, le Niger vit bien une nouvelle crise institutionnelle et politique. Sauf les gens de mauvaise foi, qui avancent les yeux fermés sont en mesure de soutenir le contraire.
Vous parlez d’apanage de l’intelligence, qu’est-ce à dire ?
Vous savez, au PNDS ou du moins pour relativiser, dans le cercle fermé des apparatchiks de ce parti, l’adversaire politique est toujours chargé de préjugés défavorables. Lorsque vous analysez le comportement politique des premiers responsables de ce parti, ceux qui portent la voix du parti sans demander la moindre instruction à qui que ce soit, vous comprendrez alors la portée de mes propos. Il existe au sein de ce cercle une mentalité de gagnants éternels qui les pousse à toutes les extravagances que l’on constate, à toutes les folies et à toutes les permissions, soit-il vis-à-vis de la loi dont ils n’ont en vérité pour tout rapport que les discours et les professions de foi. Regardez bien ils sont incapables de respecter et de faire respecter la loi dans une stricte neutralité et l’égalité des citoyens devant la loi. Pour eux, la loi n’est valable que lorsqu’elle sert d’abord les intérêts du parti et du pouvoir qu’il incarne aujourd’hui. Au grand dam du Niger qui en pâtit, il faut le dire. C’est pourquoi ils ne se gênent pas du tout pour violer la loi ou de l’appliquer de façon sélective. Les exemples sont légion.
À propos de la loi et de son respect strict par tous, il semble que le gouvernement est décidé à aller désormais jusqu’au bout des dossiers qui sont pendants devant la justice ?
Vous voulez rigoler ou quoi ? Non, soyons sérieux, le pouvoir de Mahamadou Issoufou a très tôt montré ses limites sur la question de l’assainissement et de la reddition des comptes des citoyens nigériens. En avait-il d’ailleurs la volonté ? Personnellement, je suis plutôt convaincu du contraire et je vais vous dire pourquoi. Il est en face d’un choix cornélien : soit, il fait payer, au nom du Niger qu’il dit être en train de servir, ses collaborateurs et soutiens personnels (Dieu sait qu’ils pullulent comme têtards dans un étang) soit, il procède comme il l’a toujours fait, en donnant la preuve supplémentaire qu’il a un parti pris et que seuls doivent payer ceux qui ont osé porter leur choix sur un autre parti que sur celui du grand manitou.
D’abord, dès l’entame de son magistère, deux de ses ministres et proches collaborateurs ont violé la Constitution dans une sale affaire de pots de vin liés à des marchés publics. Le Président Issoufou a mis plus d’un mois pour s’incliner devant l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Et lorsqu’il a finalement fait partir les deux ministres indélicats du gouvernement, c’était pour les nommer, l’un à la tête de la BIA, en violation des principes et accords bancaires de l’UEMOA, l’autre comme ministre / conseiller à la présidence. N’est-ce pas un acte de défiance vis-à-vis de la Cour constitutionnelle et du peuple nigérien tout entier ? Deuxième exemple, le ministre Foumakoye Gado, après deux ans de gestion en tant que ministre du Pétrole, a fait publiquement don de véhicules 4X4 aux coordinations régionales de Dosso sans que cela émeuve le président de la République qui prétend lutter contre la corruption alors qu’elle se pratique à ses portes et sous ses yeux.
Où a-t-il gagné autant d’argent ? Je ne saurais vous le dire mais il est certain que ce n’est pas de l’argent gagné proprement. Sur ce sujet également, nous pouvons multiplier les exemples. Souvenez-vous de cette affaire de prêt congolais où le gouvernement a contracté 50 milliards auprès du Trésor congolais. Ces milliards, malgré les protestations ridicules du ministre des Finances qui ne sait pas mentir, le pouvoir les a utilisés, on ne sait à quelle fin, avant même que l’Assemblée nationale ne ratifie l’accord de prêt. Une procédure pareille, le Niger ne connaissait pas avant Issoufou Mahamadou. Vous avez également Cette autre affaire de 20 milliards soutirés dans les comptes de l’ARTP et affectés à des dépenses autres que celles qui ont été annoncées par le ministre des Finances. Bref, tous les Nigériens savent, y compris ceux qui émargent à la présidence pour des missions tordues, que le Président Issoufou ne peut pas, ne veut pas et n’a aucune intention de protéger les deniers publics des prédateurs qui sont aujourd’hui, tous, dans son camp.
