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De l’obstacle au bien-être des peuples : Analyse du Professeur Farmo Moumouni du livre de Carlo Maria Cipolla: «Les lois fondamentales de la stupidité humaine»
Publié le mardi 11 novembre 2014   |  Nigerdiaspora




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L’excellent livre de Carlo Maria Cipolla : «Les lois fondamentales de la stupidité humaines» est passé inaperçu en Afrique. Pourtant, ce livre, pour reprendre les propos de l’auteur, est «le résultat d’un effort constructif visant à détecter, à connaître et peut-être neutraliser l’une des plus puissantes forces obscures qui entravent le bien-être et le bonheur de l’humanité».

En Afrique, la pauvreté, la famine, la malnutrition, l’analphabétisme, la maladie, la mal gouvernance, et d’autres fléaux ont été reconnus comme des causes annihilantes de notre bien-être et de notre bonheur. Jusqu’ici, personne n’a envisagé d’ouvrir cette liste, afin d’y faire entrer la stupidité comme une des causes probantes de l’adversité dans laquelle nous vivons. Le présent article explore cette voie.
1. La stupidité selon Cipolla
L’historien Carlo Maria Cipolla a eu le mérite de sortir la stupidité du trivial pour l’introduire dans le rationnel. La stupidité, avec la minutieuse étude qu’il lui consacre, apparait sous des aspects inattendus. Elle n’est pas seulement le propos outrageant que nous jetons sans discernement à la face de ceux qui nous agacent, elle est aussi une catégorie, c’est-à-dire à la fois un caractère de l’homme, et une classe dans laquelle nombre d’êtres humains peuvent être rangés.
La stupidité se donne comme un phénomène constant et universel. De l’apparition de l’homme à nos jours, elle marque toutes les époques de notre histoire. Elle sévit dans toutes les régions du monde, au sein de toutes les races et de toutes les cultures. Elle affecte le riche et le pauvre, le savant et l’ignorant, l’individu et le groupe, les masses et les élites, les hommes et les femmes, les pays développés et les pays du Tiers-monde, les gouvernants et les gouvernés.
Pour le professeur Cipolla, «Est stupide celui qui entraîne une perte pour un autre individu ou pour un autre groupe d’autres individus, tout en n’en tirant lui-même aucun bénéfice et en s’infligeant éventuellement des pertes». La stupidité se reconnait donc dans l’action qui ne génère aucun bénéfice ni pour son auteur ni pour autrui.
2. Banditisme, crétinerie et intelligence
Carlo Cipolla établit une distinction entre le banditisme, la crétinerie, l’intelligence et la stupidité. Lorsqu’une action menée par autrui lui procure un gain et nous cause une perte, il faut parler de banditisme. La crétinerie se dit de l’action que nous menons, qui procure un bénéfice pour autrui, mais nous cause une perte. L’intelligence consiste à mener une action qui nous procure un bénéfice, en même temps qu’elle sert les intérêts des autres. Le vivre-ensemble nous met quotidiennement en relation avec des bandits, des crétins, des personnes stupides, et des êtres intelligents. Alors que nous sommes constamment exposés aux actions des trois premières catégories d’individus, les actions des personnes intelligentes demeurent intermittentes.
3. De la stupidité et de ses caractéristiques
3.1 La stupidité est indépendante de la culture, de l’éducation, de la race, de la société dans laquelle on vit, et de toutes les autres caractéristiques de l’être stupide «Tel individu est stupide de la même façon que tel autre a les cheveux roux; on appartient au groupe des stupides comme on appartient à un groupe sanguin. L’homme stupide naît stupide par la volonté de la Providence». La stupidité «est la chose du monde la mieux partagée».
3.2 Toute société humaine quelle que soit sa dimension a sa portion d’êtres stupides : il existe «le même pourcentage d’individus stupides dans les groupes humains les plus nombreux comme les plus restreints».
3.3 Ce qui distingue la stupidité de la crétinerie, du banditisme et de l’intelligence, c’est la constance. «Les êtres stupides sont fondamentalement et inébranlablement stupides», ils agissent de manière stupide dans toutes les circonstances. Les individus des trois autres catégories peuvent agir autrement. En effet, les crétins peuvent dans certaines circonstances agir intelligemment ou de manière stupide, les bandits peuvent agir de manière stupide ou intelligente. Les êtres intelligents peuvent agir de manière stupide ou comme des crétins. La catégorie des crétins peut être subdivisée en crétins à tendance stupide, et crétins à tendance intelligente. La catégorie des bandits comprend des bandits à tendance stupide, et des bandits à tendance intelligente. Parmi les êtres intelligents, certains sont portés vers la stupidité.
