Controverses autour du retard dans l’exploitation du gisement d’Imouraren : La Présidence de la République se contente d’un... « cadeau » pour absoudre la faute contractuelle d’Areva
Publié le vendredi 22 fevrier 2013 | alternativeniger.org
En réaction au débat nourri autour du dossier querellé relatif à la mise en exploitation du gisement d’Imouraren par le groupe nucléaire Areva, le ministre des mines, Omar Hamidou Tchana, a animé un point de presse le 15 janvier dernier. Ce point de presse du ministre fait suite à une sortie médiatique du directeur de cabinet du Président de la République, Hassoumi Massaoudou, deux jours plutôt. Au-delà des vives spéculations sur l’usurpation ou non des prérogatives du ministre et/ou du gouvernement par le palais présidentiel, à travers Massaoudou et Tchana interposés, ces deux sorties médiatiques révèlent de grandes et profondes divergences entre le Gouvernement et la Présidence sur ce dossier. Pour s’en rendre compte, observons de très près les arguments de l’un et de l’autre...
A entendre les deux personnalités développer leurs argumentaires, il transparait assez clairement que le principal objet de controverse reste et demeure le sort du permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, qui lui-même est tributaire de l’appréciation qu’on en fait de la responsabilité des uns et des autres relativement au retard irréfutable de 18 mois accumulés avant la mise en exploitation dudit gisement ; car cette appréciation va déterminer la responsabilité contractuelle des parties, particulièrement celle du groupe nucléaire français Areva. S’agissant du retard de 18 mois, les deux personnalités s’accordent à le reconnaitre tout comme le préjudice - le manque à gagner - qui en résulte directement pour l’Etat du Niger. Cependant, les deux aurateurs, chacun défendant la position de son institution, divergent particulièrement sur la responsabilité d’Areva à ce sujet ; et subséquemment sur la réparation du préjudice causé voire le sort qu’il convient de réserver à la suite du contrat d’exploitation du gisement d’Imouraren.
Pour Hassoumi Massaoudou, agissant dit-il, sur instruction expresse du Président de la République, Areva n’est en rien responsable de ce retard qu’il rattache tout simplement « aux cas de force majeurs » découlant, indique-t-il, « de l’enlèvement en 2010 des travailleurs d’Areva dans le département d’Arlit. » Toutefois, ajoute-t-il, « prenant en compte le manque à gagner généré par ce retard, Areva s’engage à soutenir financièrement l’Etat du Niger en mettant à sa disposition 35 millions d’euros, soit 23 milliards de FCFA ». Loin d’être perçue comme une pénalité résultant d’une faute contractuelle, Hassoumi Massoudou affirme que « cet effort exceptionnel » est tout simplement « un cadeau destiné à compenser une année de retard qu’accusera l’exploitation de la mine entre 2014 et 2015 ». Visiblement, « le cas de force majeure » est le précieux cadeau de nouvel an offert par la Présidence de la République du Niger à Areva pour bénéficier en retour d’une ridicule « générosité de 23 milliards de nos francs », à titre manifestement de pot de vin.
Par contre, le ministre des mines et dans une certaine mesure le gouvernement de Brigi Rafini, n’y voit pas, dans ce retard, le résultat d’un quelconque cas de force majeur. En effet, faisant allusion au document signé entre Areva et le Directeur de cabinet du Président de la République « j’ai reçu le document le 26 novembre et dès le lendemain, j’ai saisi ma hiérarchie pour faire part de mon analyse et demander la conduite à tenir. Deux jours après, ma hiérarchie a écrit aux autorités françaises en charge de ces questions pour me désigner comme chef de fil de la délégation nigérienne pour conduire les négociations », affirme Omar Tchana. Répondant aux questions des journalistes, le ministre des mines, prétendant apporter la position du gouvernement, atteste de façon péremptoire que le document présenté par le directeur de cabinet du Président de la République « n’est pas un accord », tout en précisant au passage que le département ministériel dont il a la charge n’est ni de près ni de loin responsable de la divulgation et de la publication dudit document. Ce retard est bel et bien imputable à une partie au contrat et « ce n’est pas à l’Etat du Niger qu’on peut l’imputer », laisse entendre le ministre des mines. La piste est donc indiquée.
