C’est le vendredi 02 que s’est ouvert au Tribunal de grande instance hors classe de Niamey, le procès pour "supposition d’enfants" (délit consistant à attribuer la maternité d’un enfant à une femme qui ne l’a pas mis au monde) d’une vingtaine de personnes dont l’ex-président du Parlement nigérien, Hama Amadou (absent du pays). Sitôt ouvert, sitôt renvoyé, peut-on dire car il a été reporté au 30 janvier 2014 par le juge afin de délibérer sur les exceptions d’incompétence et de territorialité relevées par la défense dès l’entame.
Vendredi 02 janvier 2014, Tribunal de grande instance hors classe de Niamey (Niger), 09h (heure locale soit GMT+1). L’enceinte est sous haute surveillance avec une forte présence de forces de défense et de sécurité tout autour et dans la cour. Au centre de toutes les attentions, la salle d’audience du tribunal correctionnel située à l’angle ouest du Palais de justice qui refuse déjà du monde alors que la cour n’y a pas encore fait son apparition. «C’est ici l’affaire des bébés ?», se renseignent les retardataires jouant des coudes pour avoir de la place, ne serait-ce que sur la terrasse.
09h15, débute l’examen des dossiers inscrits au rôle. Un seul est finalement retenu : celui d’une vingtaine de prévenus pour «supposition d’enfants, faux et usages de faux, association de malfaiteurs, complicité de ces faits et déclarations mensongères». «Etes-vous prêts pour que le jugement soit fait ?» s’enquiert le président de la Cour, Adamou Abd Adam, auprès des deux parties qui répondent par l’affirmative.Après lecture des chefs d’inculpation, on commence la vérification de l’identité des prévenus. C’est le moment qu’attendait la défense composée d’une bonne douzaine d’avocats.
Elle prend la parole pour soulever des exceptions à caractère d’ordre public. Il s’agit de celles d’incompétence du tribunal correctionnel et de territorialité pour la juridiction nigérienne. En clair, les avocats des prévenus soulignent que le tribunal correctionnel est «radicalement incompétent pour connaître de ce dossier tant que la question de la filiation n’est pas réglée par un juge civil (ainsi que le stipule l’article 327 du Code de procédure civile du Niger)».
De plus, pour eux, les infractions «supposées car il n’y a à ce jour aucun plaignant» ayant été commises au Nigeria, elles relèvent de la juridiction nigériane. A l’appui de leur argumentaire, ils ont fait force citations d’articles des codes de procédure pénale et de procédure civile du Niger, des jurisprudences au pays d’Hamani Diori et même des doctrines françaises de droit en la matière. «Vous voulez du droit, vous allez avoir du droit !», tonne le procureur adjoint de la République du Niger, Cheibou Samna Soumana, en prenant la parole à son tour. Pour lui, l’exception d’incompétence soulevée sur la base de l’article 327 du Code de procédure civile n’est pas fondée car cet article ne peut pas être appliqué au procureur de la République qui tient de la loi, le pouvoir de mettre en mouvement l’action publique notamment à travers les articles, 1 et 2 du Code de procédure pénale nigérien, en vertu desquels la renonciation à l’action civile ne peut pas faire obstacle à la suspension ou à l’arrêt de l’action publique.
Et même dans le cas contraire, on parlerait, selon lui, de sursis à statuer et non d’incompétence. Et d’aborder la problématique de la territorialité soulevée à partir du fait que les faits ont eu lieu au Nigeria : « De quels faits parle-t-on ? Nous, nous poursuivons les prévenus pour supposition d’enfants, si nous les avions poursuivis pour enlèvement d’enfants, oui, parce qu’il y a eu l’enlèvement au Nigeria. La supposition consiste à donner cette impression d’avoir mis au monde un enfant issu de ses entrailles. L’infraction a été commise donc au Niger et ce, dès lors que vous avez fait des baptêmes et que vous avez établi des papiers pour attester que ces enfants sont les vôtres. Nos juridictions sont donc compétentes comme le souligne l’article 362 du code de procédure pénale (selon lequel, est compétent le tribunal correctionnel du lieu de l’infraction, celui de la résidence du prévenu ou celui du lieu de l’arrestation de ce dernier, même lorsque cette arrestation a été opérée pour une autre cause).»
A-t-il convaincu la défense ? «La filiation ne relève pas du juge pénal ! Il n’est pas question de sursis à statuer mais bel et bien d’incompétence» répliquent la noria d’avocats de la défense se relayant devant le président du tribunal.
10h50. La séance est suspendue pour une heure. Pendant que la cour se retire, la salle vibre de commentaires et de salamalecs. Présents en nombre, les hommes et femmes de médias locaux et étrangers en profitent pour faire quelques images. Au centre de toutes les attentions, l’épouse de l’ex-président de l’Assemblée nationale, Hadiza Amadou (voir encadré).«Qui part à la chasse perd sa place» semble être le mot d’ordre pendant la pause dans la salle où sauf à être au banc des accusés, il vous est impossible de retrouver votre place assise dès que vous l’abandonnez.
