Entretien avec M. Amadou Mahamane Cissé, maire de la commune d’Ansongo : « L’envoi des troupes nigériennes au Mali est un acte courageux qui va rentrer dans l’histoire et qu’on n’oubliera jamais’’
Monsieur le maire, après neuf mois d’occupation par les djihadistes, votre ville est aujourd’hui libérée. Quels sont vos sentiments ?
Merci à vous d’être venus ici pour nous donner l’occasion de parler sur la situation que nous avons vécue sous l’occupation. Aujourd’hui, je me sens véritablement malien alors que naguère, il y a juste quelques jours, je me sentais comme un esclave, privé de toute liberté. Nous avons végété ici, chez nous en tant qu’esclaves emprisonnés dans nos maisons. Les rares fois que les islamistes font appel à nous, ils ne tiennent pas compte de nos points de vue. Aujourd’hui, je suis fier, je loue le Tout Puissant de nous avoir libérés.
A nos libérateurs, je dis encore merci et je ne cesserai de saisir toutes les occasions pour réitérer ce remerciement. C’est vraiment un acte de fraternité, de solidarité et c’est à l’épreuve qu’on connait ses vrais amis. C’est la preuve que nous ne sommes pas oubliés par les voisins, les amis, les parents qui sont venus à notre secours. Nous sommes fiers et éternellement recon-naissants vis-à-vis de nos frères.
Le Niger a envoyé un important contingent de plus de cinq cents hommes pour la libération du Nord Mali. Avez un mot spécial à l’endroit de ce pays ?
Moi je m’identifie au peuple nigérien, parce qu’à tout point de vue, que ce soit historique ou culturel, nous sommes les mêmes. Les soldats nigériens sont les premiers à venir nous secourir ici à Ansongo. Nous disons bravo à ces libérateurs. Ils ont vraiment réalisé ce qu’on attendait d’eux, c’est la preuve de leur fraternité. Nous allons les aider, leur faciliter les choses pour qu’ils accomplissent bien la mission pour laquelle ils sont venus.
Vous n’êtes donc pas surpris de la réaction du Niger face au règlement du conflit au Mali ?
Non, pas du tout. Nous savons que le Niger est le plus engagé, et à un certain moment, il était plus engagé que les nôtres. Le Président nigérien était le porte-parole de notre cause partout, à l’échelle nationale et internationale. On a vu le Président Issoufou Mahamadou sur les chaînes de télévisons étrangères défendre notre cause, il était le plus pressé pour qu’on en finisse avec ces mouvements. Il était le plus engagé, je le répète. Donc, on n’était pas surpris que le Niger vienne pour nous libérer, nous sécuriser. Au nom de toute la population d’Ansongo et de tous les Maliens, nous adressons nos sincères remerciements au gouvernement nigérien. C’est un acte courageux qui va rentrer dans l’histoire, qu’on n’oubliera jamais. C’est la preuve palpable des liens de solidarité et de complémentarité entre Nigériens et Maliens.
Quelle appréciation faites-vous du travail du contingent nigérien à Ansongo ville et ses alentours, aux côtés des forces maliennes ?
Je ne peux que louer ce travail remarquable. C’est un travail très délicat parce qu’ils sont en train de nous sécuriser. Depuis leur arrivée, nous dormons bien et jusque là, nous n’avons eu aucun problème. Les militaires nigériens sont exemplaires dans ce qu’ils sont venus faire. Ils sont ici avec nous, mais ils ne connaissent pas tout le monde, je pense qu’il nous revient de les aider à faire leur travail. Beaucoup d’hommes armés ont disparus et certains se cachent peut-être pas loin et parfois dans nos murs. Il nous appartient de sensibiliser nos populations, nos jeunes, pour aider les soldats libérateurs à faire leur travail en dénonçant les porteurs d’armes sans faire d’amalgame. Sans cette collaboration, quelle que soit leur volonté ou détermination, leur travail ne sera pas achevé. La balle est dans notre camp pour que la collaboration soit totale et nous sommes là-dessus. Je tiens des réunions avec les chefs des villages et des quartiers régulièrement pour continuer la sensibilisation afin qu’on dénonce les gens qui ont eu à nous assiéger, qui ont saccagé nos biens, emporté nos archives.