Les 20 milliards de l’ARTP, vous avez bien entendu le député Nassirou Halidou le dénoncer. ils ont été, dit-il, versés à Salif Diallo, le gourou burkinabé du Président Issoufou qui a réussi à convaincre celui-ci qu’avec un matériel qu’il peut faire venir au Niger, le Trésor nigérien gagnerait avec les compagnies de téléphonie cellulaire plus de 200 milliards par an. Une vraie arnaque, car, malgré les recommandations de certains de ses collaborateurs pour une annulation pure et simple de ce marché, il n’est pas revenu là-dessus.
Toujours à propos de reddition des comptes, la Cour de cassation a levé l’immunité de l’ancien président Mamadou Tandja pour permettre au juge de l’entendre sur l’affaire dite des 400 milliards
Cette mesure ne convainc personne sur la volonté du Président Issoufou et de son pouvoir à laisser les institutions jouer librement leur rôle et contribuer ainsi à la promotion d’une démocratie juste au Niger. Je vais vous poser la question, combien de députés ont vu leur immunité levée sans jamais répondre de quoi que ce soit ? Il y en a huit et certains, comme Albadé Abouba, ont même monté en grade dans le système du pouvoir puisqu’il est aujourd’hui ministre d’État à la présidence sans portefeuille. Quelle autre insulte plus grave le Président Issoufou peut-il faire au peuple nigérien ?
Chérif Abidine est convaincu de faux et usage de faux puisqu’il a utilisé un faux diplôme pour se faire élire député du PNDS. Il n’a jamais été inquiété. Le cas Tandja ne peut se comprendre que la preuve d’une justice sélective qui frappe une partie des Nigériens tandis que d’autres sont totalement absouts de tout péché. Vérifiez ce que je vous dis, même au niveau de la Police nationale, il y a deux poids, deux mesures aujourd’hui. Il y a d’une part, ceux qui sont régulièrement interpellés par la Police judiciaire ; d’autre part, ceux qui, au nom de leur affiliation politique, sont soigneusement épargnés comme si les Nigériens ne sont pas sous la même loi.
Un exemple ?
Ce n’est pas un exemple que je peux vous donner, mais des dizaines. Prenez le cas de cette fameuse affaire de bébés trafiqués, vérifiez ceux qui ont été interpellés par la police et ceux qui ne l’ont pas été alors que leurs signatures sont apposées au bas des documents d’état civil. C’est ahurissant que la police puisse se comporter ainsi dans un pays qui a tant souffert de l’injustice et du parti pris. La Police doit rester républicaine ; autrement, nous n’en voyons pas l’utilité. Il faut qu’elle se ressaisisse et qu’elle arrête de montrer clairement qu’elle n’a pas d’autre logique que de servir les intérêts de celui qui est au pouvoir, quitte à brimer de paisibles citoyens dans leurs droits et à poser des actes anticonstitutionnels qui pourraient être retournés contre ses auteurs demain.
Il en est de même de la justice. À elles deux, la Police et la Justice constituent le fondement de l’état de droit. Lorsqu’elles acceptent la compromission au point de jouer des rôles troubles, comme aujourd’hui, il va de soi que tout le monde est en danger.
Il y a quand même la Halcia qui est la concrétisation de la volonté politique du Président Issoufou
Décidément ! Non, ne rigolez pas, le Niger vit une tragédie jamais égalée où, dès le départ, des gouvernants s’installent dans une logique de faux pour faire croire à une réalité qui n’existe pas. Ce n’est pas un hasard si, au bout de trois ans seulement, le Président Issoufou est à bout de souffle et le Niger, en panne. La Halcia, vous le savez, c’est comme l’initiative 3N ; toutes deux sont des boîtes à propagande, pas plus. Elles ne servent à rien et tout le monde le sait. C’est une question qui ne mérite pas qu’on s’étende là-dessus. Cependant, je voudrais relever un détail important à souligner à propos des 3N par exemple. Alahouri a poussé l’ingéniosité jusqu’à créer un volet Nutrition. Pour une institution qui a pour mission d’aider à produire, il n’y a pas de place qui tienne pour le volet nutrition, sauf à prouver l’esprit prébendier qui le sous-tend et la volonté de capter toutes les sources de financement éventuelles dans le domaine. Les partenaires du Niger en sont profondément choqués.
