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Lettre ouverte au président de la République
Publié le vendredi 20 fevrier 2015   |  Le monde d’aujourd’hui N°115


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© Présidence par DR
Visite d`amitié et de travail du président Mahamadou Issoufou au Gabon
Mardi 15 avril 2014. Gabon. Le président de la république, Issoufou Mahamadou a effectué une visite de 48h les 15 et 16 avril 2014. Photo : Le président de la république, Issoufou Mahamadou


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Monsieur le Président, La culture de la paix ne s’accommode pas de propos va-t-en-guerre et d’actes de provocation…

Lorsque vous lirez cette lettre, la marche populaire que vous avez tant voulue aura eu déjà lieu. Pour ce grand cirque qui s’apparente à une vulgaire copie de la fameuse marche de Paris au cours de laquelle vous aviez déclaré être Charlie, propos blasphématoires qui ont suscité de graves émeutes dans plusieurs villes du Niger, j’ai appris que vous avez mis les petits plats dans les grands.

D’énormes efforts financiers ont été ainsi consentis pour mobiliser partis politiques, syndicats, chefs traditionnels et associations, etc. Tout un monde ! L’école fermée, l’administration en vacance, toutes les chaînes de télévision mobilisées pour couvrir l’évènement, c’est tout le Niger que vous avez décidé d’arrêter pour singer ce que François Hollande a fait afin de faire remonter sa popularité dans les sondages. Il est vrai que vous avez à peu près les mêmes problèmes. Hollande ne valait guère plus de 20% de l’opinion nationale française. Et même après la sale histoire de Charlie hebdo qui soulève actuellement des vagues, il est encore resté au creux de la vague permettez-moi la répétition car les Français, qui sont loin d’être des bénioui-oui, sont en train de s’interroger sur des aspects très troublants de cette affaire.

Entre autres, ils cherchent la réponse à cette question : comment des terroristes de la trempe des frères Chouaki ont-ils pu s’aventurer dans cette entreprise avec leurs pièces d’identité, signant ainsi clairement leurs forfaits ? Comment Ahmed Coulibaly a-t-il été neutralisé ? A-t-il été mitraillé à la sortie du supermarché ou a-t-il été d’abord pris menottes aux poignets avant cette mise en scène plus convenable qui a été finalement diffusée ? La poussière commence à se dissiper dans cette affaire et demain nous dira si, oui ou non, il s’agit d’attaques terroristes réelles ou une manipulation visant à servir une cause politique.

Monsieur le Président, vous êtes dans la même logique. Après avoir blasphémé en disant à tuetête et à qui voulait l’entendre que vous étiez Charlie, vous avez pensé que Boko Haram vous offre une occasion inespérée d’effacer cette sale insigne de la tablette qui vous colle à la poitrine, telles ces vulgaires tablettes que les polices du monde entier vous obligent à tenir bien en vue avant de vous photographier. Je sais combien vous pouvez souffrir de continuer à porter cette insigne et j’admets que vous cherchiez à vous en départir rapidement. Seulement, je doute de l’impact réel de la stratégie retenue. Beaucoup de Nigériens, et pas des moindres, disent avoir compris que votre motivation réelle est ailleurs.

Un peuple qui, vous avez dû le constater hier, sur le boulevard de la Place Toumo, à l’exception de ceux qui ont pris quelque jetons pour marcher ou qui ont dû le faire parce que leurs fonctions les y obligent, a déjà rendu sa sentence par rapport à vous . La guerre, j’en conviens avec ceux qui l’ont dit avant moi, n’est pas un jeu. Elle ne donne lieu à aucun amalgame, surtout pas à une instrumentalisation en vue d’y tirer quelques dividendes politiques. Ce sont des fils du Niger qui sont sur le front, en proie à un risque de mort permanent. Leurs familles, prises dans l’étau de l’angoisse morbide, sont aujourd’hui tournées vers les zones de guerre, sourdes et muettes par à rapport à tout ce que vous pourrez faire à Niamey.

