Entretien avec M. Soumaïla Abdoulkarim, Secrétaire général de l’UAT : «L’UAT est aujourd’hui une institution ’’fréquentable’’ du point de vue activités, mais aussi du point de vue gestion»
Notre compatriote Abdoulkarim Soumaïla, a été reconduit récemment au poste de Secrétaire général de l'Union africaine des télécommunications (UAT). A l'occasion de son passage au pays, il nous a accordé cet entretien dans lequel, il a parlé de la situation de l'institution, les priorités pour son second mandat, mais a aussi évoqué d'autres questions d'actualité en rapport notamment avec le processus de migration vers le numérique. Le Secrétaire général de l'UAT est ainsi revenu sur le contenu de ce concept, l'évolution du processus au niveau des Etats membres de l'UAT, les difficultés et défis auxquels ils font face, mais aussi les enjeux et les dividendes de la transition numérique.
Monsieur le Secrétaire général, pouvez-vous brièvement dire à nos lecteurs, les principales missions de l'Union africaine des télécommunications (UAT)?
Avant de répondre à votre question, permettez-moi d'abord de remercier les autorités nigériennes qui m'ont toujours accompagné durant mon mandat et pour ma réélection. J'ai bénéficié d'un grand appui des autorités au plus haut niveau, des ministères en charge des Télécommunications, de l'Autorité de régulation. Je suis convaincu que quand on n'a pas un soutien aussi fort, il est fort difficile, quelles que soient les capacités humaines dont on dispose, de prétendre à être élu à un poste comme celui-là. C'est pourquoi, je tiens à remercier le gouvernement et tout le peuple nigérien pour ce soutien.
Pour revenir à votre question, l'Union africaine des télécommunications (UAT) est une institution spécialisée de l'Union Africaine. Sa mission fondamentale, est de faire en sorte que les technologies de l'information et de la communication (TIC) soient un vecteur de développement socio économique pour les populations, que les TIC soient vulgarisées dans tous les Etats africains. Et l'UAT œuvre dans ce sens, elle prépare les textes et sensibilise les Etats membres. Au-delà, elle prépare les Etats pour les grandes conférences internationales où de grandes décisions sont prises. Ces grandes décisions demandent une harmonisation, une coordination des Etats africains parce que l'Afrique unie est toujours plus solide qu'un Etat membre seul. Cette démarche a aidé les Etats africains à atteindre leurs objectifs lors des grandes rencontres comme les conférences Radiocom où sont discutées les questions des fréquences. Or de nos jours, les fréquences sont devenues une source de devises importante pour les Etats, puisqu'on parle de licence 3G, 4G et bientôt 5G.
Vous venez d'être réélu pour un second mandat à la tête de cette institution, qu'est ce qui d'après vous, a été déterminant dans votre reconduction au poste de SG ?
Si on fait l'historique de l'UAT, il faut dire qu'au moment où nous avons pris service, l'institution connaissait, comme beaucoup d'autres institutions d'intégration, de grosses difficultés d'ordre financier et de gestion. Dieu merci, avec mon équipe, nous avons su redynamiser l'institution. Tout le monde était content du travail qu'on a fait en moins de deux ans, qui a fait que l'UAT est devenue une institution ''fréquentable'' du point de vue activités, mais aussi du point de vue gestion. Tous nos Etats membres, et tous nos membres associés, les partenaires sont unanimes que l'UAT aujourd'hui a changé. Ceci a favorisé notre réélection. Nous allons continuer ce travail là avec le soutien des Etats membres, puisque tout est conditionné par le paiement par les Etats membres de leurs contributions. Et c'est là le grand problème de nos institutions. Dieu merci, nous avons su gagner leur confiance et aujourd'hui on peut dire que l'UAT se porte financièrement bien et puis elle a gagné en dynamisme.
Comme on le voit vous avez abattu un travail considérable en redynamisant l'institution, lors de votre mandat écoulé ; quelles seront vos priorités pour ce deuxième mandat ?
Les priorités pour ce second mandat, c'est d'abord de consolider les acquis. Nous avons certes réussi à redresser la situation financière, mais elle est toujours instable. Il faut donc travailler davantage à la consolider. Deuxième priorité, c'est la préparation des différentes rencontres. Nous avons la conférence des plénipotentiaires de l'UIT (Union internationale des télécommunications) qui est l'instance suprême où tout ce qui concerne les TIC se décide. Nous sommes déjà en train d'y préparer les Etats membres. Une autre priorité, c'est la conférence Radiocom. Je pense que tout le monde doit faire de son mieux à ce sujet pour que les besoins des pays africains soient pris en compte lors de la conférence de 2015. Il y'a aussi le renforcement des capacités de nos Etats membres, la migration vers le numérique et la régulation dans le domaine des télécommunications. Il faut cependant préciser que l'UAT n'a pas vocation à investir, elle a vocation de créer un environnement favorable qui puisse permettre aux investisseurs de faire leurs affaires mais aussi permettre aux pays africains de tirer le dividende de ces investissements.
