Vous avez assisté, il y a quelques semaines à Yaoundé, à des manifestations organisées par le Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF). Que peut-on retenir de ce centre et de ces manifestations ?
«Il est temps que les gouvernements allient leurs politiques nationales de l’environnement et celles de l’énergie de façon à ce que cette synergie puisse constituer une réponse adéquate à ce défi mondial»
Le Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF), abrité par l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) de Yaoundé, avec le soutien de Natural Resource Governance Institute (NRGI) et du Ministère français des Affaires Etrangères, a tenu la 4ème édition de l’Université d’été sur la gouvernance des industries extractives et la 1ère conférence internationale sur le thème ‘’Initiatives de surveillance de la gouvernance des industries extractives en Afrique Francophone - bilan et perspectives’’. Il convient de noter que le CEGIEAF est une émanation de l’ONG Revenue Watch Institute (RWI) qui s’appelle désormais ‘’Natural Resource Governance Institute’’ (NRGI) et qui bénéficie entre autres du soutien financier du gouvernement français. Depuis sa création en 2011, ce Centre a eu pour missions le renforcement des capacités dans les industries extractives et des réflexions sur la pratique de la gouvernance dans les industries minières et pétrolières des pays africains.
Il s’agit aussi d’outiller les organes de surveillance, notamment les OSC, les médias et les parlementaires, de connaissances et de compétences leur permettant d’améliorer la qualité de leurs interventions et leur capacité à influencer positivement la gestion transparente et responsable des industries extractives dans leurs pays. Pour ce faire, il a été créé une université d’été, ouverte aux acteurs de la société civile, aux journalistes et aux parlementaires engagés dans la promotion des industries extractives. Les animateurs des cours sont des universitaires, des chercheurs, des officiels africains, européens et américains de l’administration publique.
Le CEGIEAF dispose aujourd’hui d’un Conseil d’Administration et d’un Comité Scientifique. La double manifestation de cette année a couronné la maturité du CEGIEAF et fait le bilan des activités menées depuis bientôt quatre ans. En effet, beaucoup d’Africains de divers horizons ont eu à bénéficier du programme de formation et, cette année, tout comme les années précédentes, les participants ont suivi, deux semaines durant, des cours intensifs aussi importants que variés sur les industries extractives. Il s’agit entre autres de l’économie politique des industries extractives, de tous les aspects de la chaîne de valeurs (opérationnels, juridiques, financiers, économiques, fiscaux, sociaux et environnementaux), de l’encadrement des contrats, du processus de production d’un contrat, de la modélisation de la fiscalité, du local content, de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), des mécanismes de surveillance des impacts socio-environnementaux, etc. Durant la dernière semaine des cours, des visites de terrain et un accompagnement technique individuel viennent renforcer les aspects théoriques de la formation. Chaque année, ce sont trente (30) participants ressortissants des pays d’Afrique francophone qui y prennent part. Depuis 2011, plus d’une dizaine de Nigériens ont eu à bénéficier des bourses (transport, hébergement, cours et autres frais) afin d’assister à ces cours. A la dernière session, des parlementaires de R. D. Congo, de Guinée-Conakry et du Burkina Faso étaient présents. J’ose espérer que le centre se fera le plaisir de compter nos honorables députés dans la délégation du Niger à la session 2015. S’agissant de la conférence internationale qui est à sa 1ère édition, elle a été une tribune de communications, de riches débats et d’échanges sur les problématiques de la gestion et de la bonne gouvernance des ressources du sous-sol, tant de la part des gouvernements que des multinationales minières et pétrolières. Cette conférence a réservé une large place au bilan critique des actions des initiatives nationales et internationales de surveillance et de contrôle des industries extractives et leurs impacts sur les économies nationales. Pour ma part, depuis le démarrage des activités du CEGIEAF en 2011, je fais partie du corps professoral et j’ai intégré le Comité Scientifique au moment de sa création en 2013.
Quelles sont les portées nationales et internationales des activités du CEGIEAF ?
Vous savez, l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables comme les mines, le pétrole et le gaz naturel constitue, pour les pays détenteurs de ces richesses, une source importante de revenus. Or, contre toute logique, dans de nombreux cas, l’exploitation de ces ressources semble être liée à la pauvreté et l’inégalité, à des services publics médiocres et à un retard de la croissance économique. Ce paradoxe apparent est connu sous le nom de ‘’malédiction des ressources naturelles’’. Les importantes mannes financières générées par l’exploitation des ressources du sous-sol n’ont donc pas contribué au financement d’une croissance forte et durable et à la réduction de la pauvreté. Pire, cette ‘’malédiction’’ est renforcée par un modèle de croissance économique basé sur des activités extractives qui, très fréquemment, ont des effets sociaux, environnementaux, financiers et institutionnels négatifs. Cette situation est bien consécutive au déficit de transparence et à une très mauvaise gouvernance dans tous les segments de la chaîne de valeurs des industries extractives. Le constat est que rares sont les institutions qui prennent sur elles, la lourde responsabilité de dénoncer cette politique à travers le renforcement de capacités de citoyens ressortissants de ces pays. C’est donc cette lacune que l’ex Revenue Watch Institute a décidé de combler, en contribuant à la création du Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF), et en le dotant de moyens techniques et humains nécessaires pour mener à bien sa noble mission. De sa création en 2011 à ce jour, ce sont une centaine de parlementaires, de journalistes et d’acteurs de la société civile d’une vingtaine de pays africains qui ont eu à bénéficier de la bourse de formation du CEGIEAF. Les modules de cette formation vont de la gestion des contrats à la gestion sociale et environnementale; la gestion environnementale des ressources minières et pétrolières ayant des conséquences au-delà des frontières nationales.
