L e conflit libyen qui a eu des répercussions dramatiques sur l’ensemble des pays de la zone sahélo-saharienne a contraint des milliers de travailleurs immigrés à retourner dans leurs pays d’origine ou pour certains à trouver refuge à Choucha en Tunisie. Aujourd’hui avec la fin de la guerre, les nouvelles autorités libyennes encouragées sans doute par les politiques migratoires répressives de leurs alliés européens, se sont lancées dans une véritable chasse aux travailleurs immigrés, principalement les subsahariens, violant ainsi la Convention des Nations-Unies sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles...
Traqués sur leurs lieux de travail ou dans leurs habitations par la police libyenne, ces immigrés sont refoulés manu militari aux frontières. Nombreux sont ceux qui subissent des sévices, des humiliations de toutes sortes et même l’enfermement durant plusieurs mois. Malgré cette répression sauvage et ces expulsions en série, de milliers de jeunes nigériens, sénégalais, gambiens, ghanéens, nigérians ou camerounais fuyant le mal vivre dans leurs pays tentent d’entrer en Libye ou d’y retourner pour certains.
Agadez et Dirkou au Niger sont les deux principaux points de départ et de transit de ces migrants
Dans le cadre de la réalisation d’un film documentaire et la production d’un rapport sur ce sujet , une équipe de l’Unité audiovisuelle de Alternative Espaces Citoyens est allée sur leurs traces jusqu’à Séguédine, à 150 km de Dirkou.
Couverte de son manteau de brume Agadez nous accueille ce 20 novembre 2012. Première nuit à l’Hôtel de l’Air, une vieille bâtisse en banco, ancien palais du sultan Tegama construit pour accueillir Kaocen, une figure historique de la résistance anticoloniale. A quelques encablures de là, se dresse avec son minaret de 27m, la célèbre mosquée édifiée en 1555 par les Songhaïs. Nous sommes dans le vieux quartier. En flânant dans les ruelles tortueuses, on découvre que la cité touristique porte encore les stigmates de la crise sécuritaire que la région a connue ces dernières années. Les agences de voyage ont pour la plupart mis la clé sous le paillasson, les hôtels sont quasiment vides et peinent à offrir des prestations de qualité aux clients, les antiquaires fermés et les chasse touristes convertis dans d’autres activités. Malgré tout, la ville conserve son charme de cité cosmopolite et de carrefour commercial et d’échanges. Elle est aussi le lieu d’importants flux migratoires avec le passage chaque année de plus de 60 000 migrants africains vers les pays du Maghreb notamment la Libye et l’Algérie. Ici, la migration est devenue un véritable business. Certains ont trouvé le filon d’accueillir les migrants dans ce qu’on appelle communément « les ghettos ». Ce sont des habitations dortoirs où les migrants sont entassés, parfois sous des hangars, le temps pour les passeurs, d’organiser leur voyage. On en dénombre une vingtaine à travers la ville. Des cas présumés de « trafic de personnes » ont été portés en début novembre devant les tribunaux où 6 « Oga » c’est-à-dire des chefs des « ghettos » dont deux Nigériens ont été déferrés. La fonctionnalité de ces réseaux de passeurs avec des ramifications dans plusieurs pays de la sous région est telle que les voyages sont organisés clandestinement. Des véhicules 4x4 Hilux embarquant de jeunes d’origine géographique diverse(sénégalais, nigérians, ghanéens, gambiens, camerounais, libériens, ivoiriens et nigériens) quittent nuitamment Agadez, contournent les barrières et s’enfoncent à tombeau ouvert dans le désert à destination de la Libye. Coincés les uns contre les autres, accrochés à des piquets de bois où pendent leurs bidons d’eau, ils affrontent stoïques le froid,et le vent de poussière. Beaucoup d’entre eux ont été victimes d’accidents ou des bandits armés qui écument l’axe Agadez - Dirkou - Libye. nous rapporte un habitant de la ville.