3.4 En raison de leur grande capacité de nuisance : celle de causer des pertes à leurs concitoyens et à leurs sociétés, les personnes qui forment la catégorie des stupides sont les plus dangereux. «L’individu stupide, dit Cipolla, est le type d’individu le plus dangereux».
3.5 La capacité de nuisance des êtres stupides augmente lorsqu’ils investissent le domaine politique : « Le potentiel d’un être stupide est lié à la position de pouvoir et d’éminence qu’il occupe dans la société. Parmi les bureaucrates, les généraux, les hommes politiques et les chefs d’État, on trouve sans peine de superbes exemples d’individus fondamentalement stupides dont la facilité de nuire est ou a été beaucoup plus redoutable par la position de pouvoir qu’ils occupent ou occupaient».
4. L’Afrique à l’épreuve de la stupidité
Au regard de ce qui précède, l’Afrique a des raisons valables et urgentes d’identifier et de mettre hors d’état de nuire les êtres qui par leur stupidité, compromettent son bien-être et son bonheur.
4.1 Distribution des 4 catégories
Je crois qu’il y a plus de bandits et de personnes stupides, que de crétins et de personnes intelligentes dans les sphères de la politique en Afrique. Les bandits se bousculent aux portillons de la politique, ils y entrent en grand nombre, parce que la politique en Afrique est le lieu par excellence où l’on s’approprie ce qui appartient aux autres; c’est le chemin le plus court pour s’enrichir. Les stupides prolifèrent en politique parce qu’ils ne rencontrent aucune résistance. Les crétins, dans un milieu où chacun ne pense qu’à lui-même et à ses intérêts propres, ne sont présents qu’en nombre infime. Les êtres intelligents quant à eux, ont tendance à s’éloigner des sphères politiques, et à poser sur la classe politique un regard méprisant.
4.2 Les personnes intelligentes
Rappelons ici que l’intelligence n’est liée ni à la race, ni à l’éducation, ni au statut social. La personne intelligente est celle qui en agissant a en vue l’intérêt de tous : le sien et celui des autres. Il y a donc des personnes intelligentes dans le groupe des riches comme dans le groupe des pauvres, chez les intellectuels comme chez les paysans, dans le groupe des hommes comme dans celui des femmes. Les personnes intelligentes ont deux défauts principaux : l’autosatisfaction et le laxisme. Elles se félicitent de n’appartenir ni à la catégorie des bandits, ni à celle des crétins ou des stupides qu’elles méprisent. Mais les personnes intelligentes ne font pas que mépriser les autres, elles se retirent dans leur satisfaction et laissent le champ libre aux actions des autres.
4.3 Les bandits
Le milieu politique africain, plus que tous les autres, s’apparente à un repaire de bandits. En effet, les scandales politico-financiers dont l’Afrique détient le malheureux record; les détournements de deniers publics qui engraissent nos administrateurs et nos politiques; les passe-droits et les bakchichs qui infestent les échelons de l’administration et les maillons de la politique; les pratiques corruptives qui gangrènent nos sociétés, les rackets des forces de l’ordre dans nos villes, et ceux de nos douaniers aux frontières, sont l’œuvre de bandits confortablement installés dans les instances qui ont pour mission d’assurer le bon fonctionnement de nos États et notre le bien-vivre.
4.4 Les crétins
Dans nos pays, les crétins se recrutent au sein des partis politiques, dans les organisations de la société civile, dans le cercle des ministres, le gotha les conseillers techniques et occultes, dans la troupe des flagorneurs et des thuriféraires, parmi les éléments des forces de défense et de sécurité, chez les élites intellectuelles et économiques, dans les rangs des masses paysannes, mais aussi dans la classe ouvrière, et dans le groupe des fonctionnaires. Les recrues forment une foule béate d’individus qui soutiennent les chefs, parfois les vénèrent, pendant qu’ils œuvrent à leur perte, c’est-à-dire à la démolition de leur pays.
4.5 Les stupides