Quant aux Forces de défense et de sécurité, je crois être en phase avec la réalité en disant qu’elles sont déjà convaincues du soutien total du peuple nigérien, les deputes ayant vote a l’unanimite, malgre la crise profonde qui vous oppose à l’Opposition politique, la résolution transmise par vos soins. C’est pourquoi je considère personnellement que la marche du 17 février est une singerie qui est sous-tendue par des préoccupations politiciennes. Voici mes arguments : D’abord, dans votre propos de Bilma, j’ai relevé que malgré la gravité du sujet que vous prétendez être la raison de votre présence à Bilma, vous avez insidieusement glissé vers un discours électoral, déclarant, je vous cite intégralement :

« C’est à cela que le Gouvernement travaille depuis bientôt quatre (4) ans. Depuis quatre ans, le gouvernement a impulsé d’importantes réalisations au profit du peuple nigérien. C’est ainsi que, s’agissant du Kawar, plus de trois milliards de francs CFA ont été dépensés dans les projets de développement, dans la sécurité alimentaire et les investissements directs de l’Etat. Cela concerne la sécurité, la gouvernance, l’Initiative 3N, les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’eau. Le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre un programme de montée en puissance des Forces de Défense et de Sécurité dans votre région, avec notamment la mise en place de nouvelles infrastructures militaires, pour en assurer la sécurité.

Les premières réalisations vont commencer cette année avec la transformation du poste militaire de Madama en bataillon. S’agissant de la santé, il sera construit, ici à Bilma, sur financement de l’Union Européenne, un hôpital de district dont le processus d’approbation du dossier d’appel d’offre est en cours. L’effort consacré à l’Initiative 3N, à l’éducation, à l’accès à l’eau, se poursuivra ». C’est là un propos que je pourrais qualifier de proposition indécente au regard de la circonstance. Mais bon, la plupart de nos compatriotes ont compris ce qui vous fait courir.

Monsieur le Président, lors de la marche de ce mardi 17, j’ai entendu des propos irresponsables qui frisent la démence. J’ai ainsi entendu les harangueurs du jour dire « Boko Haram a peur » comme si ce sont eux qui sont sur le front de guerre. L’objectif est-il de soutenir les FDS ou de provoquer davantage Boko Haram ? Je pense sincèrement que la marche de ce mardi, avec les propos déplacés que j’ai entendus, ne vise pas autre chose que de provoquer l’ire de Boko Haram, histoire d’attirer encore plus la folie meurtrière des fous d’Aboubakar Shekau sur le Niger. Autrement, je ne vois pas d’explication à ce cirque de mauvais goût.

Le terrorisme n’est pas une menace de façade. C’est une menace réelle qui fait peur aux Etats les plus puissants du monde. Le Niger ne peut pas être plus prétentieux que la France ou les Etats Unis dans ce domaine. Soyons par conséquent sérieux, gardons les pieds sur terre et abandonnons les discours et les actes qui sont de nature à mettre la vie de nos compatriotes en danger. La paix que vous prétendez cultiver ne s’accommode pas de propos-va-t-en-guerre, encore moins d’actes de provocation. Le Niger a, certes, une armée remarquable dont nous devons être fiers. Mais une armée n’est pas un troupeau de buffles ou de bisons. Le respect à cette armée, c’est d’abord le respect à leur vie. Le peuple nigérien, non plus, n’est pas un troupeau électoral. Le respect dû à ce peuple se concrétise en priorité dans l’ardeur à le préserver contre tout danger. Provoquer la guerre ne me semble pas être indiquée pour y arriver.

Monsieur le Président, comme beaucoup de Nigériens, j’ai appris l’arrestation de Kaka Bounou, un homme qui avait déjà été interpellé, car soupçonné d’éventuelles liaisons avec Boko Haram. Mais, la plupart de nos compatriotes ignorent pourquoi, malgré les charges qui pesaient sur lui, il avait été relâché. Cette « frasque » rappelle vaguement l’affaire Chebani, du nom de ce dangereux terroriste incarcéré curieusement à la prison civile de Niamey et non à la prison de haute sécurité de Koutakalé, et qui a réussi à s’évader dans le sang en plein jour (deux gardes nationaux y ont perdu la vie). Comme avec l’affaire Chebani, l’affaire Bounou fait beaucoup jaser. Je laisserai, pour ma part, le temps au temps pour être édifier.

Néanmoins, je vous dirais que certains voient dans cette frénésie incompréhensible à provoquer Boko Haram la volonté de créer les conditions d’un jeu politique trouble. Ils prétendent que vous n’avez aucun moyen de gagner les élections générales prochaines si vous vous conformez aux règles du jeu démocratique telles qu’elles sont édictées par les lois de notre pays, en l’occurrence le Code électoral. Ils soutiennent que la MRN [Mouvance pour la Renaissance du Niger] qui vous soutient est un tigre en papier dont l’ARDR [Alliance pour la Réconciliation, la Démocratie et la République], l’opposition politique à votre pouvoir, ne fera qu’une bouchée. Pour ces compatriotes qui ne manquent pas d’arguments, provoquer Boko Haram est l’arme ultime qui vous reste.