12h01. Le procès reprend. «Compte tenu du volume du dossier et des pièces versées au dossier», le juge Adamou Abd Adam donne rendez-vous pour le 15 janvier pour le délibéré sur les exceptions soulevées. Il fallait plutôt entendre le 30 janvier, est-il rectifié dans la foulée.Acclamations dans la salle et certains même se congratulent sans qu’on ne sache trop pourquoi exactement. Me Nassourou Lawali, avocat de la défense (il représente notamment les Ex-DG de la Sonibank et de Sahel Vision et le SG de la Chambre de commerce du Niger et leurs épouses) n’est pas de ceux qui applaudissent : «Je tiens à préciser à l’opinion nationale et internationale, qu’il y a eu aujourd’hui un débat purement juridique entre la défense et le parquet qui a engagé les poursuites, lance-t-il dans la dizaine de micros et enregistreurs à lui tendue.
Cette affaire a été jetée à la consommation du public au tout début par les médias ; il n’y a eu aucun plaignant, à ce jour il n’y a aucun homme ni femme qui se plaint d’avoir perdu son enfant, il n’y a personne également qui revendique un enfant à cette date au Niger. Nos clients ont été jetés à la vindicte populaire et qualifiés de tous les noms d’oiseaux mais pour respecter la sérénité et l’office du juge, le droit et les autorités judiciaires de ce pays, la défense s’est gardée de placer un mot et nous attendions l’audience d’aujourd’hui, car c’est l’occasion pour nous de dire la vérité après toute la communication qui a été subrepticement entretenue tant par le parquet que par le ministre de la Justice à l’effet de jeter nos clients en pâture et de les qualifier de trafiquants d’enfants, toute chose étant fausse et ne répondant pas à la vérité du dossier.
Nous aurions voulu avoir l’occasion d’en parler en long et en large aujourd’hui pour que le grand public sache que nos clients ne sont pas des bandits, ne sont pas des trafiquants, qu’ils n’ont pas achetés de bébés, qu’ils n’ont jamais eu l’intention d’acheter de bébés. Cette occasion nous l’avons ratée aujourd’hui parce que le débat que la défense a soulevé in limine litis (dès le commencement du procès), a nécessité pour une bonne administration de la justice, que le juge se retire dans la sérénité de son cabinet pour rendre un jugement. Nous en appelons également au sens du professionnalisme et du devoir déontologique des journalistes qui, d’une manière ou d’une autre, ont été complices de cette entreprise qui a consisté à rendre coupable des gens qui n’ont pas eu l’occasion de se défendre pour qu’à l’avenir le lynchage médiatique ne soit par leur cheval de bataille.» Entend-il par là qu’il s’agit d’un procès politique ?
«Je suis avocat et pas un politicien. Je parle de pièces de la procédure, de l’infraction, des arguments et contre-arguments susceptibles d’être invoqués dans cette affaire et je laisse l’opinion se faire sa propre idée», plaide Me Nassourou Lawali. Les exceptions soulevées n’ont rien de surprenant pour le procureur adjoint : «On s’y attendait, c’est normal et c’est de bonne guerre dans ce genre d’affaire de s’appuyer sur les procédures pour essayer de bloquer le dossier. La machine de la justice est en marche. Nous n’avons pas de problèmes de délai ni de temps encore moins de problème politique comme on pourrait le penser à partir de l’implication de l’ex-président de l’Assemblée nationale. S’il y a bien une chose qui est sûre, c’est qu’il y a une situation inacceptable qu’il faut arrêter au plus vite.
C’est vrai que ces femmes souffrent de la stérilité dans leur chair et on peut les comprendre, mais la question de l’adoption d’un enfant ne doit pas être traitée de cette manière. Imaginez-vous, deux familles ont totalisé à elles-seules 10 enfants dans ce cadre. Si on met de côté la politique, si jamais on ne fait rien, chaque personne qui est en mal de procréation, va aller chercher son enfant par ce canal. Et on va assister alors à une véritable ruée vers cette filière. Et alors, ce sera la société civile et surtout la population et les religieux qui monteront au créneau pour fustiger une certaine classe qui fait ça.»A en croire Cheibou Samna Soumana, la querelle de procédures risque de durer car «ils ont intérêt à ce qu’on n’aille pas au fond parce que c’est abject, c’est immoral et c’est indécent».
Faire donc traîner le dossier ? Me Kadri Ali, un autre avocat de la défense, …s’en défend : «Nous sommes plus pressés que le parquet de parler du fond de cette affaire. Nous aurons alors l’occasion de revenir en détail sur les infractions, sur la qualité et les éléments de l’enquête. C’est un dossier comme les autres et il doit être traité comme les autres.»
Rendez-vous donc est pris pour le 30 janvier prochain !
