Le « hangandi » ou gavage remonte aux temps anciens. Il tire ses origines du songhay- zarma. Pour cette ethnie, c'est une tradition qui se transmet de génération en génération. Mais de nos jours cette pratique trouve sa place dans toutes les sociétés africaines. Ainsi, à la fin de chaque saison pluvieuse, lorsque les récoltes sont bonnes, les femmes de la campagne organisent une grande rencontre dénommée '' mani- fori'' ou ''fête des grosses'', une pratique courante dans la capitale Niamey. Le ''hangandi'' perpétue certes certaines valeurs ancestrales, mais cette pratique a aussi des conséquences sur divers plans.
Chaque année, à une période choisie, des femmes de différents quartiers et même des compagnies militaires se concertent afin d'organiser cette fête. Le mani fori litterallement dit la fête de l'embonpoint est un grand rassemblement pendant lequel les grosses femmes se défient. Mais avant cette grande rencontre, c'est un poulet qui est acheté, rôtit, divisé en morceaux, et distribué aux femmes du village, chacune en fonction de sa corpulence mais aussi et surtout suivant une certaine symbolique. Ainsi le partage se fait comme suit : la poitrine à celle qui a une belle poitrine, les cuisses à celle qui a des grosses cuisses, les pattes à celle qui ne reste jamais à la maison, le bec à celle qui parle trop, une commère, l'os à celle qui est très maigre et enfin le derrière à celle qui a un postérieur généreux. Bref c'est un partage minutieux qui est fait.
Après le partage du poulet, la date du mani- fori est fixée. A partir de cet instant le coup d'envoi est donné, pendant trois mois environ, chaque femme va se donner la peine ou le plaisir de grossir remarquablement. Garder précieusement son morceau de poulet jusqu'au jour du ''mani-fori'' ou la ''fête de l'embonpoint'' est la principale règle. Aussitôt le coup d'envoi donné, les femmes s'adonnent au gavage. ''Gari'', ''kaffa'', boule de mil ou bouillie, etc., tout passe !
Le jour-J, la fête a lieu à la grande place publique du village. A l'heure prévue, les femmes sortiront habillées d'un simple pagne connu sous le nom de « fun ga dan guindé » (troué pour passer le cou), laissant le flanc à l'air et les différentes parties du corps exposées au regard de la population qui se chargera d'apprécier. Le morceau de poulet en main, l'une après l'autre, ces femmes défileront en se pavanant dans le cercle formé pour la circonstance. Tout en faisant bouger les parties les plus dodues de leur corps, et en lançant à l'assistance « a té wala a man té ?» qui veut littéralement traduit du djerma ''j'ai réussi ou pas ?'' ou encore « man ay wada » (où est mon égale?). Ces propos sont aussi une sorte d'indirecte lancée à l'endroit de celles qui ont échoué.
A Niamey, le Hangandi a lieu entre novembre et janvier dans plusieurs quartiers. Toutes les étapes citées ci-haut sont à peu près respectées, même si elles prennent une nouvelle tournure avec la modernité. Néanmoins, la vision reste inchangée. Pour les tenants du ''hangandi'', son plus grand mérité est à travers cette pratique les femmes perpétuent nos valeurs culturelles ancestrales. En effet, le gavage est vu comme un temps de retrouvaille dans un esprit de sociabilité et solidarité. Etre d'un embonpoint inestimable, jouir d'un certain prestige, se faire une place dans le groupe de camarades d'âges sont entre autres les avantages du Hangandi.
Le gavage est avant tout une pratique socio- culturelle qui met en exergue la beauté. Dans la majorité des sociétés, l'embonpoint féminin est reconnu comme un canon de beauté. Dans cet esprit, nombreuses sont les femmes qui se livrent à cette pratique afin de devenir grosses et d'avoir une forme idéale pour séduire les hommes. Pour ces femmes, grossir est un signe de la beauté. « Une femme mince ignore totalement les délices que procure le lit conjugal. La pauvre, le plus souvent abattue par les travaux ménagers de la journée, ne pense qu'à dormir. Par contre la femme idéale, celle qui est toute en chair supporte tout. Il n'ya pas à discuter, c'est un second lit pour le mari », se vante Bori, une pratiquante du hangandi.