A la gare, une seule ligne de transport pour Agadez - Dirkou
Koré Yosko en est le responsable. Il se plaint de l’activité illégale de ces propriétaires des ghettos. Avant de nous annoncer avec un certain soulagement que la mairie venait de sortir une circulaire organisant désormais les transports publics.
Depuis le début de la crise libyenne, le nombre des migrants refoulés ou volontaires ne fait que s’accroitre... Selon le secrétaire général du gouvernorat d’Agadez, Zourkaleini Maiga, entre février et juin 2011, plus de 200 000 travailleurs immigrés ont transité par Dirkou. La moitié sont des Nigériens. Ces flux continuent dans les deux sens. Malgré les refoulements massifs décidés par les nouvelles autorités libyennes, de nombreux jeunes subsahariens tentent d’entrer en Libye. Les refoulés eux, après un transit à Dirkou ou Arlit sont transportés à Agadez avant d’être acheminés (pour les autres nationalités) à Niamey d’où ils seront conduits vers leurs pays d’origine. L’organisation internationale de la Migration(OIM) qui a des bureaux à Dirkou, Agadez et Arlit se charge de leur acheminement. Un centre d’accueil de la Croix Rouge installé par le CICR. a été crée en avril 2011 pour protéger selon son gestionnaire, Samaila Mahamane, les migrants qui étaient victimes de violences et de vol à la gare. Le centre. leur assure avant leur départ, la nourriture, l’hébergement et un service téléphonique (3minutes de communication gratuite par migrant) de rétablissement des liens familiaux.
En ce jeudi 21 novembre, le centre grouillait de monde. De jeunes, l’air grave, devise à la devanture. Ils sont de différentes nationalités, sénégalais, gambiens, camerounais, nigérians. Chacun d’eux à une histoire. Lucas est camerounais. Il a 29 ans. Après avoir essayé à plusieurs reprises et sans succès de se rendre par des voies légales en Europe, a quitté son pays en 2010 pour tenter de réaliser son rêve en suivant une autre trajectoire, celle que beaucoup de jeunes subsahariens empruntent : le Maroc. Dans ce pays Lucas a tout essayé. « J’ai tenté de franchir la barrière par trois fois mais je n’ai pu passer » nous raconte t-il avec un air désespéré, décrivant au passage la brutalité de la police marocaine et la xénophobie et le racisme dont les migrants noirs font l’objet. Lucas a alors tenté de passer par l’Algérie. Mais hélas, il sera pris comme « un clandestin » et refoulé aux frontières du Niger. Mais tout cela ne décourage pas le jeune camerounais qui compte une fois rentré au bercail nous a t-il confié se mettre à bien préparer un prochain retour.
Yioka, elle, est nigériane. 28ans. Elle porte un bébé dans les bras. Elle a été refoulée de Libye où elle travaillait comme femme de ménage. Elle vivait avec son mari et leurs quatre enfants. Un jour alors qu’elle rentrait du travail, elle a été raflée par la police qui l’a assimilée à une prostituée. Elle est transportée dans un camp de rétention. Malgré l’intervention de son époux et de son employeur, elle a été gardée pendant 6 mois dans ce camp avec son bébé puis refoulée. Très remontée contre le gouvernement de Good Luck Jonathan qui, dit-elle, n’a rien fait pour protéger ses ressortissants travaillant en Libye, elle attend désemparée de retourner dans son pays, arrachée brutalement du cadre conjugal, laissant ainsi derrière elle son époux et ses trois enfants.
Selon plusieurs témoignages recueillis sur place, en Libye. ce sont des milices qui contrôlent les camps de rétention où sont détenus dans des conditions exécrables, des travailleurs immigrés originaires de l’Afrique subsaharienne. Les chefs de ces camps sous-traitent avec des employeurs libyens, cette main d’œuvre bon marché ! Malgré ces traitements inhumains, les candidats à la migration sont toujours nombreux. C’est à partir d’Agadez, que leur périple commence.