Les êtres stupides, ceux qui par leurs actions, par leurs propos, par la position qu’ils occupent, le pouvoir qu’ils détiennent ou la puissance qu’ils possèdent exercent une influence néfaste sur notre présent, compromettent notre avenir; et qui, au demeurant, n’en tirent aucun bénéfice, se trouvent en majorité dans les hautes sphères de nos sociétés, et au sommet de nos États. En pillant les ressources de nos pays, en portant atteintes à nos libertés fondamentales, en nous affamant, en triturant les lois fondamentales, en tordant le cou aux élections, en refusant l’alternance, en s’accrochant au pouvoir, ils retardent leur perte, en précipitant la nôtre.
Les observations empiriques de la vie politique africaine permettaient déjà de tirer de telles conclusions. En effet, des chefs africains tels le colosse Idi Amin Dada ou l’empereur Jean Bedel Bokassa confirmaient cette conception. Et, le cas de l’homme fort du Burkina Faso chassé par le peuple en furie, vient appuyer cette manière de voir. Aujourd’hui, la théorisation de la stupidité permet de dire que la majorité des chefs politiques africains appartient à cette catégorie éminemment dangereuse.
Les chefs de guerre et les chefs religieux qui, dans nos États multiethniques et laïcs, élèvent les uns contre les autres, appartiennent aussi à cette catégorie. Ils prétendent défendre les intérêts de leurs groupes ethniques ou ceux de leurs coreligionnaires, mais ils les desservent. Au demeurant, en même temps qu’ils nuisent aux intérêts des autres groupes ethniques, et à ceux des disciples des autres religions, ils travaillent contre leurs propres intérêts.
À la capacité de nuisance de nos chefs s’ajoutent la force néfaste des bandits à tendance stupide, la volonté pernicieuse des personnes intelligentes, et la puissance funeste des crétins à tendance stupide. L’addition de toutes ces forces constitue un fléau dont on n’évalue pas assez les effets dévastateurs sur le devenir de nos États et de nos peuples. Ce groupe n’est pourtant pas organisé, il n’a ni chef ni président, mais fonctionne «de telle sorte que l’activité de chaque membre contribue à amplifier et à rendre plus forte et plus efficace celle de tous les autres». Ce n’est pas par l’union de leurs forces, mais par la convergence de leurs actions que ce groupe sévit.
Une caractéristique fondamentale de ce groupe dévastateur, est qu’il affecte son entourage : les hommes et les institutions. Ainsi, dans nos démocraties, qui ne se sont parfois que des dictatures, des monarchies ou des oligarchies qui portent le masque de la démocratie, il y a des personnes stupides, une prolifération de personnes intelligentes qui agissent de manière stupide, une augmentation de bandits et de crétins à tendance stupide. Certaines démocraties africaines sont donc des démocraties stupides. On sait qui de l’intérieur les soutient, on devine facilement dans quelle catégorie se situent ceux qui de l’extérieur soutiennent les démocraties stupides.
5 Neutraliser le fléau
Nous savons à présent le tort que la stupidité cause à nos États et à nos peuples. Les individus et les groupes qui agissent de manière stupide sont détectés. Il reste maintenant à les neutraliser. Que faire?
Face au fléau, il est urgent que les consciences s’éveillent et que la capacité dévastatrice de la stupidité ne soit plus sous-estimée. En ayant l’intérêt général présent à l’esprit, il est tout aussi urgent de repérer dans chacune des 4 catégories, l’aptitude de ceux qui peuvent concourir à l’atteinte de cet objectif.
On ne peut rien attendre des personnes stupides puisque «la fraction des gens stupides est une constante σ (sigma) qui n’est affectée ni par le temps, ni par l’espace, ni par la race, ni par la classe, ni par aucune autre variable socioculturelle ou historique».
Les bandits et les crétins à tendance intelligente sont récupérables : les premiers peuvent comprendre qu’il est plus profitable d’agir dans l’intérêt de tous plutôt que pour leurs seuls intérêts; les seconds comprendront facilement qu’il faut agir dans l’intérêt des autres, sans mettre en péril leurs propres intérêts.

La nouvelle perspective commande aux personnes intelligentes de se défaire de leur condescendance, de descendre de leur hauteur, afin d’occuper le terrain de l’action.
Au demeurant, neutraliser la stupidité consiste à réduire au maximum la marge de manœuvre des individus et des groupes qui agissent stupidement, et à créer les conditions de l’avènement de ceux qui, comme le Madiba Nelson Mandela ou le Capitaine Thomas Sankara, peuvent agir dans l’intérêt de tous.

Pr Farmo Moumouni

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