"Nous sommes partis au Nigeria parce qu'il y avait la famine. Nous vivions bien. Trente ans plus tard, nous revenons ici. Sans rien": Mohamed Abdou un "retourné" nigérien, doit pour la deuxième fois repartir de zéro, après avoir fui les islamistes de Boko Haram.
Un sourire humble irradie le visage de cet agriculteur de 53 ans vêtu d'un boubou blanc taché, une toque beige sur ses cheveux ras, quand il raconte sa vie chaotique, un chapelet à la main.
Mohamed Abdou, originaire de la province de Diffa, dans le sud-est du Niger, a une petite vingtaine d'années quand il suit sa famille dans le nord-est du Nigeria voisin, cette région qui deviendra le fief du groupe armé Boko Haram.
Les "grandes famines" de 1973 et 1984 poussent alors des milliers de Nigériens chez le géant voisin. "Quand on est parti, on pensait revenir. Mais quand on a vu que les terres étaient fertiles, on est resté", explique-t-il simplement.
Mahamed Abdou prend ainsi femme au Nigeria. Il devient père de deux enfants. Il cultive, construit une maison. "Nous étions devenus Nigérians. Nous votions là-bas", se remémore-t-il, les yeux rieurs.
Il y a six mois, décision est pourtant prise de laisser Chatimari, son village d'adoption, peuplé à 90% de Nigériens. "Après avoir brûlé les bâtiments publics, les gens de Boko Haram ont planté leur drapeau en ville. Puis ils ont menacé de prendre tous nos enfants", se souvient-il.
Las de laisser leurs progéniture "en brousse, à dormir sous des arbres plusieurs nuits d'affilée" par crainte des insurgés, les habitants profitent d'une de leurs absences pour fuir.
"On a pensé à rien. Seulement à s'en aller, pour être en sécurité", témoigne Ali Moussa, 55 ans, un autre villageois de Chatimari, dont le grand frère et son fils ont été tués par Boko Haram.
Retour donc au point de départ, ce Niger qu'ils ne veulent à présent plus quitter. La crainte du groupe armé nigérian, qui a fait plus de 13.000 morts depuis 2009, est bien trop grande. Comme Mohamed Abdou et Ali Moussa, environ 50.000 Nigériens de Nigeria, de source humanitaire, deviennent ainsi des "retournés".
- 'Traumatisés' -
"Beaucoup sont traumatisés par ce qu'ils ont vécu. Ils font des insomnies. Leurs enfants cauchemardent", observe Mamane Nafiou, de l'International rescue committee (ONG), une ONG active depuis octobre 2013 dans la province de Diffa.
"Ces personnes souffrent énormément. Elles ne savent pas où se trouvent leurs parents. S'ils sont morts ou encore vivants", poursuit ce psychologue, pour qui "les conditions de leur déplacement" sont également génératrices de stress.
"Certains ont marché des dizaines de kilomètres, dont des personnes âgées et des enfants, narre-t-il. Ceux qui sont montés dans des véhicules pouvaient à peine respirer tellement ils étaient surchargés."
Six mois après son arrivée à Diffa, Mohamed Abdou vit dans une cabane de paille posée à même le sable. Un habitat chétif que l'on retrouve dans toute la ville et toute la région.
Des marmites sont posées sur les toits. Elles y demeurent, inutilisées, à l'heure du repas, car la nourriture est rare.
Dans une région déjà précaire économiquement, que les assauts de Boko Haram ont encore fragilisée, malgré les succès récents des armées nigérienne et tchadienne contre les islamistes, les emplois sont réduits à la portion congrue. Et ne profitent guère aux retournés.
"Tous les jours, je me demande comment je vais nourrir ma famille", soupire Saïdou Hamadou, 69 ans, qui dit n'avoir bénéficié qu'à une seule reprise d'une aide humanitaire en un semestre.
"Alors que les réfugiés (nigérians) peuvent aller dans des camps aux standards internationaux en terme d'hygiène et de scolarisation, au Niger, il est inconcevable pour l'Etat nigérien que les retournés, qui sont Nigériens, fassent de même. Car ils ne sauraient être réfugiés dans leur propre pays", observe une cadre onusien, sous couvert d'anonymat.
Aux autorités de leur "remettre le pied à l'étrier", poursuit cet expert, sans quoi les retournés, promis à une "ghettoïsation" certaine, "se retrouveront invariablement les dindons de la farce".