J'ai peur des réfugiés. Je ne sais pas qui est qui": Amadou, chauffeur à Diffa, résume le malaise des habitants de cette ville du sud-est du Niger face aux réfugiés nigérians, victimes de Boko Haram mais suspectés d'être des "infiltrés" ou des complices du groupe islamiste.
Pour les réfugiés nigérians, c'est une double peine.
"Il y a des gens qui nous disent : +vous avez détruit votre pays, maintenant vous venez détruire le nôtre+. Ça nous fait mal", soupire Ali Mamadou, Nigérian présent à Diffa depuis sept mois, sans emploi depuis lors.
Ce quinquagénaire affirme pourtant avoir quitté le nord-est du Nigeria - considéré comme le fief de Boko Haram - à la hâte, talonné par les islamistes, pour se réfugier au Niger voisin, accompagné de ses trois femmes et de ses treize enfants.
"Nous sommes partis à pied, avec juste nos vêtements sur le dos. Ils ont tout brûlé, nos maisons, nos véhicules", se lamente-t-il.
Assis à ses côtés sur une grande natte, à l'ombre du lourd soleil nigérien, une vingtaine de compagnons d'infortune acquiescent silencieusement. Comme Ali Mamadou, ils assurent qu'ils étaient commerçants, agriculteurs ou encore chauffeurs au Nigeria, mais nullement combattants.
Tous soulignent le "bon accueil" des habitants de Diffa, mais ressentent pourtant leur méfiance. Leur tort : être de l'ethnie béri-béri, qui a fourni d'importants contingents de guerriers à Boko Haram. Le groupe armé nigérian, en recul depuis deux mois, a fait plus de 13.000 morts en six ans.
"Depuis le 6 février", jour des premières attaques d'envergure des islamistes en territoire nigérien, "la population ne fait plus confiance aux réfugiés", affirme Yacouba Soumana Gaoh, le gouverneur de la province de Diffa.
A Bosso, petite bourgade frontalière du Nigeria, certains d'entre eux, "qui avaient caché des armes sous leurs boubous", tuent alors un commandant et une demi-douzaine de ses hommes dans les locaux de la gendarmerie, narre-t-il.
"C'était le signal. Des tirs sont ensuite partis du camp de réfugiés", d'où sont sortis des hordes de combattants, rapporte le colonel Moussa Salaou Barmou, le commandant des forces nigériennes à Diffa.
Faiblement armés, les assaillants sont balayés. Environ 500 périront, selon un bilan officiel jugé crédible par un travailleur humanitaire qui s'est rendu sur place.
Le 6 février toujours, Boko Haram cherche à conquérir Diffa, la capitale provinciale, où ses hommes essuient également de lourdes pertes. Là encore, des réfugiés font partie des assaillants. D'autres attaques suivront.
- 'Ethnicisation' -
Les tirs d'armes lourdes et les rafales de mitraillettes marquent la population de Diffa, qui quitte un temps cette ville aux rues couvertes de sable, avant d'y revenir progressivement. Longtemps, des photos de victimes s'échangeront par téléphone portable.
"La perception de tout le monde, c'est que les réfugiés constituent un problème sécuritaire réel. Car parmi eux, certains sont des combattants de Boko Haram repentis, que les autres ne dénoncent pas", estime un cadre humanitaire, sous couvert d'anonymat.
Un problème de taille quand plus de 150.000 réfugiés nigérians, "retournés" nigériens qui vivaient au Nigeria ou déplacés internes au Niger vivent désormais dans la province de Diffa.
Deux mois et demi plus tard, le 25 avril, Boko Haram remporte son plus grand succès face au Niger. Ses combattants, en surnombre, encerclent une position militaire nigérienne sur une île du lac Tchad, tuant 74 personnes, dont 28 civils. 32 soldats sont encore portés disparus.
"Ce jour-là, on sait que des habitants de l'île ont aussi retourné leurs armes contre l'armée", peste le colonel Barmou.
Quand les autorités ordonnent l'évacuation des îles en vue d'une future opération militaire, forçant plus de 30.000 personnes à un interminable exode à pied - durant lequel des déplacés meurent de faim et de soif, selon une ONG nigérienne -, l'accueil n'est ainsi pas des meilleurs.
"Les gens du cru disaient : +boudouma (une autre ethnie fortement représentée chez les insurgés) = Boko Haram+", se souvient un travailleur humanitaire, présent lors de leur arrivée, qui craint "une ethnicisation du conflit".
Des réfugiés peul, mieux acceptés car moins étiquetés "rebelles", racontent à l'AFP leur "angoisse" vis-à-vis des béri-béri, des boudouma, ou encore des kanori, une troisième ethnie, qui au Nigeria "ont tué (leurs) femmes et enfants".
Neuf chefs traditionnels nigériens, tous kanori, ont été récemment arrêtés pour "complicité avec Boko Haram", selon le gouverneur.
"Le problème ethnique est fondamental, mais on fait semblant de ne pas le voir", se désole l'humanitaire. Mais quand on en prendra conscience, il sera trop tard".