Selon les tenants de cette hypothèse, la stratégie consisterait à diriger le regard de nos compatriotes vers des questions plus préoccupantes, le temps que l’architecture institutionnelle vous permettant de gagner les élections sans coup férir se mette en place. Malgré ma très grande réticence, leurs arguments ont réussi à semer le doute en moi. Pour appuyer ce qu’ils disent, ils m’ont dit que contrairement à la tradition de consensus ayant toujours présidé à l’organisation des élections au Niger, le pilotage du processus actuel est sujet à caution.

Ils m’ont révélé et démontré que le secrétariat permanent de la CENI [Commission électorale nationale indépendante] a lancé des avis de recrutement d’un Responsable du sous-comité technique au centre national de traitement du cfeb [Comité du fichier électoral biométrique] et des coordonnateurs régionaux. Le responsable du sous-comité technique au centre national de traitement du Cfeb a pour mission, en collaboration avec les services concernés, de :

– Assurer la gestion du Centre National de Traitement du CFEB ;
– Assurer l’informatisation des activités du CFEB ;
– Centraliser le recrutement et la formation des techniciens ;
– Assurer la formation et l’assistance des utilisateurs du système informatique ;
– Collecter des données électorales et constituer des archives électroniques ;
– Constituer le fichier électoral ;
– Etablir les Listes Electorales ;
– Produire les cartes d’électeurs ;

– Générer les bureaux de vote ;
– Gérer le système d’information du CFEB.
Quant aux Coordonnateurs régionaux, ils sont chargés de :
– Coordonner les activités du CFEB dans la région – Superviser, contrôler et veiller à la libre inscription des électeurs en collaboration avec les membres des structures décentralisées ;
– Garantir la régularité de l’opération du recensement électoral ;
– Gérer les fonds mis à la disposition de la coordination régionale conformément aux directives du Coordonnateur National du CFEB et présenter les pièces justificatives des dépenses à la fin de sa mission ;

– Réceptionner tous les matériels du recensement électoral provenant du CFEB et en délivrer une décharge en présence des représentants des partis politiques ;
– S’adresser aux autorités compétentes pour toute réquisition de véhicule ;
– S’assurer du transport effectif des superviseurs et des agents recenseurs; – Veiller à la préparation et à la mise en place des matériels et documents au niveau des structures décentralisées ;
– Sensibiliser les différents acteurs au niveau de son entité sur le recensement électoral ; -Veiller à la diffusion de toute information utile à l’endroit des futurs électeurs et des formations politiques ;

– Participer à la formation des membres des structures décentralisées ;
– Récupérer à la fin du recensement électoral les matériels et documents non périssables ; -Recevoir une copie des procès-verbaux des différentes structures décentralisées relevant de son entité ;
-Veiller au strict respect des textes législatifs et réglementaires afin de garantir le bon déroulement du processus d’élaboration du Fichier Electoral Biométrique ;

– Veiller à la conformité aux dispositions en vigueur des documents et matériels qu’il reçoit du CFEB.
Monsieur le Président, Pourquoi recruter dans un contexte politique lourd de suspicions ? Pourquoi recruter alors que les magistrats présents dans les régions peuvent s’acquitter de cette mission ? Si j’ai tenu à épingler dans cette lettre l’intégralité des missions de ces acteurs-clés des futures échéances électorales, c’est pour que chaque Nigérienne, chaque Nigérien, mais aussi les observateurs étrangers, comprennent que la procédure de désignation de ces acteurs n’est pas conforme à la tradition du consensus politique qui a toujours été gage de crédibilité des élections au Niger. Si durant votre magistère, on s’écarte de cette voie, nous allons droit dans le mur.

La CENI doit, par conséquent, revoir sa copie. Autrement, le verre est déjà dans le fruit. Si, malgré tout, elle persiste dans cette voie, elle va créer les conditions d’un imbroglio politique qui aura de graves répercussions sur la vie de la nation.

Monsieur le Président, je n’ai pas épuisé cette question qui comporte d’autres aspects plus complexes et plus préoccupants sur lesquels je reviendrai, incha Allah, la semaine prochaine. Je m’arrête là, en espérant que nos frayeurs ne sont pas fondées et que le Niger sera épargné des soubresauts que nous entrevoyons dans ces tâtonnements politiques qui ne rassurent pas.


Mallami Boucar

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