Le président français entame, jeudi, une mini-tournée africaine qui doit l’amener en Côte d’Ivoire, au Niger et au Tchad. Un déplacement dédié à l’économie et à la sécurité au Sahel. Mais guère aux droits de l’Homme regrettent des ONG.
Le président français, François Hollande, entame jeudi 17 juillet une tournée de trois jours en Afrique qui le conduira en Côte d’Ivoire, au Niger et au Tchad. Ce déplacement intervient alors que la France s’apprête à remplacer la mission Serval, conduite au Mali, par une nouvelle opération destinée à lutter contre le terrorisme au Sahel.
Samedi, le chef de l’État se rendra donc à N’Djamena, où l’état-major de cette nouvelle force permanente de 3 000 hommes doit prendre place. Selon l’Élysée, François Hollande souhaite voir sur le terrain comment ce nouveau dispositif, baptisé Barkhane, "va s’installer et se déployer".
La sécurité au Sahel ne sera toutefois pas le seul sujet évoqué durant le voyage du chef de l’État. À Abidjan et Niamey, le président français sera également appelé à aborder plusieurs dossiers économiques avec ses homologues ivoirien et nigérien. Au risque d’occulter, comme le craignent plusieurs ONG, la question des droits de l’Homme. Revue de détails des principaux enjeux de cette tournée africaine.
Côte d’Ivoire : le développement économique avant tout
Le déplacement à Abidjan de ce jeudi constituera la première visite d’État de François Hollande en terres ivoiriennes depuis son arrivée à l’Élysée. Initialement prévu en février, ce voyage avait été reporté en raison des ennuis de santé de son homologue ivoirien, Alassane Ouattara.
Bien que l’armée française dispose d’une force de maintien de la paix forte de 450 hommes dans le pays (opération Licorne), la question sécuritaire ne devrait être que très peu évoquée lors des discussions. Après plus d’une décennie de conflits politico-militaires qui faillirent mener à la partition de la Côte d’Ivoire, les autorités de Yamoussoukro ont donné priorité à la relance économique.
"Depuis qu’Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir en 2011, avec l’aide de la France, alors présidée par Nicolas Sarkozy, l’accent est surtout mis sur le développement économique, commente Marc Perelman, journaliste de France 24 spécialiste des questions internationales (voir émission ci-dessus). Et c’est sur ce point que Ouattara voudra insister auprès de Hollande, notamment pour prouver qu’en Afrique, la sécurité n’est pas le seul élément important. Le président français est attendu à Abidjan pour montrer que la Côte d’Ivoire se remet économiquement sur les rails et est capable de mener des projets à long terme."
Ancienne locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest, le pays a connu une croissance de 9,8 % en 2012 et de 8,7 % en 2013. Pour 2014, les prévisions tablent sur une croissance de "8 à 10 %". Soucieux de poursuivre sur cette lancée, Alassane Ouattara réclame depuis plusieurs mois l’abandon "pur et simple" de la dette ivoirienne due à la France, qui demeure le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire (1,7 milliard d’euros d’échanges en 2013). Alors qu’en 2012, Paris a déjà effacé quelque 655 milliards de francs CFA (près de 1 milliard d’euros), plusieurs commentateurs doutent de la volonté, sinon de la capacité, de la France à faire davantage. "Le problème, c’est que la France se trouve dans une période d’austérité qui l’oblige à faire des coupes budgétaires, indique Mustapha Tossa, rédacteur en chef de la radio Monte-Carlo Doualiya (MCD). On se demande quelle est la réelle marge de manœuvre de François Hollande et si la crise économique ne va pas négativement influer sur cette générosité française."
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La société civile ivoirienne entend pour sa part profiter de la visite du président français pour réclamer de Paris qu’il pointe davantage les manquements des autorités ivoiriennes dans le processus de réconciliation nationale. Nombre d’organisations dénoncent, en effet, le manque de neutralité d’une justice qui poursuit presque exclusivement des partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo. D’après une commission d’enquête ivoirienne, plus de 700 morts sur les 3 248 ayant péri durant la crise post-électorale de 2010-2011 sont pourtant le fait de forces pro-Ouattara, dont les ex-chefs de guerre occupent désormais de hautes fonctions au sein des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
Selon l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), les FRCI se rendent régulièrement coupables d’exactions dans les prisons. "La visite de François Hollande en Côte d’Ivoire devrait être l’occasion d’encourager les autorités ivoiriennes à accélérer les réformes de la législation pénale conformément aux dispositions de la Convention des Nations unies contre la torture et à agir pour que toutes les victimes de torture puissent obtenir justice", écrit l’Acat dans un communiqué publié mercredi.
Niger : une amitié présidentielle
Bien qu’il entretienne de bons rapports avec Alassane Ouattara - que l’on sait davantage lié à Nicolas Sarkozy -, c’est au Niger que le président français ira trouver l’un de ses plus proches amis sur le continent africain. "Il y a une réelle histoire d’amitié entre François Hollande et Mahamadou Issoufou, rappelle Marc Perelman. Ils sont tous les deux socialistes et on sait qu’Issoufou avait participé à un congrès du Parti socialiste en France en 1997. Il y a des liens très forts, liens qui se sont renforcés depuis l’arrivée au pouvoir des deux hommes, mais aussi à la faveur de l’opération militaire française menée au Mali et du sauvetage des otages français au Niger. Ces derniers avaient pu être libérés en partie grâce à l’action du président nigérien. Il s’agit donc d’une étape amicale mais aussi stratégique."
