L’effroyable assassinat en Algérie de l’otage français Hervé Gourdel mercredi 24 septembre par les djihadistes de « Jund al-Khilafah » a mis en lumière la capacité de l’Etat islamique à s’appuyer sur des alliés locaux pour mener ses actions, y compris en Afrique. Fort d’importants relais au Maghreb et en Afrique subsaharienne, le mouvement qui a déclaré, en juillet 2014, un Califat à cheval entre la Syrie et l’Irak, pourrait entrainer dans son sillage d’autres groupuscules. Et ce malgré les discriminations pratiquées en interne à l’égard des combattants djihadistes africains.
En prenant appui sur plusieurs groupes terroristes présents en Afrique comme le Mujao, Ansar al-Charia et AQMI, l’EI pourrait gagner du terrain dans la sous-région du Sahel. Une zone d’importance stratégique pour le leader Abou Bakr Al-Baghdadi qui souhaite y étendre son influence.
Des réseaux en Afrique du nord
L'Etat islamique dispose d’abord d’une entrée possible au Maghreb via le groupe Ansar al-Charia et son leader Abu Iyad qui opère en Tunisie. Les anciens combattants d’Afghanistan ont par ailleurs contribué à établir les fondements d’un émirat islamique dans le pays en demandant au commandant libyen Abou Hafs d’assurer la coordination entre la branche tunisienne et libyenne de l’EI.
Par ailleurs, le premier émirat islamique en Afrique du nord a pour capitale Derna, une ville située dans la région de cyrénaïque à l’est de la Libye. Aujourd’hui bastion d’un Islam radical, Derna a été un foyer de résistance au régime de Mouammar Kadhafi et l’une des premières villes à se soulever contre l’ex « Guide ». Dans ce fief conservateur niché au creux des montagnes, un islam radical s’est développé sous la houlette de Soufiane Ben Qoumou, l’un des fondateurs d’Ansar al Charia que l'on présente aussi comme l'émir d'Al-Qaida dans l'est libyen. Cette nébuleuse dispose également d'un deuxième représentant à Derna, Abd al-Bas et Azzouz, émissaire d’Al-Qaïda spécialement envoyé en Libye par le leader du mouvement, Ayman al-Zawahiri, afin d’y construire un réseau. L’EI trouve dans ce mouvement d’importants soutiens.
Aujourd’hui, on compterait environ 5000 combattants de l’Etat islamique présents en Libye et en Tunisie.
Enfin au Maroc, où plusieurs cellules dormantes du mouvement Daech ont été démantelées récemment, les autorités font état d’un « nombre croissant » de ressortissants du royaume dans les rangs djihadistes en Syrie et en Irak. Ils seraient plus d’un millier de combattants marocains à se battre en Syrie, et l’inquiétude grandit dans le pays depuis un an face à leur retour.
Expansionnisme
L’EI, qui a proclamé le 29 juin 2014 le rétablissement du califat sur les territoires irakiens et syriens qui sont sous son contrôle nourrit donc de vastes ambitions. En s’affranchissant progressivement de la nébuleuse Al-Qaïda depuis 2013, ce mouvement et ses décideurs ont réussi à étendre leurs tentacules au Maghreb et au Sahel avec le concours des organisations djihadistes locales.
Le lien entre l’Etat islamique en Iraq et au Levant et les organisations djihadistes en Afrique s’est noué notamment à travers les combattants nord africains, en particulier tunisiens et libyens, qui ont bataillé en Syrie sous la bannière du Front Al-Nosra.
Apparu dans le contexte de la guerre civile syrienne, le mouvement en question prendra également le nom d’Al-Qaïda fi Bilad ash-Sham, « Al-Qaïda au Levant » (Aqal). Des milliers de nord africains venus combattre contre le régime tyrannique de Bachar Assad viennent grossir ses rangs pendant les combats.
Les djihadistes africains discriminés
Sur le front, l’entente n’est pourtant pas toujours au beau fixe. Sous la férule d’Abou Mohammad Al-Joulani, le leader d’Aqal, les combattants nord africains font l’objet de discriminations. Surnommés les « Mouhajiroune » (les migrants), ils se sentent vite marginalisés et rejoignent, pour nombre d’entre eux, les rangs de l’EI avant de rentrer dans leur pays d’origine.
Selon les témoignages des proches de djihadistes nord africains ayant combattu en Irak durant la première et la deuxième guerre du Golfe en 1990 et 2003, les maghrébins ont toujours été postés en première ligne, formant parfois un bouclier humain.
« Les maghrébins n’ont jamais eu une place qui leur sied dans la région du Levant. De nombreux moudjahidines maghrébins ont participé aux deux guerres du Golfe dans le but de débarrasser la région de la présence des croisés. Leur foi et leur ferveur ont fait d’eux des combattants dignes et ils ne reculaient devant rien. Ils dédiaient leurs corps au créateur et croyaient fermement en le paradis en mourant l’arme à la main dans l’accomplissement de la guerre sainte. Mais malheureusement ils étaient trahis par les combattants locaux qui les exposaient au risque alors que même leurs armes étaient souvent défaillantes (…) » explique le proche d’un djihadiste ayant combattu en Irak en 2003.
Un autre abonde dans le même sens : « Aller mourir dans la région du Levant est une entreprise perdue d’avance surtout pour les maghrébins et en particuliers les algériens. Aussi bien en Syrie, en Iraq qu’au Liban, les combattants algériens ont marqué leur passage par leur ferveur et leur courage. Ils ne reculent jamais devant l’ennemi et ils n’ont jamais perdu la vie avec une balle dans le dos. Mais ils ont toujours fini trahis et abandonnés par ceux qu’ils sont partis soutenir à des milliers de kilomètres de chez eux ».
Menace sur le Sahel
Au Sahel, L’EI avance aussi ses pions. Le leader mauritanien du Mujao, Hamada Ould Mohamed Khayrou, qui a à son actif plusieurs attentats contre les services de sécurité algériens, est la principale cheville ouvrière de cette avancée.
Même s’il s’est affranchi de Mokhtar Belmokhtar, l’émir algérien d’AQMI, pour créer le Mujao qui rassemble des djihadistes subsahariens, Ould Mohamed Khayrou entretien toujours de bons rapports avec lui. Or ce dernier tisse actuellement des liens avec l'EI. Après avoir prêté allégeance à l’EI, le leader du Mujao a par ailleurs créé à Gao, un Conseil de la magistrature destiné à appliquer la charia. « Nous avons réussi à régler de nombreux litiges. La loi coranique nous sert à trancher et rendre justice » a-t-il annoncé le mois dernier.
Même si pour des raisons de compétition, le chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdal refuse pour le moment de prêter allégeance à l’EI, beaucoup de ses cadres ont cependant rejoint les rangs de ce mouvement. Cette situation nouvelle fragilise les fondements d’Al Qaida qui perd de plus en plus de terrain. Le mois dernier, une réunion s'est tenue entre Mokhtar Belmokhtar et un émissaire de l'Etat islamique dans la région libyenne d'Oubari, à l'est. Cette rencontre a permis la naissance de l’Etat islamique au Maghreb Islamique (EIMI) sous l'égide de Belmokhtar. Une organisation en passe de ravir la vedette à Al Qaida au Maghreb Islamique AQMI qui est en perte de vitesse depuis ces dernières semaines.