Depuis avril dernier, trois sites d’or découverts dans le nord du Niger provoquent un branle-bas de combat sans précédent dans la région. « Tout Agadez a la fièvre de l’or », commente une habitante. La ville savoure des récits de fortunes vite faites ou de ruines tout aussi subites. Certains ont tout vendu pour partir. D’autres ont gagné beaucoup, échangeant leur or contre des véhicules Hilux de contrebande venus de Libye. Quelques-uns sont morts : de maladie, de chaleur ou de désespoir.
Les bandits de la capitale caravanière sont partis à la recherche de l’or ou des chercheurs d’or à détrousser. La ville profite de cette accalmie inespérée. A deux pas de la mosquée historique, une boutique propose des détecteurs à bon prix. L’hôtel de l’Aïr est plein d’orpailleurs épuisés, reprenant des forces après l’épreuve et dépensant sans compter avec les filles. Devant le centre artisanal, des rabatteurs alpaguent les orpailleurs pour revendre l’or à des commerçants vêtus de boubous en tissu luxueux venus du Sud. Du Niger ou même de la Côte.
Les Tchadiens aux avant-postes
Au-delà des Touaregs, des Toubous et de quelques Arabes, les populations nomades des sites concernés, l’or attire des Soudanais, des Tchadiens et quelques Libyens.
Le premier site a été découvert dans le Djado, au nord-est du pays, en avril. Au milieu de nulle part, à 400 kilomètres au nord de la ville la plus proche, Dirkou, le site est actuellement officiellement fermé et bouclé par l’armée. Officiellement. Car certains, bien équipés et déterminés, contournent les positions militaires pour poursuivre leur quête. Dans le Djado, l’or est en surface, accessible aux néophytes mais tout le monde reconnaît que les meilleurs pour le trouver, ce sont les Soudanais et les Tchadiens, les mieux équipés et les plus aguerris.
Au plus fort de la ruée, avant le Ramadan, on a compté jusqu’à 30 000 personnes sur place, vivant sur un vaste campement dispersé, organisé dans un juteux commerce d’eau, de carburant, de véhicules, de nourriture et même de films vidéo projetés sous une tente climatisée à prix… d’or.
Toutes les transactions sont opérées en or, le gramme étant échangé à environ 15 000 francs CFA (23 euros). L’eau est la denrée la plus chère, acheminée à partir du premier puits, à 80 km du site, un bidon de 30 litres étant vendu un gramme d’or.
Cent pick-up de l’armée tchadienne, dit-on, conduits par le propre frère d’Idriss Déby, étaient venus, dans le but de chercher de l’or mais aussi de prendre position le long de la frontière algérienne. Les autorités nigériennes se sont inquiétées. Avec la fermeture du site aurifère, début août, les Tchadiens sont rentrés à la maison et ont été attaqués, sur le chemin du retour, par des compatriotes toubous. Les représailles ont fait plusieurs dizaines de morts.
Depuis, les Tchadiens sont beaucoup plus discrets et font travailler des Soudanais.
Les citoyens contre l'Etat
La fermeture « temporaire » du site avait été annoncée en conseil des ministres en mai dernier mais il a fallu plusieurs mois pour la mettre en œuvre. En effet, les populations locales, notamment les Toubous, qui estiment avoir un droit sur les ressources de leur sous-sol, étaient vent debout contre cette mesure, même si elle était présentée comme nécessaire pour des raisons de sécurité, de santé, d’hygiène, de dégradation de l’environnement etc.
En juillet, une mission officielle conduite par la SOPAMIN (Société du Patrimoine des Mines du Niger) s’est déplacée sur le site et a rencontré l’hostilité des populations locales, qui préconisaient une fermeture sélective pour les étrangers.
Officiellement, il s’agissait par cette mesure de fermeture de réguler l’orpaillage au profit des citoyens nigériens, en distribuant des permis miniers à petite échelle aux orpailleurs individuels.
« L’orpaillage constitue, à l’heure actuelle, l’unique espoir de ces populations car tous les bras valides (y) sont occupés », écrit la SOPAMIN dans son rapport de mission. Elle évoque encore « la méfiance de la population vis-à-vis de l’Etat, par rapport au respect des engagements (réouverture du site après un mois) » et dénonce, en son nom, « le prélèvement quotidien sur le site d’un gramme d’or par détecteur. »
En effet, la commune du Djado et les forces armées nigériennes déployées sur place prélevaient un impôt informel d’un gramme d’or par jour et par détecteur sur tous les orpailleurs, qu’ils aient ou non trouvé de l’or.
D’ailleurs, la mission ne dit pas autre chose en insistant, en conclusion, sur « la grande défiance des populations à l’égard des autorités administratives locales et sécuritaires qui perçoivent plusieurs taxes aux différents postes de sécurité, qui ne rentrent ni dans les caisses de l’Etat ni dans celle des collectivités. »
Un site aux mains des ex rebelles touaregs
Le mandat de la SOPAMIN est ambitieux. Il s’agit pour elle, en principe, d’organiser une exploitation industrielle, de contribuer à l’organisation du site, d’installer un comptoir d’or et d’équiper les orpailleurs. Belle mission ! Malheureusement, la prédation naturelle des institutions et l’insécurité galopante de la région risquent de réduire à néant ce beau projet patriotique.