Pays frontalier de zones aussi sensibles que la Libye et le Nord-Mali, le Niger accueille dans sa capitale, Niamey, une base aérienne française que Paris aimerait dédier au renseignement. Depuis la fin de 2013, le site abrite des drones destinés à renforcer la lutte contre le terrorisme sur l’ensemble de la bande sahélo-saharienne. Aussi, durant sa visite, le président français "poursuivra les discussions stratégiques sur les zones de crise entourant le Niger et tâchera de voir comment collaborer pour renforcer la sécurité dans la région", a indiqué une source élyséenne à l’AFP.
Mais peut-être plus que sa situation géographique, c’est son sous-sol riche en uranium qui fait du Niger un partenaire privilégié de la France. Installé dans le pays depuis la fin des années 1950, Areva, le géant hexagonal du nucléaire, y tire plus du tiers de sa production mondiale d’or jaune. En mai, au terme de 18 mois de délicates négociations, le gouvernement de Niamey et le groupe français ont signé un accord renouvelant le contrat d’exploitation de deux mines du nord du pays. "Cet accord est très important pour les Nigériens car ils ont pu obtenir qu’Areva paie davantage d’impôts, commente Marc Perelman. Cela a d’ailleurs été vu comme une fleur faite par François Hollande à Mahamadou Issoufou pour le récompenser de son aide au Mali ainsi que dans l’affaire des otages et, peut-être aussi, faciliter sa réélection l’année prochaine."
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Reste que pour certaines ONG, cet agrément, censé porter de 5 % à 12 % la taxation de la valeur du minerai extrait, demeure opaque. "Depuis la signature des contrats le 26 mai dernier, au-delà d’un accord cadre de quatre pages publié au Journal officiel nigérien, tous les protocoles et conventions associés à cet accord n’ont pas fait l’objet d’une publication officielle", tient à rappeler l’ONG Oxfam à la veille de la tournée de François Hollande.
Tchad : au cœur de la lutte contre le terrorisme au Sahel
Dernière étape du périple africain, le Tchad, lui, est appelé à jouer un rôle central dans la réorganisation en cours de la présence militaire française sur le continent. Paris entend en effet installer le commandement de l’opération Barkhane à N’Djamena, où la France dispose déjà d’une importante base militaire. Mise en place en "partenariat" avec la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad afin d’élargir à tout le Sahel la lutte contre les mouvements djihadistes, l’opération comptera environ 3 000 hommes, 20 hélicoptères, 200 véhicules blindés, 10 avions de transport tactique et stratégique, 6 avions de chasse 3 drones, selon le ministère français de la Défense.
Transfert de l’opération Serval dont la mission au Mali s’est officiellement achevée en juillet, "ce niveau dispositif va beaucoup plus surveiller ce qui se passe en Libye", indique Mustapha Tossa. Car la grande crainte de la France, c’est de voir les armes et les groupes fondamentalistes passer la frontière libyenne pour aller au Sahel."
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Ce redéploiement des forces françaises n’est pas sans faire grincer quelques dents. Devenu un partenaire quasi indispensable de Paris depuis son intervention au Mali et, surtout, en Centrafrique, le président tchadien, Idriss Déby Itno, est régulièrement accusé de dérives autoritaires et de violations des droits de l’Homme. "L’envoi de troupes tchadiennes pour le maintien de la paix à l’extérieur ne saurait être une prime accordée au régime à l’intérieur", écrit l’un des ténors de l’opposition tchadienne, Saleh Kebzabo, dans un communiqué dont l’AFP s’est fait l’écho. Le Tchad n’est ni un État démocratique, ni un État de droit." Et l’opposant de demander "instamment aux partenaires économiques du Tchad, en particulier la France, d’être de plus en plus exigeants sur la gouvernance économique, le respect des droits humains" face à un "régime qui a acculé la population à une paupérisation croissante et excelle dans la gestion patrimoniale de l’État, dans le seul but de détourner les deniers publics au profit d’une oligarchie établie, refusant l’alternance à travers la confiscation du pouvoir par des élections truquées."
"La Françafrique est toujours vivace"
En s’appuyant sur un chef d’État longtemps jugé peu fréquentable pour renforcer la force militaire française sur le continent, François Hollande s’expose ainsi à un procès en néo-colonialisme. "La présence française n’a jamais été aussi importante en Afrique que maintenant, on le voit au Tchad, on le voit au Niger, ou en Côte d’Ivoire, observe Marc Perelman. Ces questions de souveraineté sont très sensibles dans ces pays qui ont été colonisés par la France et qui ne voudraient pas, aujourd’hui, qu’elle y reste ad vitam aeternam."
"Le candidat Hollande avait fait la promesse de mettre fin à la Françafrique, mais le fait que Paris ait été obligé d’intervenir dans un certain nombre de pays africains lui impose d’avoir des comportements qui y confinent, note pour sa part Mustapha Tossa. La Françafrique est toujours vivace sous François Hollande. Et on ne voit pas comment il peut s’en débarrasser tellement la France est embourbée sur ce terrain."