En 2012 et en mars dernier, lorsque je me suis rendu à Niamey, au Niger en tant qu’envoyé spécial pour le Grand prix de l’impossible, j’ai entendu parler d’un « coin chaud » appelé Village chinois. Pas trop intéressé, je ne m’y suis pas rendu au cours de mes passages. Mais récemment, précisément le 28 juillet dernier, j’ai décidé, au cours de ma troisième visite à Niamey, à l’occasion du match Mena–Etalons, de faire un tour dans ce village chinois tant apprécié par les populations nigériennes ainsi que par les étrangers.
Quelle ne fut ma surprise lorsque j’ai constaté que dans ce lieu, il se passe des choses pas trop catholiques ! Des filles qui, en ce temps de carême, jeûnent la journée et s’adonnent à la prostitution la nuit. Incroyable, mais vrai ! Comment s’y prennent-elles pour que leurs parents, fortement musulmans, ne soient pas au courant ? Pourquoi se prostituent-elles ? Qui sont leurs clients ? Pourquoi ce lieu est-il appelé Village Chinois ?
Village chinois : centre d’accueil des sportifs et des culturels : ce sont ces mots écrits en grands caractères que vous lirez à la porte de l’espace situé juste à côté du stade général Seyni Kountché de Niamey. Stade dans lequel les Etalons locaux ont arraché leur ticket de qualification pour le Championnat d’Afrique des Nations le 27 juillet dernier, en venant à bout du Mena aux tirs au but (6-5). Lorsque je m’y suis rendu dans la matinée du 28 juillet aux environs de 10h, un calme olympien régnait dans ce lieu. Il n’y avait presque personne dans la cour, hormis le gérant du village qui était plongé dans un sommeil profond. Difficilement, j’arrive à le réveiller. « Nous n’avons plus de chambres. Toutes les chambres sont occupées. Il faut que tu reviennes demain parce qu’il y a des clients qui vont sortir ce soir », me dit-il avant de se recoucher. Persuadé qu’il ne se réveillera pas de si tôt pour se prêter à mes questions, je décide de faire un tour dans la cour du village. Un petit tour qui m’a permis de constater qu’en plus des chambres construites comme les célibatériums de Ouagadougou, le centre comporte une salle de jeux ouverte de 10h à 3h du matin, une mosquée située au beau milieu du village, un restaurant, une salle de pressing et un bar. Un peu plus loin, se trouve un terrain de football. De retour à la salle de réception, je trouve le gérant bien lucide, assis sur un table-banc. Trop bavard, il commence à s’excuser : « j’avais trop sommeil ». « Avec le carême-là ce n’est pas facile », me dit-il avant de m’expliquer pourquoi l’espace est appelé Village chinois. « Ici, c’est le Village chinois. Ils ont donné cette appellation au lieu parce que ce sont les Chinois qui l’ont construit pour se loger quand ils construisaient le stade général Seyni Kountché.
Le village compte 40 chambres
Après avoir fini la construction, et lorsqu’ils voulaient s’en aller, ils ont voulu le détruire mais les autorités nigériennes leur ont demandé de le laisser parce qu’il peut être utile au pays. Et ils ont donné le nom village chinois. Voilà pourquoi on appelle ce coin-là ainsi ». Il ajoute qu’actuellement, le village est devenu une auberge et compte 40 chambres, toutes climatisées, à raison de 10 000 F CFA la nuitée. « Pourquoi n’y a-t-il personne ? ». A cette question, le gérant me fait comprendre que c’est dans la soirée que le Village est fréquenté. « Si tu veux voir du monde, reviens le soir », m’a-t-il conseillé. Très curieux donc, le soir, je ne me fait pas prier pour m’y rendre aux environs de 19h. Le village qui était très calme le matin grouillait du monde le soir. A la porte se vendait toutes sortes de nourriture. A l’intérieur, les uns s’adonnent au jeu tandis que les autres sirotent la Braniger, l’équivalent de la Brakina. Et des voitures de toutes marques font des va-et-vient. « Mon ami, tu es là ? », me demande le gérant lorsqu’il m’aperçoit à l’intérieur du centre. « Je te l’avais dit, c’est le soir que le village est fréquenté surtout en ces moments de carême. Tu vois ce monde ? », ajoute-t-il avant de me donner la place. Il m’explique par la suite que c’est ce qui se passe tous les jours dans le village. « Les gens jeûnent le matin, et viennent faire du n’importe quoi la nuit ici. Comment peut-on faire le carême le matin et venir boire la bière le soir et faire du n’importe quoi ? », s’est–il interrogé. Lorsque j’ai voulu savoir ce qu’il voulait dire par « faire du n’importe quoi », le réceptionniste me répond simplement : « tu es là non ? Attends, tu vas voir toi-même ». Effectivement, aux environs de 23h, j’aperçois un groupe de jeunes filles, toutes voilées, débarquer à l’intérieur du village. Quelques minutes plus tard, un second groupe, cette fois-ci, composé de filles un peu plus âgées, voilées aussi, fait également son entrée. Chacune se poste à un endroit stratégique et attend. « Qu’est -ce qu’elles viennent chercher ici » ? « Elles sont venues se prostituer, mon ami », répond le gérant d’une vive voix. « Elles se voilent comme ça pour venir se prostituer ? Pourquoi font-elles cela ? ». « Vas le leur demander toi-même », lâche mon interlocuteur. Je me lève donc et me dirige vers la porte où elles sont postées. Et les « Psitt, Psitt » fusent de partout pour m’appeler. Ceux qui étaient en train de boire la bière se ruent sur elles. Et ça marchande. « Mon frère, je suis là, c’est moi tu cherches ? Tu es dans quelle chambre ? Dis-moi, je vais passer te voir », me demande une des filles que j’ai nommée X.
