Interview de M. Issoufou Issaka, ministre de l’Hydraulique et de l’Environnement : «L’arbre est un élément très important pour aider à réaliser « l’alliance de la liberté et du pain»
Monsieur le ministre, notre pays célèbre le 03 août 2013, le 53ème Anniversaire de son accession à l'indépendance. Pouvez-vous nous dire, Monsieur le ministre, quelles sont les activités phares inscrites au programme de cette Edition 2013 de la Fête Nationale de l'Arbre ?
Voici trente huit (38) ans que le Niger a dédié la commémoration de la Fête Nationale de l'Indépendance à la plantation d'arbres. L'objectif principal visé par La Fête Nationale de l'Arbre (FNA) ainsi instituée est de sensibiliser et mobiliser le grand public en faveur de la préservation des ressources forestières, du reboisement et de la restauration des écosystèmes. Je saisis la présente occasion pour lever une équivoque à propos de l'effort de reboisement. Aussi je tiens à préciser que la campagne nationale de reboisement débute habituellement pendant le premier trimestre de chaque année par l'acquisition des intrants suivie de la production des plants, et les plantations peuvent s'étaler de juin à septembre. Aussi, contrairement à une idée largement répandue, l'effort de reboisement ne se limite pas aux plantations de la seule journée de la fête nationale de l'arbre qui est une journée de sensibilisation du grand public ; l'action de reboisement est l'œuvre de plusieurs acteurs qui sont les projets et programmes de développement financés par les partenaires techniques et financiers, les ONGs, et autres associations et l'Etat du Niger.
Comme à l'accoutumée, les activités marquant l'Edition 2013 de la Fête Nationale de l'Arbre ont débuté avec la mise en place, au mois d'avril, du Comité National d'Organisation qui regroupe les représentants des institutions de l'Etat et des acteurs de la société civile. La Région de Niamey a été retenue cette année encore pour abriter la cérémonie officielle de plantation, sous le Haut Patronage de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l'Etat.
Le thème central retenu est : « plantons pour reverdir et contribuer à la sécurité alimentaire de notre pays». Il s'agit à travers ce thème de mettre l'accent sur le rôle que jouent l'arbre et les forêts dans la protection de l'environnement, la sécurité alimentaire, la cohésion et la paix sociales.
Les principales manifestations retenues à Niamey et dans les autres localités portent essentiellement sur la sensibilisation des populations par des émissions en langues nationales et des débats à travers les radios et les télévisions de la place ; la cérémonie officielle de plantation d'arbres, le 3 Août. Contrairement aux années passées, il s'agira de plantations d'alignement sur l'artère allant de la Route de Tillabéri à la Cité de la Renaissance. Il s'agit de contribuer ainsi à l'embellissement de notre Capitale dans le cadre du Programme Niamey Nyala.
Vous venez de le dire, Monsieur le Ministre, le thème retenu pour la célébration de cette édition est : « Plantons pour reverdir et contribuer à la sécurité alimentaire du pays ». Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous édifier davantage sur la pertinence du choix de ce thème par rapport aux actions entreprises dans le cadre du Programme de la Renaissance du Niger ?
Le thème retenu pour la présente Edition est : « Plantons pour reverdir et contribuer à la Sécurité Alimentaire de notre Niger ». A travers un tel thème, il s'agit pour nous d'amener les Nigériennes et les nigériens à cerner définitivement le lien très fort entre l'environnement et la sécurité alimentaire, qui demeure encore un défi que notre pays cherche vaille que vaille à relever, notamment par la mise en œuvre de l'Initiative 3N « les Nigériens Nourrissent les Nigériens ». Il s'agit aussi de rappeler, qu'au-delà de son rôle dans la lutte contre la désertification et les changements climatiques, l'arbre est un élément très important pour aider à réaliser « l'alliance de la liberté et du pain » dont parlait Son Excellence Monsieur Issoufou Mahamadou dans son discours d'investiture à la Présidence de la République.
Aussi, voudrai-je singulièrement rappeler que dans notre pays, les produits et sous- produits forestiers jouent des rôles socioéconomiques déterminants, tant en milieu rural que dans les centres urbains. En effet, en temps normal comme en temps de crise alimentaire, les ménages nigériens intègrent de plus en plus les feuilles et fruits de plusieurs espèces forestières dans leur régime alimentaire. Ainsi, des 2.143 espèces de la biodiversité végétale inventoriées, 468 espèces, soit 21,8% sont exploitées par l'homme dans les domaines variés, comme l'alimentation, la santé, l'habitat, l'artisanat, la culture, le petit outillage agricole, etc. Il est aussi établi que les arbres et les forêts contribuent à hauteur de 25 à 30% à l'alimentation du cheptel. Par ailleurs, les forêts constituent des réserves pastorales stratégiques et des aires de parcage des animaux, notamment pendant la saison des cultures.