Justement, à propos de l’environnement, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat (GIEC) vient de publier un nouveau rapport de référence sur le changement climatique. Quelles appréciations faites-vous de ce rapport ?
Rappelons d’abord que le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) est une organisation créée en 1988, à la demande du G7, de l’Organisation Mondiale de la Météorologie et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement afin «d’expertiser l’information scientifique, technique et socio-économique qui concerne le risque de changement climatique provoqué par l’Homme». Ce groupe a donc rendu public, le 2 novembre dernier, un rapport d’évaluation qui a porté sur quatre sujets qui sont les changements observés et leurs causes ; les changements climatiques futurs, les risques et les conséquences; les stratégies d’adaptation, d’atténuation et de développement durable ; et l’adaptation et l’atténuation. Selon les conclusions de ce rapport, le 5ème du genre, le doute n’est plus permis sur l’implication des activités humaines dans le réchauffement climatique en cours ; et sans réaction rapide et globale, les conséquences seront irréversibles et très dangereuses. Ce rapport note entre autres que la concentration de dioxyde de carbone (CO2) a augmenté à un niveau sans précédent depuis 800 000 ans. En termes plus clairs, dans les décennies à venir, nous allons être confrontés à une augmentation constante des répercussions et des risques associés, et notamment à des inondations plus destructrices dans certains pays, tandis que d’autres connaitront de redoutables sécheresses, des vagues de chaleur plus fréquentes et intenses et une élévation considérable du niveau des océans. Selon les experts, il faut agir vite pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et plus particulièrement le CO2. Cela est très possible, pour peu que les dirigeants politiques de tous les pays du monde manifestent une réelle volonté. Il est unanimement reconnu que les origines du réchauffement climatique de la planète sont dues à une consommation effrénée des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon et hydrocarbures de schiste) et aussi à la destruction de la biomasse à travers la déforestation. La réduction des émissions du CO2 peut être vue sous l’angle de la mise en œuvre d’une politique énergétique durable, et à côté des mesures qui sont en train d’être prises dans ce sens, il est temps que les gouvernements allient leurs politiques nationales de l’environnement et celles de l’énergie de façon à ce que cette synergie puisse constituer une réponse adéquate à ce défi mondial. La communauté internationale n’étant pas en reste, les Nations Unies, la Banque Mondiale et le Conseil Mondial de l’Energie ont lancé l’Initiative Energie Durable Pour Tous (Initiative SE4All) et la résolution du ‘’Trilemme énergétique mondial’’.
En effet, il est reconnu que l’absence d’accès à une énergie propre, abordable et fiable entrave le développement humain, social et économique, et constitue un obstacle majeur à la lutte contre la pauvreté et le sous-développement. Aussi, afin de transformer le système énergétique mondial de manière positive, l’Initiative SE4All a fixé trois objectifs à atteindre d’ici 2030: assurer un accès universel à l’énergie, et notamment à l’électricité; doubler le rythme des progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique, afin de diminuer la consommation totale d’énergie; et enfin doubler la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique mondial, et ainsi la porter à 30% dans le bilan énergétique de chaque pays. La question de l’accès à l’énergie est abordée sous l’équation complexe du ‘’trilemme énergétique’’, qui signifie tout simplement, trouver un équilibre entre trois objectifs souvent contradictoires de l’énergie durable, à savoir la sécurité énergétique, l’équité énergétique et cela avec un impact environnemental faible.
Aujourd’hui, aucun pays ne pourra réussir à mettre en œuvre une politique énergétique nationale crédible, si cette dynamique n’est pas prise en compte. Nos pays doivent donc s’engager résolument dans cette transition comportementale et sociotechnique, qui implique une modification radicale des politiques énergétiques nationales et régionales actuelles. C’est ce qu’appelle la transition énergétique; et son objectif est de passer progressivement de la consommation abusive des énergies traditionnelles (combustibles ligneux) et des énergies dites carbonées (pétrole, gaz naturel, charbon) à des énergies propres, sûres et décentralisées, (énergie solaire (thermique, thermodynamique ou photovoltaïque), énergie éolienne, hydroélectricité)) avec l’usage de réseaux intelligents (smart grid) et sur une meilleure pratique d’efficacité énergétique. C’est à ce prix, que nous affirmerons notre engagement à réagir positivement au cri de cœur du GIEC et aussi lutter contre la précarité et la pauvreté énergétiques, obstacles au développement économique et social.