Nous avons suivi les traces de ces “rakhabs” (migrants) jusqu’à Séguédine en passant par Dirkou
Pour se rendre dans ces bleds perdus dans cette immensité désertique, il faut bien se préparer : avoir des véhicules 4x 4 en bon état, du carburant, de l’eau, de la nourriture en quantité et des chauffeurs et un guide aguerris. Compte tenu de l’insécurité qui sévit sur le trajet, beaucoup de voyageurs attendent par prudence le convoi sous escorte militaire. Mais nous, comme d’autres, n’avons pas attendu l’escorte. Rassurés, peut être naïvement par l’expérience de nos deux chauffeurs Ibrahim, ex combattant de la rébellion armée des années 90, qui travaille depuis plusieurs années dans une agence de voyage, Haj ce jeune qui connaît aussi bien ces routes pour les avoir sillonnées régulièrement ces dernières années et Erchèye, notre guide qui est aussi un excellent chauffeur. Avec nos « trois mousquetaires » nous avons commencé ce vendredi 22 novembre, l’aventure.
A la sortie d’Agadez, nous rencontrons un groupe de migrants, en majorité de sénégalais âgés entre 16 et 18 ans attendant depuis 5 jours le passeur qui leur a promis de revenir pour les acheminer vers la Libye. Après avoir recueillis leurs témoignages, nous nous lançons de nouveau sur la route. Un épais vent de poussière accompagné d’un air glacial nous envahit. Le désert nous attaque avec ses rigueurs. Emmitouflés dans nos manteaux, derrière nos turbans et nos verres de soleil, nous tentions de résister. Après la falaise de Tiguedit, nous atteignons après 80km, Thurayat, premier poste militaire. Un contrôle rapide puis nous poursuivons notre chemin. Le terrain est rocailleux jusqu’à Kori Kantana, deuxième détachement militaire. C’est là que nous allons camper pour prendre notre pause déjeuner. Tous les véhicules venant dans les deux sens observent ici un arrêt pour les contrôles.
Deux jeunes migrants en partance pour la Libye ont choisi ce moment pour égayer les voyageurs. Ils s’appellent Khamed, dit « Loulou ». et Ousmane. Ils sont ressortissants d’Agadez où ils animaient les soirées avec leur groupe musical dénommé Ténéré. Làs de ne pas pouvoir trouver les moyens de s’acheter des instruments de musique, Loulou et Ousmane ont décidé d’aller chercher du travail en Libye afin de réaliser leur rêve. A l’escale de Kori Kantana, Loulou a sorti sa guitare pour entonner des airs en Tamajek, tandis qu’Ousmane tapait dans un vieux bidon. Tout de suite une foule se constitue autour d’eux pour écouter leur musique. Ils adressent un message d’au revoir à tous les jeunes restés au village. Leur talent est apprécié de tous. Ils sont avec tous ceux que nous avons rencontrés sur ces routes, l’exemple d’une jeunesse sans soutien mais consciente de ses atouts et forces, une jeunesse en quête de réaliser ses rêves malgré les nombreux obstacles qui se dressent sur son chemin.
Il nous reste encore à parcourir plus de 400 km pour atteindre Dirkou.
Nous arrivons aux environs de 17h30 à ce qu’on appelle ici « l’embouchure » ; La piste devient cette fois ci sablonneuse. Il faut dégonfler les pneus. Ceux qui viennent dans le sens inverse, font eux le contraire. Après une nuit aux portes du désert du Ténéré, nous reprenions le chemin dès 7h du matin. Nous sommes dans une zone rouge où les braquages sont courants. Nous voyons de loin deux hommes. L’un agitait une bande de tissu en signe de détresse. Ibrahim le chauffeur se montre prudent avant d’accepter de s’arrêter. Les deux hommes s’approchent de nous et parlent en Tamajaek au chauffeur. Leur véhicule est tombé en panne. Ils ont passé trois jours ici et ont épuisé leurs réserves d’eau et de nourriture. Nous leur avons été d’un secours précieux. Ils ne tarissaient pas de remerciements à notre endroit et nous souhaitaient un bon voyage. Dans ce no man’s land, la solidarité est la chose la mieux partagée .sauf bien sûr avec les bandits armés.