Revenons à cette affaire de bébés trafiqués…
L’affaire des fabriques de bébés n’est ni plus ni moins qu’une nième affaire mise en chantier par un lobby fortement engagé dans une entreprise sordide qui préoccupe curieusement le pouvoir en place depuis près d’un an au point que tout travail productif s’est arrêté. Cette entreprise sordide, c’est le débarquement de Hama Amadou, voire son emprisonnement. C’est connu de notoriété publique depuis que Ben Omar, nouvel artilleur de la majorité au pouvoir, a franchi le rubicond en informant l’opinion nationale et internationale par voie de presse, qu’ils vont se donner tous les moyens pour débarquer le président de l’Assemblée nationale. Tous les complots ourdis dans ce sens ont échoué, un à un.
L’affaire dite des fabriques de bébés a été démantelée entre 2011 et 2012 au Nigeria. C’est de cette affaire dont on s’est saisie pour faire un amalgame aussi injustifiable que révoltant pour tenter d’atteindre Hama Amadou. Or, malgré tout le tintamarre qui est fait là-dessus, Hama Amadou reste, dans cette affaire, une cible hors de leur portée. Et c’est précisément parce que les commanditaires de cette affaire politico judiciaire le savent qu’ils s’en sont pris à son épouse. En impliquant l’épouse de Hama Amadou qui dit être prête à se plier à un test ADN, ils font sciemment un amalgame intolérable qui prouve que ces gens sont d’une nature que le Niger n’en a jamais connue à la tête de l’État.
Vous doutez de la véracité de cette affaire ?
Je sais qu’il y a eu une telle affaire au Nigeria ; de la même façon, je sais également que dans cette entreprise, la cible recherchée, c’est Hama Amadou. La preuve, bien qu’il ait marqué sa totale disponibilité pour un test ADN afin de prouver la filiation de ses enfants, le pouvoir en place choisit la voie de la diversion et de la propagande mensongère. In fine, cette affaire connaîtra le même sort que toutes celles qui ont été essayées puis rapidement abandonnées parce qu’entre-temps, les géniteurs se sont rendus compte du ridicule de leurs trouvailles. Lorsque vous êtes sûrs de vos accusations et de vos preuves, vous devez accepter la règle du contradictoire. Or, dans cette affaire, le pouvoir en place ne cherche qu’à salir et à discréditer.
Regardez tous ces commentaires malveillants et malhonnêtes faits par voie de presse par des gens qui vivent aujourd’hui de ce business offert par le Président Issoufou. Il y a de tous les profils, jusqu’à des hommes qui se prétendent de Dieu mais qui acceptent, pour de l’argent, de porter la voix de la calomnie et du dénigrement. Il y en a beaucoup qui ont été démarchés pour vilipender, juger et condamner, en s’appuyant parfois sur des valeurs qu’ils sont loi d’incarner et des principes religieux que leurs propres actes prennent régulièrement à contre-pied. Cette campagne de dénigrement, menée par des marabouts, des acteurs de la société civile, des journalistes dont on connaît, fort heureusement l’esprit mercantiliste, est vouée à l’échec. Elle ne changera pas grand-chose dans la manifestation de la vérité dont Dieu, seul, est le garant.
En fin de compte, êtes-vous, oui ou non optimiste pour le Niger ?
Il ne faut jamais désespérer d’un pays ou d’un peuple. Malgré le climat social et politique délétère que nous vivons par la seule volonté de ceux qui nous gouvernent parce qu’ils ont un agenda politique qu’ils veulent réaliser, quoi que cela puisse coûter au Niger et à son peuple, je reste persuadé que cette page noire de l’histoire politique du Niger que le Président Issoufou a décidé de porter, va se refermer un jour. Demain, qui sait, un autre soleil se lèvera peut-être et les Nigériens pourront enfin se retrouver, dans la fraternité et le désir partagé de regarder dans la même direction, avec pour seule préoccupation la volonté de construire, ensemble, leur pays. Cela, bien évidemment, ne peut se faire dans un contexte de division des Nigériens, de primauté du parti au pouvoir sur l’État et dans le sentiment permanent d’insécurité devant les instances de police et de justice.