La récente affaire de paiement de pots de vins dans laquelle seraient impliquées plusieurs personnalités dans le dédommagement des expropriés de la SORAZ, relevée par l’avocat Lirwana Abdoulrahamane donne de la chaire de poule.
A en croire les dires de l’avocat, des ministres, cadres de commandements, chefs coutumiers et autres fonctionnaires de l’Etat, auraient été arrosés par les soins de son confrère ayant eu à gérer ce dossier. Cette mise à nue des pratiques peu orthodoxes des princes qui nous dirigent démontre leur boulimie notoire quand il s’agit de défendre leurs intérêts personnels au détriment de ceux du peuple nigérien. Malgré la gravité de l’affaire qui porte sur plus d’un milliard déjà décaissé sur les 6 milliards, le procureur comme dans le cas de plusieurs autres révélations faites par la presse sur des détournements et autres forfaitures, a gardé un silence de mort.
Pourtant, dans un passé récent, c’est sur la base d’un écrit par un journal de la place que la justice s’est mise en branle pour traquer ceux qui ont « bouffé » le fonds d’aide à la presse.
La déclaration faite par l’avocat Lirwana est extrêmement grave, surtout qu’elle dénonce une corruption à large échelle, obligeant du coup le procureur de la République à ouvrir immédiatement une enquête judiciaire afin de mieux comprendre les contours de ce dossier.
De la corruption.
Selon Me Lirwana, son confrère, Me Illo Issoufou, a partagé dans les fonds décaissés par l’Etat pour dédommager ces expropriés, environ 45 millions de Fcfa entre ministres, chefs coutumiers et autres. A Zinder, « il a donné 1 million au gouverneur, 10 millions au chef de canton de Walalewa, 1 million à un des bafadé ‘’courtisan’’ du chef de canton de Walalewa, 500 000 fcfa au maire sortant, 500 000 fcfa à un agent de la mairie, 200 000fcfa au Préfet de Tanout». Il a ensuite poursuivi son partage à Niamey où il a donné 10 millions à un agent du ministère du pétrole qui se trouve être le rapporteur de l’Etat du Niger dans ce dossier, le nommé Laminou.
Le ministre du pétrole Foumakoye Gado a reçu 3 millions. Me Amina Boubacar, notaire, a touché sur les 10 millions virés à la BOA Niamey, 9 millions 800 000 Fcfa. L’ancien ministre des finances, Ouhoumoudou Mahamadou est supposé avoir 2 millions (…)». Par cette déclaration, Me Lirwana a ainsi dévoilé l’identité de toutes les personnes qui ont été « arrosées » par son confère à partir des fonds qui devaient servir à dédommager des personnes expropriées de leurs terrains sur le site qui abrite la Soraz. À partir de ces dénonciations et selon nos sources, le procureur de la République, partant du principe de l’indépendance de la justice, consacré par la Constitution du 25 novembre 2010, doit ouvrir une enquête pour déterminer la part de responsabilité de toutes les personnes citées par Me Lirwana.
Mais plusieurs jours se sont écoulés sans qu’on y apprenne une réaction de la part du procureur dans ce sens. Un silence troublant qui inquiète les nigériens épris de justice, surtout quand on sait que beaucoup d’autres affaires scabreuses révélées par la presse, avec preuves à l’appui sont restées sans suite.
Des dossiers.
Cette affaire de bakchich pris par des personnalités politiques, administratives et coutumières est une affaire qui vient s’accrocher à la longue liste d’affaires scabreuses qui ont mis à mal la crédibilité des autorités de la 7ème République dans le domaine de la lutte contre l’impunité. On peut citer entre autres dossiers brûlants, le récent scandale de 25 milliards mettant en cause un conseiller du président de la République. Une affaire révélée par la presse qui n’est d’ailleurs pas à ses débuts et qui promet des chaudes péripéties lorsque l’opposition politique va s’en saisir. Il y a également l’affaire du marché illégal de plus de 700 millions de Fcfa, attribué au ministère de l’urbanisme.
Ce marché dépassant largement le seuil de 500 millions de FCFA réglementaire n’a pas fait l’objet, en son temps, d’une communication en conseil des ministres, et ce, en violation des dispositions en vigueur. Pire, il aurait été attribué à un militant du même parti politique que le ministre, consacrant une rupture d’égalité entre citoyens nigériens. Que dire de cette affaire tout aussi scabreuse de deux marchés pour l’achat de maïs, attribués par le ministre d’Etat, ministre du plan, Amadou Boubacar Cissé aux Ets Elh Saihibou Tera et à la société Balma ?