L'échéance pour le passage au numérique, est fixé à juillet 2015, êtes vous confiant quant à la capacité des pays africains à répondre présents à ce rendez-vous ?
Avant de parler de la capacité des Etats, je pense qu'il est bon de faire d'abord un état des lieux pour se dire où est-ce que nous étions et où est-ce que nous allons. La migration vers le numérique est un engagement que tous les pays africains ont signé. C'est ce qu'on appelle le plan de Genève 2006 (Ge06). A travers ce plan, les Etats ont senti qu'il y a un besoin de réorganiser les fréquences, qu'il y a de nouveaux besoins qui sont créés du fait de l'évolution technologique et enfin, il y a le besoin de fournir à nos populations des services de qualité. Le numérique dans le domaine de la radiodiffusion était né de l'évolution technologique, mais les télécoms étaient aussi analogiques. Seulement le passage au numérique dans le domaine des télécoms s'est passé sans tapage ; les réseaux ont été numérisés. Mais dans le domaine de la radiodiffusion ou télévision terrestre, ça se passe d'une autre manière parce que la radiodiffusion est un secteur très sensible ; c'est le domaine de l'information.
C'est pourquoi, pour préparer les Etats africains, nous avons pris le devant depuis 2012. Nous avons instauré un sommet sur la migration vers le numérique en Afrique où chaque année, on procède à un bilan à la suite des enquêtes menées pour savoir à quel niveau se situe chacun des Etats membres, quelles sont les difficultés rencontrées et on formule des recommandations. A ce jour, l'UAT a organisé trois sommets dont le dernier à Nairobi (Kenya). J'étais content que le ministre nigérien de la Communication y était ; il a certainement échangé avec ses homologues des autres pays pour savoir ce qui se fait ailleurs en vue d'en tirer les leçons.
D'une manière générale, il faut le dire, l'avancement dans le processus de migration est timide. A l'étape actuelle, il y a au maximum trois (3) pays africains qui ont presque achevé la migration. Dans les autres pays membres, il y'a certes des inquiétudes, mais cette inquiétude n'est pas synonyme de défaillance parce que nous avons au moins noté la volonté de tous les Etats membres d'aller de l'avant. Certains sont à l'élaboration de leurs stratégies, d'autres en ont déjà fini et ont même créé des comités au plus haut niveau de l'Etat, qui dirigent ce processus. Pour ce qui est de l'échéance de 2015, l'objectif est d'abord technique. Cela veut dire tout simplement qu'un certain nombre de fréquences ne seront plus protégées à partir de 2015 dans le domaine de la radiodiffusion ou télévision terrestre. Cela ne veut pas dire que le Niger ou tout autre pays doit changer tous ces équipements avant 2015. Mais le pays doit prendre des dispositions pour qu'en 2015 un certain nombre de fréquences dédiées à d'autres services soient libérées pour ces services ou alors si le Niger continue à faire de la télévision numérique terrestre sur ces fréquences, qu'il ne brouille pas les pays voisins qui vont utiliser cette bande de fréquences pour d'autres services. C'est ça l'objectif, mais il n'y a de feu, pour dire que si un pays ne migre pas d'ici 2015, tout sera arrêté, ce n'est pas ça.
Le Niger, comme d'autres pays de la sous région, a élaboré un document de Stratégie nationale de migration vers le numérique, dont vous avez certainement connaissance ; que pensez-vous de ce plan ?
Je pense que ce plan stratégique élaboré par le Niger est une étape comme dans tous les autres pays. J'étais au Niger quand le comité chargé d'élaborer ce plan a été créé, j'y avais travaillé en tant que rapporteur. On peut se féliciter que la stratégie ait été déjà adoptée par le gouvernement, il reste à présent à mobiliser les moyens pour financer sa mise en œuvre, puisque le travail technique a été déjà fait et le Niger a adopté toutes les normes qui ont été recommandées par l'UAT. La faisabilité de cette stratégie revient aux décideurs et j'estime que les pistes ne vont pas manquer à l'Etat du Niger pour trouver les moyens de financer sa stratégie. Nous ne pouvons que le féliciter et l'encourager et espérer que le Niger sera au rendez-vous de 2015.