De plus, les recherches ont prouvé que certaines espèces ont un rôle important dans l'amélioration et le maintien de la fertilité des sols. Il est généralement admis que la présence de l'Acacia albida (gao) dans les champs augmente les rendements de 20 %.
De manière générale, quelles sont les actions de longue haleine que votre département ministériel a initiées et mises en œuvre dans le domaine de la préservation de l'environnement ?
Comme vous l'avez si bien dit, la protection de l'environnement est une œuvre de longue haleine et notre pays mène depuis plusieurs décennies de multiples actions de lutte contre la désertification, de conservation et de réhabilitation des écosystèmes naturels. Au titre de ces actions on peut citer entre autres : la récupération des terres et le reboisement à des fins agro-sylvo-pastorales, la lutte contre l'ensablement, les mises en défens, la lutte contre les feux de brousse, l'aménagement et la gestion des forêts, la lutte contre les adventices aquatiques et terrestres, la pêche, la création et l'aménagement des aires protégées de faune, la lutte contre la pollution et les nuisances, l'amélioration du cadre législatif et règlementaire, la protection de la nature, le renforcement des capacités des services et des autres acteurs, etc..
A titre d'illustration, je m'en vais vous donner quelques réalisations physiques faites d'avril 2011 au 30 juin 2013 dans le domaine de l'environnement. Il s'agit notamment de de la récupération de 172 182 ha de terres dégradées, la fixation de 25 679 ha de dunes, l'ouverture de 52 437 km de pare-feux, la production de 21 407 991 plants forestiers, le reboisement de 78 638 ha, la lutte contre les adventices aquatiques et terrestres sur 9 074 ha, l'empoissonnement de 193 mares, le classement de la Réserve Nationale Naturelle de Termit-Tintouma d'une superficie de 9.700.000 ha.
Ces réalisations, au-delà de leurs impacts au plan environnemental, ont permis de créer 87 144 emplois ruraux temporaires de 6 mois, de générer des revenus d'environ 30 milliards de FCFA aux populations sous forme de main d'œuvre locale, et de contribuer ainsi à l'amélioration de la sécurité alimentaire.
Quelles sont les principales actions entreprises par votre département en matière d'assainissement et d'accès à l'eau potable ?
Tout d'abord, il faut souligner que les principales actions en matière d'assainissement de base et d'accès à l'eau potable des populations s'inspirent du Programme National d'Alimentation en Eau Potable et d'Assainissement 2011-2015, adopté par le Gouvernement le 23 décembre 2011. Ce programme, convient-il de le rappeler, découle des engagements pris par Son Excellence Monsieur le Président de la République dans le cadre du Programme de Renaissance pour le Niger.
Dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme, d'importantes réalisations ont été effectuées aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural. C'est ainsi qu'en milieu rural, 4 624 équivalents points d'eau modernes (éq/PEM) ont été réalisés et mis en service, 943 sont en cours de réalisation et 1725 en instance de démarrage. A terme, 7 292 éPEM verront leurs réalisations terminées d'ici la fin de Mars 2014, laissant présager un taux d'exécution de 91,15% par rapport aux prévisions qui sont de 8 000 éPEM pour les trois (3) années de mise en œuvre du Programme de Renaissance du Président de la République. En plus, des travaux de réhabilitation ont concerné 1 947 éq/PEM.
En milieu urbain, les réalisations ont concerné essentiellement l'optimisation (augmentation de la production, réhabilitation et extension des réseaux) des infrastructures d'alimentation en eau potable (AEP) des 52 centres concédés à la Société de Patrimoine des Eaux du Niger (SPEN), sur lesquels se sont ajoutés les centres de Gothèye avec sept (7) villages environnants et Dan Issa avec treize (13) villages environnants. Les travaux pour l'extension du réseau de Tillabéry à Diamballa et Namari Goungou, et celui de Gothèye à Koulikoira, Kakassi, et Kassani, vont bientôt démarrer. D'autres études sont en cours en vue de l'optimisation de 19 centres à intégrer au périmètre concédé à la SPEN. Dans le domaine de l'assainissement de base, les réalisations se chiffrent à 24 877 latrines familiales et 691 publiques y compris scolaires. Aussi des actions d'animation et de sensibilisation sont faites à l'endroit des populations de 520 villages pour un changement de comportement, en faveur de bonnes pratiques de l'hygiène et de l'assainissement de base à travers l'Assainissement Total Piloté par la Communauté (ATPC). Les latrines familiales, réalisées à titre de démonstration, ainsi que les actions d'animation et de sensibilisation, ont pour objectifs d'entrainer la prise de conscience des populations pour qu'elles réalisent elles-mêmes des latrines. Ces investissement ont permis à environs 1 467 000 personnes supplémentaires d'accéder à l'eau potable, et la création de 46 762 emplois temporaires de quatre (4) mois pour les puits, à plus d'un an (1) an pour l'hydraulique urbaine.
