Niamey, Acharnement de l’Etat à son encontre pour les uns, comportement indigne pour les autres : la fuite du chef des députés nigériens, principal opposant au président, dépasse le strict cadre du trafic de bébés conçus au Nigeria pour lequel la justice veut l’entendre.
Le camp d’Hama Amadou dénonce avec fracas une utilisation de la justice dans un but politique par le président Mahamadou Issoufou, dont il avait permis l’accession au pouvoir en avril 2011.
Le climat politique s’est progressivement vicié à Niamey depuis son passage dans l’opposition en août 2013, qui lui a fait gagner le statut de principal adversaire du chef de l’Etat pour la présidentielle de 2016, selon ses partisans.
En 2014, l’Etat a alterné arrestations et remises en liberté de militants, syndicalistes et surtout d’opposants.
Six proches de M. Amoudou, emprisonnés depuis trois mois pour "atteinte à la liberté de l’Etat" ont ainsi été élargis mardi. Le lendemain, le bureau politique de l’Assemblée nationale autorisait, sur demande du gouvernement, l’audition de son chef par la justice.
"Tout le monde sait dans ce pays que (les autorités) ont tenté de diverses manières de débarquer Hama Amadou : d’abord par un vote (de défiance) des députés aux deux tiers, puis par le biais de la Cour constitutionnelle, mais ils n’ont pas pu", a expliqué Souley Oumarou, son avocat, à l’AFP.
"Par le biais de la justice", "on veut mettre hors d’état de nuire le président de l’Assemblée nationale", le procureur ayant "adressé une requête aux fins +d’arrêter+" M. Amadou et non de "simplement l’auditionner", a affirmé son défenseur, qui dénonce un "acharnement" du pouvoir.
Le Mouvement démocratique nigérien (Moden), son parti, se montre très virulent. Pour le régime, "il faut harceler, isoler et abattre Hama par tous les moyens", tempête-t-il, critiquant un "dossier judiciaire fallacieux, savamment coordonné par le président de la République".
Depuis deux mois, le Niger vit au rythme de l’évolution de l’enquête sur un trafic international de bébés entre le Nigeria, où ils ont été conçus, le Bénin et le Niger. Des cadres politiques et économiques nigériens seraient
impliqués.
- ’Preuve de mépris’ -
Dix-sept personnes, dont l’une des épouses d’Hama Amadou, ont été inculpées fin juin pour "supposition d’enfant" (délit qui consiste à attribuer la maternité d’un enfant à une femme qui ne l’a pas mis au monde), "faux et usage de faux" et "déclaration mensongère", puis écrouées.
Lui "n’a pas fui pour ce qu’on lui reproche, mais il s’est mis à l’abri contre une procédure illégale" prise par "des gens qui veulent sa peau", a affirmé Me Oumarou. "Comme cela, il a la chance d’être candidat en 2016. S’ils l’avaient pris, ils ne l’auraient jamais libéré avant 2016."
La majorité tient évidemment une position diamétralement opposée.
"Personne ne l’aurait touché s’il ne s’était pas lui-même empêtré dans une affaire criminelle de trafic d’êtres humains", s’indigne Iro Sani, le porte-parole du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir).
Et d’ironiser, dans un entretien avec l’AFP : "les autres personnes qui sont en prison (dans cette affaire), c’est aussi pour les empêcher d’être candidates en 2016 ?"
Le ministre nigérien de l’Agriculture Abdou Labo, dont l’une des épouses fait partie des femmes détenues, a été incarcéré samedi.
La fuite du président du Parlement mercredi au Burkina Faso, "qui ne le grandit pas", est qualifiée de "preuve de mépris" pour l’institution judiciaire par M. Sani, qui montre au peuple nigérien "le vrai visage" d’Amadou, "un aventurier" capable de "se soustraire à la justice".
Celle-ci attend une décision du Conseil constitutionnel, saisi par M. Amadou, qui conteste "la légalité" de la décision du bureau de l’Assemblée nationale, pour aller plus en avant sur son cas, a déclaré jeudi soir Boukary Sally Ibrahim, le procureur de la République.
"Si la Cour confirme le caractère légal de cette autorisation, le juge d’instruction va convoquer Hama Amadou. S’il constate qu’il n’est (toujours) pas là, (...) il va émettre un mandat d’amener", qui pourrait conduire à l’émission d’un "mandat d’arrêt international", a-t-il expliqué.