Le concept du ''mari capable'' est une représentation valorisée dans les communautés africaines ou l'une des clauses imposées au mari lors du mariage. « Le mari capable » est celui qui permet à l'épouse d'être belle et épanouie. Cet homme peut demander et obtenir à tout moment la main de la jeune fille qu'il désire. « C'est une fierté pour moi de regarder et d'admirer ma femme. Une femme toute en chaire. Aujourd'hui, je marche la tête haute, parmi ceux de ma génération et personne ne peut se moquer de moi car je suis à la hauteur de prendre soin d'une femme. C'est un grand honneur», estime Gassarou un paysan.
Cependant, la pratique du ''hangandi'' n'est pas sans conséquences tant au plan social, économique que sanitaire. Au plan social, les défis que se lancent les concurrentes donnent lieu à des abus de toutes sortes. Les «éliminées » du concours sont dénigrées. Aussi cette pratique peut entrainer une souffrance physique et morale à la femme en cas d'échec. Elle peut provoquer une dépression mentale chez la pratiquante fragile ou sensible. Le hangandi peut également provoquer une discrimination sociale. En somme la pratique est un gaspillage de denrées et de sous, car la femme doit manger au-delà de sa faim, juste pour grossir.
Au plan économique, ce phénomène très couteux excède le budget familial. En guise d'exemple, un sac de mil qui, dans les normes peut subvenir au besoin de la famille pendant 45 jours ne dure que 25 jours environ. Ainsi pendant le gavage, la majeure partie des récoltes est consommée en un semestre au lieu d'une année, un gaspillage accentué par les crises alimentaires répétitives qui sans nul doute retardant ainsi le développement de nos sociétés qui sont d'ailleurs exposées aux risques d'insécurité alimentaire. « Je ne réfute pas l'idée que les africains désirent plus les femmes rondes. Mais aujourd'hui tout le monde a faim, à commencer par le cultivateur, c'est la triste réalité. Nombreuses sont les familles qui n'ont pas trois repas par jour. Alors qu'une pratiquante ne peut pas rester le ventre vide. Donc je déplore cette pratique qui n'a plus sa raison d'être», s'indigne Oumarou Boubé cultivateur à Niamey.
En fin sur le plan médical, le «Hangandi» est un comportement consistant à consommer une quantité énorme de nourriture, sans plaisir alimentaire, avec une très grande culpabilité jusqu'au seuil limite de renvoi, la qualité est sans importance. Pour qui veut devenir grosse la santé ne compte pas tellement. Certaines d'entre elles ignorent complètement les conséquences sanitaires car étant des non instruites. Ainsi, certaines femmes n'hésitent pas à s'adonner à la consommation abusive de certains produits pharmaceutiques non conventionnels pour provoquer l'appétit. Les produits comme « Super appétit'', ''Lafoussi'' et autres comprimés d'origine douteuse sont quotidiennement avalés par les pratiquantes, au péril de leur vie. D'autres par contre en font fi. Dans tous les cas, le surplus alimentaire dans le corps n'a que des conséquences néfastes sur l'état de santé de ces femmes. ''L'excès de tout est nuisible'' a- t- on coutume de dire.
Le ''hangandi'' peut entrainer de graves conséquences graves sur la sanité des femmes. Les médecins le disent clairement. ''Cette pratique comporte de nombreux risques. On peut citer entre autres les maladies cardiovasculaires, les troubles respiratoires, les maladies artérielles, le diabète, l'hypertension, les phénomènes arthrosiques (douleurs aux articulations notamment aux genoux dues au surpoids), le tout engendré par l'obésité qui est elle-même une maladie',' prévient Dr Hamadou Abdou Zakou, médecin généraliste.
C'est pourquoi, toutes les partisanes du ''hangandi'' doivent aussi se rendre à l'évidence que les temps changent ; les pratiques et les canons de beauté aussi. De pour beaucoup d'hommes ''être toute ronde n'est nécessairement synonyme d'être belle''. Mieux encore « Gaham baani a ba hau a ba bari », équivalent du dicton ''la santé n'a pas de prix'', rappelle cet adage zarma.