Aujourd'hui, soit 38 ans après l'institutionnalisation de la Fête de l'arbre, quel regard portez-vous sur l'impact des différentes actions entreprises au Niger pour la sauvegarde de notre environnement ?
Je dois d'abord souligner qu'en matière d'environnement, les impacts ne sont perceptibles qu'à moyen et long termes, tant sur les plans physique que socio-économique et comportemental. Ceci dit, je peux affirmer que d'importants efforts ont été consentis surtout au cours de ces trois dernières décennies. Ces efforts ont eu des impacts certains sur le milieu physique, notamment le reverdissement du paysage et la conservation des ressources naturelles. A titre d'exemple, je peux mentionner l'impact des actions de traitement des bassins versants du Fleuve Niger menées au cours des trente (30) dernières années, qui ont permis de sauvegarder cette importante ressource et éviter le sort du Lac Tchad qui a perdu plus de 90 % de sa superficie en l'espace d'une quarantaine d'années.
Sur le plan socio-économique, les impacts sont la création de revenus et d'emplois ruraux, la réduction de l'exode, l'amélioration de la sécurité alimentaire, le développement local avec l'émergence d'activités économiques rurales, le renforcement des capacités dans les domaines de la formation des acteurs, notamment ruraux, en matière de technique de production de plants et de reboisement, de conservation des eaux et des sols, et défense et restauration des sols (CES/DRS), de gestion des ressources naturelles et d'organisation des producteurs ruraux.
Cependant, le processus de dégradation se poursuit encore sous les multiples actions de l'homme et de la nature en dépit des efforts fournis. La lutte contre la désertification est un combat perpétuel. Je m'en vais aborder un aspect tout aussi primordial en matière de préservation de l'environnement ; il s'agit du comportement et de la conscience collective de nos concitoyens vis-à-vis du respect de l'environnement. Je dois avouer que beaucoup de choses restent à faire à ce niveau au vu de la propension de nos concitoyens à détruire les ressources naturelles sans aucun remords. L'exemple le plus révélateur de cette situation est la Ceinture Verte de Niamey que certains acteurs de la Capitale tiennent coûte que coûte à détruire. C'est le cas également des forêts classées qui sont actuellement sérieusement menacées. C'est aussi le cas des aires protégées de faune, y compris le Parc National du W, qui subissent de fortes pressions de destruction en dépit des efforts des services chargés de la protection de la nature.
Monsieur le ministre, le Niger a été éligible au Millénium Challenge Corporation grâce, entre autres, aux prouesses qu'il a réalisées dans le cadre de la sauvegarde de l'environnement. Quelle réaction suscite en vous une telle appréciation au niveau international, du travail abattu par vos services ?
Comme vous l'avez si bien dit, notre pays a été déclaré éligible au Millénium Challenge Corporation (MCC) grâce en partie aux efforts fournis par notre pays en matière de protection de l'environnement et de développement durable. En effet, cette admission au MCC est le fruit des efforts déployés par notre pays, dont je parlais tantôt, en matière de récupération des terres dégradées, de reboisement et d'agroforesterie.
L'augmentation de la superficie des aires protégées en a aussi été un facteur très important. En effet, le classement en 2012 du Massif de Termitt et de Tintoumma a fait passer la superficie des aires protégées de notre pays de 8,410 millions d'hectares à 18,110 millions d'hectares, soit de 6,6 % à 14,29 % de la superficie du territoire national. Le seuil souhaité pour cet indicateur environnemental dans le cadre de l'atteinte des Objectifs du Millénaire de Développement des Nations-Unies se situe dans l'intervalle de 10 à 12 %, seuil que notre pays a même dépassé.
Lors du Conseil des ministres du 1er mars 2013, le Gouvernement a adopté le Projet de loi portant interdiction de la production, de l'importation, de la commercialisation, de l'utilisation et du stockage des sachets et des emballages en plastique souple à basse densité, qui attend d'être adopté à l'Assemblée Nationale. Quelle est l'importance d'une telle loi pour notre pays ?