L’armée déployée sur place, après avoir interdit l’accès aux citernes d’eau pour chasser la foule des orpailleurs, est en train d’exploiter le site nuitamment, avec des manœuvres recrutés sur place par les officiers. Fermé début août, le site n’était toujours pas rouvert mi-octobre. La fermeture « temporaire » s’installe, au risque de susciter la colère des ressortissants de la région.
Dans l’intervalle, deux autres sites, encore non réglementés par l’Etat, ont été découverts, à quelques kilomètres seulement de la frontière algérienne, à l’extrême nord de l’Aïr. Le puits le plus proche, à 100km de là, Tchibarakaten, a donné son nom aux deux sites. L’ancienne rébellion touareg, le Mouvement nigérien pour la Justice (MNJ), contrôle les lieux. L’armée nigérienne n’est pas encore déployée. Une mission militaire est venue un jour, de passage, a exigé 100 grammes d’or par véhicule, puis est repartie avec l’argent.
Moussa revient tout juste de Tchibarakaten.
« Je n’avais pas les moyens de contourner l’armée pour aller dans le Djado. Donc j’ai préféré aller à Tchibarakaten. J’ai payé ma place avec deux amis dans un véhicule 4X4 qui nous a emmenés là-bas, pour 140 000 francs CFA par personne. On était 22 personnes dans un 4X4 surchargé conduit par des fraudeurs (contrebandiers qui font la navette à la frontière algérienne). On a roulé pendant six jours à partir d’Agadez », raconte-t-il.
Moussa avait acheté un détecteur d’occasion, à 450 000 francs CFA. Les trois hommes avaient aussi en leur possession un deuxième détecteur prêté par un ami.
Arrivés sur place, ils ont trouvé une base, avec beaucoup de gens. « C’est comme une grande ville. Il n’y a pas de puits. On achète l’eau à des commerçants qui utilisent des citernes algériennes. On trouve tout : des cartes de crédit téléphonique pour téléphones satellite, de l’eau (4 à 5 g d’or les 200 litres d’eau), des moutons, des garages. Les vendeurs sont soit des Algériens soit des commerçants chassés du Djado. »
Soudanais, Tchadiens, Algériens, Libyens. Les gens s’installent par affinités. « Il y a des Arabes barbus qui cherchent l’or aussi mais je ne sais pas d’où ils viennent. »
"Aller un peu voler en Algérie"
Au bout de deux jours, Moussa et ses amis ont compris qu’ils ne trouveraient rien, faute d’équipement. Sur ce site, l’or n’est pas en surface. Il faut creuser des tunnels de 10 à 14 mètres, avec des vérins et des marteaux et ensuite passer au détecteur la terre et la roche remontées des profondeurs. Chaque groupe travaille dans son tunnel.
Du coup, Moussa a cédé à la proposition d’un de ses amis fraudeur, « d’aller un peu voler en Algérie. » Mais, tout l’or ayant déjà été ramassé à proximité de la frontière, ils se sont enfoncés en territoire algérien, à 57 km de la frontière, au sud-est de Tamanrasset. « On est partis vers 17h00 et on est arrivés vers 21h00. Le véhicule est reparti se cacher et nous, on a creusé. On avait vu des gens devenir riches comme ça, donc on croyait vraiment qu’on allait trouver de l’or. Mais on n’a rien trouvé. »
Le temps de passer un coup de fil du téléphone satellite à son ami chauffeur, voilà que trois véhicules de l’armée algérienne les interceptent. « On croyait que c’était notre camarade, donc on lui faisait des signes avec des lampes. Ils roulaient tous feux éteints. Ils ont caché leurs véhicules derrière la colline et ils ont attendu l’arrivée de notre camarade. »
« Ils nous ont bandé les yeux et emmenés à la base militaire voisine. Ils nous ont insultés, traités de voleurs, interrogés et gardés pendant deux semaines, en nous menaçant de la prison. Mais on était bien traités et ils nous donnaient à manger. »
Au bout de deux semaines, les soldats algériens relâchent les trois hommes, confisquent leur véhicule et jettent le propriétaire de la voiture en prison.
« On a fait 58 km à pied pour rentrer jusqu’à la base. On se cachait pour ne pas être surpris. Ils nous ont relâchés le soir et le lendemain matin à 7h00, on était arrivés. On a croisé des voitures calcinées, probablement bombardées par hélicoptère. »
D’après Moussa, l’exploitation est organisée par des patrons, Touaregs et Arabes, souvent ex MNJ, qui font travailler des manœuvres nourris, logés et payés en or. « Les Tchadiens et les Soudanais, qui ne creusent pas, entrent en Algérie. »
Il existe probablement une contrebande organisée, avec des complicités, dans cette partie aurifère de l’Algérie. Car certains Nigériens très bien informés ont parfois « trouvé » un kg d’or dans la nuit. Mais il existe aussi une pression de plus en plus grande sur les réserves algériennes. Et l’armée algérienne n’hésite pas à ouvrir le feu, y compris par hélicoptère. Plusieurs récits d’orpailleurs tués sur le territoire algérien circulent dans la région.
Début octobre, l’armée populaire algérienne a annoncé avoir « éliminé cinq criminels et blessé quatre autres dont un de nationalité libyenne », dans un communiqué indiquant que les hommes armés étaient à bord de deux 4X4 et qu’il s’agissait d’une tentative d’infiltration à partir du Niger. Trois jours plus tard, le même ministère de la Défense faisait état de l’arrestation de 20 personnes, 12 Soudanais et 8 Tchadiens, qualifiés de « criminels », dans la même région proche de Tirrin. La même zone, justement, où Moussa a renoncé à son rêve doré.