Dakar - Au moment de s'adresser jeudi au Congrès américain pour remercier les États-Unis de leur soutien contre l'épidémie d'Ebola, la présidente du Liberia Ellen Jonhson Sirleaf referme un nouveau chapitre de l'histoire tumultueuse de plus de deux siècles entre les deux pays.
Mme Sirleaf doit s'exprimer devant le Sénat avant d'être reçue vendredi à la Maison Blanche par le président Barack Obama, qui a accordé 2,5 milliards de dollars au Liberia et envoyé 2.800 militaires américains, le plus important contingent envoyé par les États-Unis en Afrique de l'Ouest, pour lutter contre
Ebola.
Washington a aussi appuyé auprès des institutions financières internationales les pays les plus touchés, Guinée, Sierra Leone et Liberia. Ce dernier, qui totalise officiellement le plus grand nombre de morts (plus de
4.000 sur près de 10.000), est le plus proche de la fin de l'épidémie, grâce notamment à l'aide américaine.
Bien que tardive, cette intervention massive s'est avérée beaucoup moins
controversée que tant d'autres des États-Unis depuis 200 ans dans ce pays
"frère", situé de l'autre côté de l'Atlantique et qui a quasiment le même
drapeau (celui du Liberia ne comprenant qu'une étoile).
La "relation spéciale" se noue dans les années 1820 lorsque le Congrès et
la Société de colonisation américaine, financée par des propriétaires
d'esclaves, affranchissent des esclaves et les installent sur les côtes du
pays.
Des milliers de colons baptisés "américo-libériens" suivent et proclament
l'indépendance en 1847, avec pour capitale Monrovia, en l'honneur du président
américain de l'époque James Monroe, formant un gouvernement qui régit la
majorité autochtone, privée de droit de vote.
James Ciment, l'auteur de "l'Autre Amérique: L'histoire du Liberia et des
anciens esclaves qui l'ont dirigé", décrit ce pays comme "le fils adoptif à
moitié oublié de l'Amérique".
L'engagement américain pour le Liberia n'est que l'exécution d'un
"obligation spéciale" envers lui, écrivait-il dans la revue Slate en
septembre, alors que Barack Obama lançait la mobilisation américaine contre
Ebola.
- 'Mythe réconfortant' -
Peter Pham, auteur de "Liberia: Portrait d'un État failli" et directeur
d'un centre de recherches sur l'Afrique basé à Washington, exprime un point de
vue similaire.
"Pour être franc, certains des philanthropes qui ont financé l'opération de
rapatriement d'anciens esclaves et d'autres Africains de la diaspora avaient
des motivations ouvertement racistes", affirme-t-il à l'AFP.
Il cite le refus des États-Unis de reconnaître l'indépendance du Liberia,
presque vingt ans après l'Europe comme preuve que la "relation spéciale" entre
les deux pays est surtout un "mythe réconfortant".
Le Liberia a néanmoins été un allié indéfectible qui a permis aux
États-Unis de disposer d'une base militaire pendant la Deuxième Guerre
mondiale et qui les a soutenus à l'ONU pendant la Guerre froide, en
particulier pendant la guerre du Vietnam.
En contrepartie, les États-Unis ont accordé une aide importante à ce petit
pays - plus de 600 millions de dollars depuis 2009, selon le département
d'État - mais les détracteurs jugent le bilan de la tutelle américaine
globalement négatif.
Ils mettent en exergue le soutien à la dictature militaire corrompue de
Samuel Doe dans les années 1980, le premier dirigeant du pays appartenant à la
majorité autochtone, puis l'incapacité de Washington à l'évincer et à empêcher
les guerre civiles qui ont fait quelque 250.000 morts dans les années
1990-2000.
Peter Pham reproche à cette vision d'ignorer la responsabilité propre des
Libériens: "Au moment de sa prise du pouvoir", Samuel Doe "était immensément
populaire auprès de la grande majorité des Libériens".
Le monde universitaire au Liberia dresse également un tableau contrasté de
l'influence américaine.
Edward Wonkeryor, vice-président de l'Université Cuttington, reconnaît que
l'aide américaine au Liberia est liée à la volonté des États-Unis de préserver
leur poids économique en Afrique, menacé notamment par la concurrence chinoise.
Mais face à Ebola, ils se sont montrés à la hauteur de leur responsabilité
morale et historique, selon lui.
"Les États-Unis aident le Liberia dans la crise d'Ebola en raison de leurs
responsabilités envers ce pays, compte tenu des relations historiques,
culturelles, économiques, sociales, idéologiques et de sécurité depuis la
fondation du Liberia", résume-t-il.
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