La présence de jeunes Nigériens dans les rangs du groupe islamiste Boko Haram, désormais en guerre contre Niamey, démontre combien l'islam radical a gagné du terrain dans le pays, prospérant sur la pauvreté et mettant l’État sous pression.
"On est dans une situation extrêmement dangereuse", avertit Moulaye Hassane, professeur à l'université de Niamey.
Cela fait certes plus de 30 ans que les courants radicaux se développent au Niger, mais ils représentent aujourd'hui pour l’État un défi "très grave", explique à l'AFP ce spécialiste de l'islam.
Depuis le 6 février, le groupe islamiste nigérian et ses éléments locaux ont perpétré des attaques meurtrières dans la zone de Diffa. Cette localité du sud-est du Niger est frontalière du nord-est du Nigeria, fief des insurgés de Boko Haram qui combattent les autorités nigérianes depuis 2009.
A l'appel du pouvoir, des milliers de personnes ont manifesté mardi au Niger pour dénoncer Boko Haram, "ennemi de l'islam".
Un message fort dans ce pays à 98% musulman, où cette religion est majoritairement modérée, héritière de confréries soufies.
Cependant, la poussée islamisante des dernières années est spectaculaire.
Dans la capitale, les mosquées se sont multipliées, des quartiers pauvres jusqu'aux ministères. "Il y en a partout!", s'étonne le professeur Hassane. Dans une simple ruelle poussiéreuse, il n'est pas rare de voir deux minarets, à 50 mètres l'un de l'autre.
Les filles et leurs mères sont de plus en plus souvent voilées et, dans les administrations, une scène est devenue habituelle: certaines femmes refusent de serrer les mains d'hommes qu'elles ne connaissent pas.
Les radicaux, notamment salafistes, qui dirigent de nombreuses mosquées et écoles coraniques du pays s'inscrivent dans un espace "religieux non-violent", souligne un bon connaisseur de la société nigérienne.
"Mais la grande question est de savoir si ces groupes vont un jour passer de la prédication au combat", avance-t-il.
Or, l’État n'a aucun contrôle sur les prêches et enseignements dispensés dans ces lieux.
Dans un pays parmi les plus pauvres du monde, où 70% de la population a moins de 25 ans et au chômage massif, la jeunesse est l'objet de toutes les convoitises. Et de toutes les craintes.
Les "talibé", ces jeunes des écoles coraniques qui mendient dans les rues, sont "des proies faciles pour les gens de Boko Haram et les extrémistes", avertit Boubacar Seydou Touré, secrétaire général de l'Association islamique du Niger (AIN).
"Il faut que l’État nous aide à récupérer ces jeunes", ajoute le responsable de cette organisation modérée.
- Partis politiques 'piégés' -
Si les autorités livrent bataille aux "terroristes", elles semblent en revanche mal à l'aise face aux rhétoriques religieuses virulentes, dans une société déjà très conservatrice.
Soucieux de ne pas s'aliéner une part de l'électorat, "tous les partis politiques sont piégés dans l'affaire", estime le professeur Hassane.
Les tentatives de maîtriser la fécondité - le Niger est champion du monde avec 7,6 enfants par femme - s'attirent une large coalition de critiques, des fondamentalistes aux modérés. Tous fustigent l'importation de valeurs "occidentales".
La place croissante d'organisations musulmanes radicales dans l'espace politique met sous pression l’État laïc nigérien.
Dans un Sahel travaillé par des courants extrémistes, "si ce verrou laïc saute, ça devient très gênant", s'inquiète un diplomate occidental.
Déjà, par méfiance pour un système judiciaire jugé corrompu, de nombreux Nigériens se tournent vers les chefs religieux et coutumiers pour des différends de la vie quotidienne, tranchés d'après la charia (loi islamique).
Issoufou Bachar, qui se définit comme "islamiste à 100%", veut aller plus loin: faire que la charia remplace la Constitution.
"C'est inévitable que le Niger devienne un pays islamique", affirme cette personnalité de la galaxie radicale, tout en précisant que cela doit se faire par des voies "démocratiques".
Ce type de discours inquiète parmi la minorité chrétienne, en état de choc depuis les manifestations de la mi-janvier. Celles-ci, déclenchées par la caricature de Mahomet publiée dans le journal français Charlie Hebdo, avaient viré en émeutes anti-chrétiens et fait dix morts.
Les islamistes "font tout pour enlever le caractère laïc de l’État", assure le pasteur Batchiri Sabo, qui a vu son église saccagée et incendiée à Niamey durant ces violences.
"Les autorités ont toujours résisté jusqu'ici", souligne-t-il. "Mais je ne sais pas si elles pourront le faire très longtemps".
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