Justement, Monsieur le maire, quelle est l’ampleur des actes posés dans ce sens ?
L’ampleur est telle qu’aujourd’hui, nous sommes libérés il y a quelque temps, mais nous ne sommes pas à mesure de nous installer dans cette mairie. Nous n’avons que des murs, à la mairie comme dans les autres services. Tout ce qui est symbole de l’Etat malien a été saccagé, tout ce qui peut rapporter le moindre sou a été emporté soit par les hommes armés soit par les petits vandales, les voyous qui sont venus s’ajouter. Donc, on est vraiment sur un terrain presque nu. Et c’est ça qui nous a effrayés. Comment expliquer que des gens qui réclament un pays, un territoire, trouvent des acquis et les détruisent. Vraiment, nous n’avons pas compris. Si on revendique quelque chose, on ne le détruit pas, on l’améliore. Aujourd’hui, M. le journaliste, nous sommes retournés à cinquante (50) ans en arrière. Il y a un immense travail de reconstruction devant nous. Tout nous manque. Pour le cas qui me concerne en tant que maire, depuis avril 2012 jusqu’aujourd’hui, les enfants nés dans cette période n’ont pas d’acte de naissance. Les machines, les documents d’actes d’état civil, les copies, tout est parti. Ils les ont emportés ou brûlés. Tout ce qui se trouve au niveau local est détruit.
Vous dites qu’il y a un énorme travail à faire pour reconstruire les services. Quel appel avez-vous alors à l’endroit de la jeunesse ?
Je remercie beaucoup les jeunes d’Ansongo, parce que depuis le temps du MNLA jusqu’à celui du MUJAO, on les a organisés pour lutter contre les actes de vandalisme perpétrés par ces voyous. Ils ont fait un travail remarquable, et aujourd’hui encore, ils sont à l’œuvre pour nous signaler tout cas de personne suspecte. C’est pour nous très important de travailler dans ce sens. Et comme je l’ai dit, la sécurisation entamée par les militaires nigériens passe par là, il faut éradiquer les armes, traquer les hommes qui portent des armes. Je les remercie pour le travail citoyen et leur demande de persévérer. A mes sœurs et frères de toutes les contrées, je leur demande de ne pas faire, toutefois, de l’amalgame ou de représailles, il faut juste dénoncer les personnes ayant participé à l’occupation de notre pays pour qu’elles soient arrêtées et remises aux autorités. Le MUJAO n’est pas constitué des gens de telle ou telle ethnie, il y a du tout et surtout des étrangers. Or nous n’avons pas le droit de toucher à un cheveu de quelqu’un pour son appartenance ethnique ou la couleur de sa peau. A Ansongo, nous avons empêché cela et nous continuons à œuvrer pour cela, nous n’avons pas le droit de nous faire justice et les jeunes comprennent bien notre position.
Qu’allez-vous dire aux personnes qui ont fui la ville pendant l’occupation et après la libération ?
Il est vrai que beaucoup de nos compatriotes ont quitté le pays pour trouver refuge ailleurs, notamment au Niger. La situation est en train de se normaliser. Je pense qu’ils peuvent envisager le retour. Je peux vous dire aussi qu’il y a des gens qui ont fui juste au moment où les soldats nigériens et maliens rentraient dans la ville. Ces gens-là sont des Maliens mais ils se reprochent quelque chose, ils ont quitté d’eux-mêmes. Il y a des commerçants et je dis qu’ils sont le poumon économique de notre commune. Je leur dis encore qu’ils sont des Maliens comme tous les autres pour nous autorités, et ils peuvent revenir quand la situation se sera mieux améliorée. Soyez assurés qu’il n’y a pas eu de représailles chez nous.