Les raisons de la prostitution des filles
Elle accepte volontiers de se prêter à mon micro à condition que je lui donne de l’argent et que je ne prenne pas de photo. Les conditions acceptées, X me fait savoir qu’elle est élève en classe de 5e et qu’elle est venue s’adonner à la prostitution parce que ses parents sont pauvres. « Mon papa n’est plus. Je n’ai que ma maman qui ne travaille pas. Etant l’aînée de la famille, je n’ai pas d’autre choix que de me prostituer pour que nous puissions avoir à manger », confie X en poussant un soupir. Pourquoi vous voilez-vous pour venir vous prostituer ? « Nous nous voilons non seulement parce que le Niger est un pays fortement musulman, mais aussi parce que celles qui ne se voilent pas n’arrivent pas à avoir de clients », explique X qui me laisse entendre qu’il lui arrive d’avoir entre 20 000 et 30 000 F CFA par jour. Si X se prostitue parce que ses parents n’arrivent pas à joindre les deux bouts, ce n’est pas le cas de cette autre fille que nous avons rencontrée et à qui nous avons donné le nom Y. Voilée de la tête jusqu’aux pieds, Y me confie qu’elle est devenue dépendante du sexe. « Je ne me prostitue pas pour l’argent. Mon papa est douanier, donc j’arrive à avoir tout ce que je veux. Je le fais parce que je ne peux plus m’en passer. Je me suis habituée », me dit-elle.
« Tout le monde jeûne ici »
La troisième fille qui a accepté de se prêter à mes questions et que j’ai nommée Z, elle, dit que tout comme X, elle se prostitue pour subvenir aux besoins de sa famille. De même que X, Z a perdu son père et elle a trouvé la prostitution comme boulot en plus du métier de coiffeuse qu’elle exerce dans un salon de la place. « Il faut que je fasse cela pour aider ma maman. Je dois en plus chercher l’argent de la fête du Ramadan », affirme Z qui se plaint parce qu’elle n’a pas eu assez de clients. Après un coup d’œil sur sa montre, elle s’écrit « Tchiéééééé, il est 3h, il faut que je regagne rapidement la maison pour faire le repas du carême ». « Ah bon ? Tu fais le carême ? », lui-ai-je demandé tout étonné. « Bien sûr que oui. Tout le monde jeûne ici. Tu vois, toutes les filles qui sont dans cette cour font le carême mais le soir elles viennent, comme moi, se vendre. C’est comme ça ici. Nous n’avons pas le choix », me répond –elle avant de héler un taxi pour s’en aller. Pendant que je regagnais la salle de réception pour dire au revoir au gérant, je croise X qui me fait savoir qu’elle rentre pour faire le carême et se rendre à l’école. A la salle de réception, je constate l’absence du gérant. Après quelques minutes d’attente, celui-ci arrive et laisse entendre qu’il était allé réveiller les locataires des chambres pour leur dire qu’il est l’heure du carême. Le village se vide de ses occupants. Tous et toutes regagnent leur maison pour faire le jeûne. Les locataires des chambres, à l’appel du muezzin de la mosquée Baboun Rahma, située au milieu du village, se rassemblent pour la prière. Avant de s’y rendre, le gérant, répondant à ma question de savoir qui sont les clients des filles de joie, me confie que ce sont des Nigériens et des étrangers qui louent les chambres. « Ils sont presque tous des musulmans comme les filles. Tu comprends maintenant lorsque je t’ai dit qu’ils font le carême le matin et viennent faire du n’importe quoi ici ? ». « L’Etat est-il au courant de ce qui se passe dans le centre ? ». « Bien sûr que oui. La police fait souvent des descentes et malgré cela elles continuent. J’aurais appris que la veille de la fête du Ramadan, la police viendra les ramasser et ne les libèrera qu’après la fête, a répondu le réceptionniste avant de me dire au revoir. Voilà donc comment certains passent le mois sacré du Ramadan.