Après plus de 4heures de route, nous atteignons « le puits de l’espoir », point d’arrêt pour de nombreux voyageurs. Nous nous arrêtons pour le déjeuner. Plusieurs véhicules transportant des migrants sont stationnés là. Une plaque nous indique que ce puits a été construit en 2003 sur financement de l’Union Européenne et de la Coopération canadienne. Dans ces étendues de sable où l’eau est une denrée rare, l’existence d’un tel puits ne peut qu’apporter « l’espoir ». Mais ce puits de 200m a tari depuis quelques années sans qu’aucune initiative ne vienne la réhabiliter ! Le hangar de ciment qui le protège sert aux voyageurs d’espace de repos et aux migrants une « ardoise » qu’ils noircissent de graffitis et de messages décrivant leur vie, leur parcours ou leurs angoisses. On y retrouve par exemple ce message : « Un des grands problèmes de la Libye a été l’intégration des noirs victimes de pauvreté et de racisme » ou d’autres plus intimes comme celui de cet auteur anonyme qui signe un mot tendre pour sa dulcinée. Que d’histoires et de tranches de vie qui s’étalent dans ce grand carnet de voyage ouvert par des passagers du désert.
Le puits de l’espoir est la limite du département de Tchirozerine Nous sommes à 307 km de Dirkou et à 107 km d’ Achigour notre prochaine étape.que nous atteignons aux environs de 18 h30 ; Après une escale de quelques heures, nous reprenions la route en direction de Dirkou. Pour des raisons sécuritaires les portes de cette commune sont fermées aux voyageurs à partir de 18h. Nous nous sommes alors résignés à passer notre seconde nuit dans le désert, non loin de la colline Caporal. La légende raconte que cette colline était hantée par des esprits et un jour un caporal de l’armée coloniale française qui n’y croyait pas aurait décidé de s’y rendre . Depuis, il n’est jamais revenu, d’où cette appellation de colline caporal. Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres de Dirkou. Un collier de dunes blondes surnommés ici « Indochine », s’étalent devant nous. Le désert nous laisse découvrir sa nudité traversée par endroits, par un faisceau de traces de véhicules.
Une panne à 27 km, va nous clouer pendant des heures avant d’atteindre Dirkou aux environs de 11h. Cette oasis érigée en commune rurale en 2004 couvre une superficie de 11090km2. Elle est un passage presque obligé des migrants venant ou partant en Libye. C’est pourquoi l’OIM a installé en fin 2009 un centre de réception des migrants avec l’appui de la coopération italienne. Selon son responsable Ali Tayabou l’activité traditionnelle du centre est la sensibilisation des migrants sur l’organisation de la migration. Depuis le début de la crise en Libye, en mars 2001, le centre avec d’autres ONG et organismes comme MSF, Croix Rouge, CICR ou Unicef s’occupent de la prise en charge humanitaire en assurant aux migrants refoulés ou en situation difficile la nourriture, l’hébergement, la santé et le suivi psychosocial avant leur acheminement dans leurs régions ou pays d’origine. Si dans le principe de l’OIM comme nous le dit une migration bien ordonnée est bénéfique non seulement pour le migrant mais aussi pour le pays de départ et celui d’accueil » force est de constater à Dirkou que le centre de l’OIM travaille surtout décourager la migration dite « clandestine » en installant dans son enceinte un appareil avec un programme intégré de sensibilisation en français et en anglais diffusant des images et des témoignages qui mettent l’accent selon son responsable « l’accent sur les risques liés à la migration clandestine et les opportunités que leurs pays d’origine leur offrent en matière d’emplois ». Un discours qui trahit les témoignages des candidats à la migration que nous avons rencontrés sur ces routes. A Agadez, Dirkou, Letèye ou Séguedine , tous nous ont dit qu’ils quittent leur pays parce qu’ils n’ont pas d’emploi. Rien ne les décourage. La preuve est leur résilience à partir, même…. au prix de leur vie !