Les villes et les campagnes nigériennes font face à une augmentation continue de la production des sachets solides. Cette augmentation est due, d'une part à la croissance démographique galopante, notamment dans les villes (5,5%) et d'autre part au changement du mode de production et de consommation. On estime à 227.000 tonnes, la quantité de déchets plastiques produits pendant la seule année 2006. En l'absence de mesures appropriées, cette production atteindra 289.000 tonnes en 2015. Les sachets plastiques non biodégradables abandonnés dans la nature empêchent aux eaux de pluie de s'infiltrer dans les sols, entraînent des pertes de terres agricoles, provoquent la mort des animaux domestiques et polluent les paysages.
Parmi ces déchets, les sachets plastiques souples à basse densité constituent une menace sérieuse pour l'environnement, la santé humaine et animale, en somme pour l'économie nationale. Selon une étude réalisée en 2012 par l'UEMOA, les sachets plastiques provoquent la mort de 36 % du cheptel de la sous-région, ce qui représente une perte énorme pour les éleveurs et audelà pour l'économie de nos Etats. A cela, il faudra ajouter les pertes agricoles et les coûts de santé qui ne sont pas encore maîtrisés.
C'est pourquoi, à l'image de certains pays de la sous-région, le Gouvernement a élaboré et soumis à l'Assemblée Nationale un projet de Loi portant interdiction de la production, de l'importation, de la commercialisation, de l'utilisation et du stockage des sachets et emballages en plastique souple à basse densité. Gageons que cette loi sera adoptée très prochainement, afin d'éviter à notre pays de devenir, dans la sous-région, pour ne pas dire dans le continent, le centre de convergence de ces déchets plastiques dont certains ont une durée de vie de plus de quatre cents (400) ans.
Je profite aussi de l'opportunité que m'offre l'Edition 2013 de la Fête Nationale de l'Arbre pour préciser à nos concitoyens que tous les sachets ne seront pas interdits comme le laisse entendre la rumeur publique; seuls les sachets non biodégradables feront l'objet d'interdiction et cela pour le bonheur de tous les Nigériens. Il revient à nos opérateurs économiques d'entreprendre des initiatives de reconversion pour produire ou importer les emballages et sachets biodégradables.
Monsieur le Ministre, pour l'atteinte des objectifs qui vous ont été assignés, votre département ministériel a misé sur le renforcement des ressources humaines. A ce titre, il a été procédé au recrutement de plusieurs jeunes diplômés actuellement opérationnels sur le terrain. Pouvez-vous nous en donner des précisions ?
Tout d'abord, je dois rappeler avec plaisir que le sous-secteur forestier a bénéficié d'une loi de programmation en 2011 pour la période 2011-2015, dont l'objectif principal est de renforcer les capacités d'intervention des services tant en ressources humaines qu'en moyens matériels, logistiques et techniques. Dans ce cadre, il est prévu le recrutement 1.229 agents toutes catégories confondues. A ce jour, nous avons déjà recruté 681 agents et le processus se poursuivra jusqu'en 2015 pour atteindre l'objectif prévu. Au cours des exercices budgétaires 2011 et 2012, les services de l'Environnement ont été également renforcés en moyens logistiques avec 51 véhicules et 58 motos. Notons également l'acquisition de 75 ordinateurs, la construction de 35 mûrs de clôture et la construction de 8 bureaux logements. Les acquisitions vont également se poursuivre jusqu'en 2015. Il y a lieu de préciser que la priorité a été donnée d'abord à l'équipement des services de terrain.
Quels sont les principaux partenaires du Ministère de l'Hydraulique et de l'Environnement et quel est le message que vous aimeriez leur lancer à l'occasion de cette commémoration ?
Pour accomplir sa mission, mon département ministériel a toujours bénéficié, et continue de bénéficier, de l'appui de tous les acteurs à savoir les partenaires techniques et financiers à travers le financement des projets et programmes de développement, les organisations de la Société Civile, les associations féminines et de la jeunesse, les populations et bien sûr l'Etat du Niger parce que justement l'Etat du Niger fait de la question de l'eau et de l'environnement la priorité de ses priorités.
C'est le lieu de témoigner à tous ces partenaires toute notre gratitude pour cette attention particulière. Je les exhorte à poursuivre leur accompagnement, car comme je l'ai signalé ci-haut, le combat contre la désertification est un combat perpétuel et partagé, c'est-à-dire qui s'inscrit dans la durée et qui nous engage Tous.