Or, si le cas de force majeur n’est pas admis, ce retard est suffisamment grave, au point d’amener à la mise en œuvre de certaines sanctions prévues par le code minier ; sanctions pouvant aller jusqu’au retrait du permis d’exploitation. Par exemple, selon l’article 60 de l’ordonnance N°93-16 du 2 Mars 1993 portant loi minière « la déchéance des titres miniers institués en vertu de la présente ordonnance est encourue en cas d’inobservation des dispositions de la présente ordonnance et des textes pris pour application, notamment en cas de (i) non respect des règles d’hygiènes et de sécurité, (ii) d’entrave à la surveillance administrative et au contrôle technique exercés par les ingénieurs et agents assermentés de la direction des mines ou par tout autre agent commissionné à cet effet, (iii) de non versement des droits et taxes prévus par la présente ordonnance ainsi que les pénalités qui pourraient s’en suivre en cas de paiement tardif, (iv) de non respect des obligations relatives à la prévention de l’environnement, (v) de non respect des engagements contractuels ».
A l’évidence, nul ne peut nier que le « retard de 18 mois » n’est pas constitutif d’un cas emblématique de « non respect des engagements contractuels » que l’article précité reconnait assez clairement comme cause de déchéance du titre minier. L’échappatoire pour Areva ne pourrait être, en l’espèce, qu’une trouvaille de subterfuges et autres artifices pour invoquer le « cas de force majeure ». A ce sujet justement, l’on serait curieux de découvrir les arguments fournis pour considérer que l’enlèvement des travailleurs français suffit à soutenir la thèse de « cas majeur » pouvant juridiquement justifier ce report spectaculaire et largement inscrit dans la durée.
Cet argument tiré par les cheveux pour absoudre Areva de sa lourde faute contractuelle est tout aussi curieux que la tendance du Directeur de Cabinet de Président de la République à vouloir signifier que les citoyens nigériens n’ont pas le droit de prendre connaissance du contenu de l’accord, si c’en est un, qu’il a signé avec les responsables d’Areva, , au motif qu’il serait frappé du sceau de « confidentialité ». Car au sens de la constitution de la VIIème République, aucune confidentialité n’est admise autour des accords relatifs à l’exploitation des ressources naturelles et du sous sol. C’est le principe, sans possibilité d’exception, posé par l’article 150 de la loi fondamentale en ces termes : « les contrats de prospection et d’exploitation des ressources naturelles et du sous sol ainsi que les revenus versés à l’Etat, désagrégés, société par société, sont intégralement publiés au journal officiel de la République du Niger ».
Décidément, l’histoire du processus de la mise en exploitation du gisement d’Imouraren est aussi celle d’infractions au droit minier nigérien ; car, on se souvient des vives critriques formulées par les organisations de la société civile, relativement à l’adoption, par l’Etat du Niger en 2008, d’une loi taillée à la mesure d’Areva par les autorités de la Vème République pour, disaient-on, « accorder des avantages dérogatoires pour les investissements des grands projets miniers ». C’était dans ce contexte juridique accordant des avantages dérogatoires, à l’époque dénoncé par l’association Alternative Espaces Citoyens, que le ministre des Mines, Mohamed Abdoullahi, et Anne Lauvergeon, présidente du directoire d’Areva, avaient signé, lundi 05 Janvier 2009 à Niamey, la convention minière relative aux grands projets miniers attribuant au groupe nucléaire français le permis d’exploitation du gisement d’uranium d’Imouraren pour une durée de 35 ans.
L’accord prévoit qu’Areva détiendra 66,65% du cartel créé en vue de l’exploitation du gisement, contre 33,35% pour l’Etat du Niger ; un projet qui devrait démarrer en 2012.
En dehors de son caractère fortement désavantageux pour notre pays et dénoncé par les acteurs de la société civile nigérienne, la légalité de cette convention était aussi questionnée ; car, au sens de l’article 5 de la loi N°2008-30 du 3 juillet 2008 « la durée de validité d’un permis d’exploitation octroyé dans le cadre des grands projets miniers ne peut excéder vingt (20) ans ». Mais pas à 35 ans, comme ce fut le cas ici.