Nos pays ont des difficultés à trouver les moyens de mettre en œuvre leurs plans au regard des coûts de cette migration vers le numérique. Dans la zone UEMOA, il y'a des tentatives d'aborder la question de manière groupée, est-ce une alternative crédible ?
Je pense qu'il ne faut pas aborder la question de financement en termes de difficultés de trouver les moyens. L'affaire des financements est aussi et surtout une question de volonté politique. C'est pourquoi, je suis intimement convaincu que si les Etats spécialement de l'Uemoa ou de la Cedeao, sont décidés à effectuer la transition numérique, ils trouveront les pistes à cet effet. Et je ne crois pas qu'il y ait des difficultés insurmontables pour financer la migration. Pour le cas du Niger, je ne me rappelle pas exactement du montant précis, c'est dans les 30 à 40 milliards de FCFA. Si le Niger a pu avoir les moyens pour réaliser son Backbone de fibre optique, ce pourquoi je l'en félicite, la volonté politique est certainement là pour que la transition vers le numérique voit aussi le jour. Cela parce que dans tous les cas, il y'a le dividende de cette transition qui, non seulement va permettre de vendre des fréquences pour faire la 3G, mais aussi d'améliorer la qualité des services fournis aux populations, de faciliter le travail des techniciens : plus de programmes et certainement moins d'encombrements dans le domaine de la maintenance. Il faut se le dire, nos équipements sont aujourd'hui vétustes et les pièces de rechange se font rares. Les Etats sont conscients de cet état de fait.
Les profanes que nous sommes, croyons qu'à partir de juillet 2015, tous nos postes téléviseurs traditionnels et même nos fréquences télévisions ne nous serviront à rien ; est ce que ces inquiétudes là sont fondées ?
Non, ces inquiétudes ne sont pas fondées. Cela ne veut pas dire qu'en 2015, le signal de l'ORTN sera arrêté. Je l'ai dit tantôt, 2015 est une échéance technique. Les gens peuvent garder leurs télévisions ; ils peuvent ne même pas passer au numérique. Tout dépend de comment ils vont gérer la situation. Aucun signal de télévision ne sera non plus arrêté, mais on peut dire qu'il ne sera pas protégé. L'important, c'est comme je l'ai souligné tantôt, il y a les deux aspects qui comptent : l'aspect technique et l'aspect qualité parce qu'en poursuivant avec l'analogique jusqu'en 2020, certainement les gens n'auront plus les pièces de rechange pour faire marcher les vieux équipements. L'autre aspect, c'est que nous voulons d'autres services dans le domaine des TIC. Et si nous n'avons pas libéré ces fréquences dans un pays donné, il est difficile qu'un opérateur puisse passer à la phase 4G ou même 5G qui est déjà en train d'être élaborée. On ne peut pas non plus développer la large bande si on n'a pas ces fréquences. Mieux dans un pays comme le Niger, où c'est le mobile qui est développé on a certainement besoin de cette bande pour que l'internet soit développé. Le Niger et tous les autres Etats africains ont compris aujourd'hui qu'on ne peut pas faire de la large bande sans le mobile et ce dernier a besoin de spectre de fréquences pour se développer. Mais la télévision ne va s'arrêter je vous l'assure.
De même, on pense que la migration vers le numérique va engendrer des coûts pour les populations. On se demande alors pour quel avantage ? Sinon, est-ce que cette migration ne profite-t-elle pas plus, sinon exclusivement aux grands fabricants de matériels ?
Pas du tout, les grands fabricants ne jouent pas à çà. C'est une technologie qui est là. Aujourd'hui quel que soit le pays donné, dès que les gens fussent-ils des investisseurs, arrivent l'une des premières choses à laquelle, ils s'intéressent ce sont les services de TIC. Les gens ont besoin de services de qualité et performants. L'industrie n'a pas inventé la migration pour ses avantages, mais elle a créé quelque chose pour que la qualité des services soit toujours améliorée. Et les Etats ont intérêt et même l'obligation pour que les services soient fournis aux populations. Si vous avez la 3G ou la 4G aujourd'hui, vous pouvez faire diverses utilisations. A cela, il faut ajouter que nos pays ont une population majoritairement jeune, donc tournée vers les TIC. C'est important pour nous de faire en sorte que ces technologies soient disponibles. Et je ne pense pas que c'est dans l'intérêt des grands groupes de développer ces technologies mais plutôt dans celui des Etats et de leurs populations. En effet, toutes nos activités aujourd'hui sont soutenues par les TIC qui sont devenues le moteur de nos activités économiques. C'est pourquoi, il faut créer les conditions pour que ces technologies soient non seulement disponibles, mais aussi utilisées à bon escient. Et je suis sûr que les Etats auront un retour sur l'investissement.