A côté de ces affaires, il faut ajouter celle de faux médicaments, impliquant un conseiller du président de l’Assemblée nationale; tout comme les innombrables fraudes aux examens et concours, mises à nu par la presse. Pour toutes ces affaires, dont la liste n’est pas exhaustive, des preuves ont été fournies à travers des fac-similés qui ont suivi les articles produits. Mais les autorités ont préféré faire la sourde oreille en fermant les yeux sur ces cas graves d’atteinte au sacro-saint principe de la bonne gouvernance, chère aux bailleurs de fonds du Niger.
Aucune action en justice n’a été ainsi engagée concernant toutes ces affaires citées plus haut et qui ont fait les choux gras de la presse nigérienne. C’est ce même mutisme et cette même inaction qui caractérise cette dernière affaire révélée par Maitre Lirwana dans le point de presse qu’il a organisé la semaine dernière.
De la défaillance du système.
Rien n’empêche pourtant au Procureur de la République, au vu de la gravité des faits rapportés par Me Lirwana et bien d’autres dénonciations de la presse, d’instruire soit la police ou la gendarmerie nationale afin de mener une enquête sur toutes les personnes mises en cause dans ces affaires. Pour l’affaire de pots de vin dévoilée par l’avocat des expropriés de la Soraz, le procureur de la République, à partir du procès verbal qui sera établi par les enquêteurs s’il venait à ouvrir une enquête, peut demander au gouvernement que soit levée l’immunité des personnalités citées dans cette affaire, afin qu’elles puissent être entendues par le juge.
Cette indépendance qui permet au juge d’agir en pareille circonstance est consacrée par la Constitution à son Article 118 qui stipule : « Dans l'exercice de leurs fonctions, les magistrats sont indépendants et ne sont soumis qu'à l'autorité de la loi». De ce fait, et fort de son pouvoir, le Procureur de la République n’est peut, en aucun cas et pour quelles que raisons que ce soient, s’abstenir d’agir en conséquence pour faire la lumière dans cette affaire. Aussi, à partir de cette enquête, la justice aura à découvrir toutes les preuves qui pourraient lui permettre d’établir la responsabilité de toute personne citée dans ce dossier.
Si à partir des faits, leur culpabilité vient à être établie, toutes ces personnes devront être poursuivies pour faits de corruption. Mais depuis cette sortie médiatique, jusqu’à aujourd’hui, aucun acte ne semble avoir été pris par le procureur de la République à qui, incombe la responsabilité d’extirper de notre société des personnalités à moralité douteuse qui acceptent de se faire corrompre très facilement. Le silence du procureur sera lourd de conséquence pour la lutte contre l’impunité engagée par le président de la République. Mais s’il agit comme la loi lui fait obligation, le procureur de la République aura donner un coup de fouet à ce combat qui peine à prendre véritablement forme sous la renaissance du Guri.
Impossible lutte contre l’impunité.
Dans ce contexte, c’est tout l’engagement pris par le Président de la République d’assainir la gestion des finances publiques et de promouvoir la bonne gouvernance qui se retrouve bafoué. Ce qui est loin d’être une surprise quand on sait que le président Issoufou avait raté le coche dans l’Affaire des fausses factures, impliquant Zakou Djibo dit Zakaï. Cette affaire avait été mise à nu par le gouvernement en plein conseil des ministres. Et comme pour démontrer toute son impuissance à concrétiser en actes, les engagements pris pour lutter contre l’impunité, le régime du Guri va se singulariser par les libertés provisoires attribuées à des délinquants économiques qui ont pourtant été « pris la main dans le sac ».
Tout cela à cause de pressions politiques et autres chantages provenant de ses propres alliés et des calculs visant à protéger les militants, pourtant confondus dans des affaires scabreuses. C’est probablement cette même attitude qui va être observée à propos des révélations faites par Me Lirwana avec des noms des personnalités proches du président de la République, citées dans cette sale affaire de corruption. A moins que dans un sursaut salvateur pour son mandat, le président de la République ne décide d’exprimer son ras-le-bol en mettant en avant l’intérêt du peuple et la soif de justice au dessus des intérêts politiques mesquins.
Mais ceux qui croient à ce sursaut du Chef de l’Etat dans le domaine de la lutte contre l’impunité se comptent « sur le bout des doigts de la main ». Les promesses de fin de la complaisance et de l’interventionnisme du politique dans les affaires judiciaires ont visiblement été mises au placard. Ce qui à coup sûr va faire mal à l’heure du bilan.