Le groupe islamiste nigérian Boko Haram menace désormais les frontières du Niger, du Tchad et du Cameroun, faisant craindre un embrasement régional, après une nouvelle victoire stratégique sur les rives du lac Tchad, dans le nord-est du Nigeria.
Boko Haram, qui a proclamé un "califat" dans les zones sous son contrôle, s’est emparé facilement, le weekend dernier, d’une importante base militaire située à l’entrée de la ville stratégique de Baga, le grand carrefour agricole et commercial du nord-est du Nigeria. Cette lourde défaite militaire accentue encore la fragilisation de l’Etat fédéral où de cruciales élections générales doivent se tenir dans cinq semaines.
"La prise de Baga signifie que Boko Haram a maintenant le contrôle de l’ensemble du territoire (du nord-est) où le Nigeria partage des frontières avec le Niger, le Cameroun et le Tchad", rappelle Ryan Cummings, spécialiste des questions de sécurité sur le continent africain.
Cela veut dire, notamment, que Boko Haram s’est ouvert "d’importantes voies de ravitaillement (depuis l’étranger) pour ses combattants basés au Nigeria", en armes, munitions et autres équipements.
Eloquent témoignage de cette menace, le maire de la ville nigérienne frontalière de Diffa, qui voit affluer des réfugiés nigérians depuis des mois, a dit lundi apercevoir, désormais, "le drapeau noir des jihadistes flotter de l’autre côté" de la frontière, et vivre "dans la peur d’éventuelles attaques islamistes".
Au Cameroun, où les attaques de Boko Haram se sont multipliées ces dernières semaines, suscitant la colère de nombre d’habitants et poussant l’armée à lancer des frappes aériennes sur les insurgés pour la première fois, le colonel Didier Badjeck, porte-parole du ministère de la Défense a déclaré mardi à l’AFP être prêt à répondre à la menace islamiste croissante par "des moyens appropriés et virils".
La prise de Baga revêt aussi une importance hautement symbolique car il s’agit de la base de la Force multinationale (MNJTF), censée regrouper des soldats nigérians, nigériens et tchadiens dans la lutte contre Boko Haram --mais où ne se trouvaient que des troupes nigérianes au moment de l’attaque.
Cette base de la MNJTF aurait pu, "sans aucun doute, constituer un relais opérationnel clé" dans le dispositif de la nouvelle force régionale censée être déployée prochainement autour du lac Tchad pour lutter contre les islamistes, estime M. Cummings.
"Ce genre de victoire risque d’encourager (Boko Haram) à mener d’autres attaques ambitieuses à l’avenir" craint Nnamadi Obasi, spécialiste du Nigeria pour l’International Crisis Group.
- Répercussions dans les pays voisins -
Outre la question sécuritaire, la prise de Baga risque d’affecter les échanges commerciaux et l’approvisionnement en nourriture de toute cette région, estime Abbakar Gamandi, le chef du syndicat des pêcheurs de l’Etat de Borno.
"Il s’agit d’une zone d’attraction commerciale et agricole dont bénéficient le Nigeria, le Tchad, le Niger, le Cameroun, la Centrafrique et le Soudan" a-t-il expliqué à l’AFP.
"Les pays voisins dépendent du Nigeria pour une grande partie de leurs approvisionnement qui provenaient de Baga et de la ville de Gamboru Ngala, tombée aux mains de Boko Haram il y a quelques mois" a poursuivi M. Gamandi.
"La prise de Baga par Boko Haram va avoir des répercussions sur tous ces pays" a-t-il ajouté.
Pour le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique et première puissance économique du continent, cette avancée de Boko Haram constitue une très lourde perte, à cinq semaines d’un scrutin législatif et présidentiel sous haute tension.
Les islamistes, qui lancent de meurtrières attaques quasi-quotidiennes dans le nord-est du pays, se sont emparés ces derniers mois de plus d’une vingtaine de localités du nord-est, proclamant un "califat" dans les zones sous leur contrôle.
Avec la prise de Baga, dans le nord de l’Etat de Borno, Maiduguri, la capitale de cet Etat, important carrefour régional où s’est réfugiée une grande partie de la population de la région, est aujourd’hui presque encerclée et pourrait tomber aux mains de Boko Haram, selon les autorités locales.
Cette nouvelle conquête territoriale vient aussi "ternir encore les perspectives déjà très sombres quant à la tenue d’élections dans l’Etat de Borno le mois prochain" estime M. Obasi.
A la veille d’un scrutin présidentiel annoncé comme le plus serré depuis le retour à la démocratie en 1999, le principal parti d’opposition a déjà prévenu à plusieurs reprises que si des dizaines de milliers d’électeurs du nord-est n’étaient pas en mesure de voter, le 14 février, la crédibilité du vote serait remise en cause.