De notre envoyé spécial à Niamey, Hyacinthe Sanou
Encadré
5 millions de FCFA pour un enfant, 10 millions pour des jumeaux
Tout serait parti d’un article paru dans le journal nigérien, L’Evénement, faisant état d’un trafic international de bébés entre le Nigeria, le Benin et le Niger, dans lequel seraient impliqués de hauts dignitaires nigériens comme l’ex-président de l’Assemblée nationale et son épouse, le ministre de l’Agriculture, les ex-DG de la Sonibank et de Sahel Vision, etc. Le parquet engage alors les poursuites et le cabinet du doyen des Juges d’instruction du Tribunal de Grande instance hors classe de Niamey en charge de l’instruction du dossier a rendu son «ordonnance aux fins de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel» le 4 décembre dernier.
De cette ordonnance d’une cinquantaine de pages, il ressort essentiellement la mise en lumière d’un réseau bien huilé dont l’épicentre se trouverait à Ore, dans le sud du Nigeria où officierait Dame Agoundeji Happiness, une guérisseuse traditionnelle à qui on prêterait le pouvoir d’accorder à des couples stériles le bonheur d’enfanter grâce à la pharmacopée. De l’ordonnance du doyen des juges d’instruction, on apprend que les candidates à la supposition d’enfants étaient conduites à Ore par un certain Benjamin (SAR), un Yoruba venant de Ouagadougou et qui leur donnait rendez-vous à Cotonou.
Une fois chez la bien-nommée Happiness (joie, bonheur en anglais) à Ore, celle-ci organise un simulacre de consultation des femmes et leur remet des herbes contenues dans des sachets à consommer en boisson le matin et le soir pendant 9 mois et d’autres produits pour certains à base d’œufs à manger pendant la «grossesse». Ensuite, les femmes accouchent «15 mn après une injection».
Puis elles rejoignent Niamey via Cotonou, après un séjour de 48h à la clinique Ajavon de Cotonou.En fait, «ces usines à bébés sont alimentées par de pauvres femmes enceintes ou enceintées, qui sont gardées et séquestrées jusqu’à leur accouchement» affirme l’ordonnance du doyen des juges d’instruction (qui en veut pour preuve la perquisition effectuée par les agents du service de l’immigration du Nigeria en Février 2014 à Ilutitun) : «Agoundéji Happines «achète» les bébés auprès de ces dernières pour les revendre à des couples stériles de la sous-région.» A cet effet, «les époux ont reconnu avoir payé une somme de 5 000 000 CFA par enfant et 10 000 000 FCFA pour les jumeaux, en dehors des frais de consultation qui varient de 500 000 FCFA à 2 000 000 FCFA».
Encadré 2 :
Dans les coulisses du procès«Alizet Gando» dans la peau d’un témoin ?
Si nous avons effectué le déplacement de Niamey, c’est surtout à cause des ramifications que cette affaire aurait au Burkina où les noms d’Alizet Gando et d’autres pontes du régime de Blaise Compaoré sont souvent revenus.Quel est donc le rôle joué exactement par l’ «ex-belle-mère nationale», Alizèta Ouédraogo, dans cette affaire ? Cette question obtiendra sans doute réponse au cours du procès car de source judiciaire à Niamey, Alizèta Ouédraogo (actuellement réfugiée en France après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina) pourrait être citée à comparaître comme témoin.
Et non comme complice, car, selon la même source, l’instruction n’a relevé que le fait qu’elle aurait informé certaines de ses relations au Niger notamment l’Ex-Directeur général de la Sonibank, Moussa Haitou et l’épouse de l’ex-président du parlement nigérien, «des possibilités offertes par une Nigeriane d’avoir des enfants à travers la pharmacopée» et qu’elle les aurait mis en contact avec le dénommé Benjamin (SAR) qui était chargé de les conduire à Ore. La patronne de la société des cuirs et peaux, Tan’Aliz, pourrait donc se retrouver dans la peau d’un témoin, à moins que les répliques de cette affaire ne se ressentent ultérieurement au palais de justice de Ouagadougou. Affaire à suivre donc !
Hama + grand absent, Hadiza, sa femme, grande présente
Il est pour ainsi dire le grand absent du procès pour «supposition d’enfants». Hama Amadou, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est en effet le plus célèbre des prévenus dans cette affaire. Ancien président du Parlement, il a quitté le Niger fin août 2014 (après l’autorisation par les députés de son audition par la justice dans le cadre de ce dossier) pour la France via le Burkina Faso. «Sa citation à comparaître a bel et bien été remise à son domicile connu comme l’exige la loi.
Il sera donc jugé par défaut s’il est absent au procès», affirment les autorités judiciaires nigériennes.Pour un peu, son épouse Hadiza Amadou (la seconde d’Hama + au nombre des prévenus) aurait d’ailleurs éclipsé son absence tant elle a été au centre de toutes les attentions le vendredi 02 janvier dernier. «Qui est donc cette dame qui est la seule à qui on donne à boire ?» ne manque pas de remarquer quelqu’un devant les petits soins que lui accorde sa garde rapprochée en lui apportant notamment un bidon d’eau minérale.
Tout d’orange vêtue, les yeux cachés derrière une grosse paire de lunettes noires, la «star» du procès a paru sereine tout au long de l’audience. A la suspension comme à la fin de ladite audience, avocats, prévenus, citoyens et journalistes ont littéralement fondu sur elle, l’obligeant à se retirer rapidement.