C’est l’une des régions les plus pauvres du monde : Diffa, une ville du Sud-est du Niger qui abrite une population d’une extrême vulnérabilité. Depuis 2013, des vagues de réfugiés ayant fui la violence de Boko Haram au Nigeria voisin ont exacerbé cette situation déjà critique.
Jean de Lestrange, expert humanitaire de la Commission européenne, vient d’y effectuer une visite pour évaluer les besoins et la réponse de la Commission européenne. L'agent d'information régional pour l'Afrique de l'Ouest, Isabel Coello, a parlé avec lui dès son retour.
Q : Où se situe exactement Diffa et quelles sont ses caractéristiques principales ?
R : Diffa se situe à l’extrême Sud-Est du Niger, à la frontière entre 3 pays : le Nigéria, avec qui elle partage une frontière de 1 500 km, le Tchad et le Cameroun. Elle compte environ 600 000 habitants. C’est une région très éloignée de la capitale, Niamey, assez marginalisée et structurellement déficitaire en termes de production agricole et en termes de services sociaux de base.
Q : On parle de crise humanitaire à Diffa. Depuis quand la situation est-elle devenue encore plus critique ?
R : Diffa est une combinaison de deux crises : c’est une région reculée dans un pays qui est déjà le plus pauvre du monde, donc déjà au niveau structurel, cette région souffre de beaucoup de maux en termes de services de base, en termes d’extrême vulnérabilité et d’extrême pauvreté des populations.
En plus s’est rajoutée à Diffa depuis Mai 2013, une crise aigüe liée à des déplacements de populations, qui sont venues en majorité du Nigéria, pays qui fait face à des conflits ouverts depuis une bonne dizaine d’années avec le groupe Boko Haram qui sévit dans la sous-région.
Q : Quelle est la situation actuelle ?
R : Ce qui frappe à Diffa, c’est l’extrême vulnérabilité et la désuétude totale de ces populations qui viennent d’arriver pour certains depuis seulement deux à trois semaines des rives du lac Tchad. Ce sont des déplacements différents de ce qu’on a pu voir en 2014, avec des vagues de déplacements de personnes qui ont eu au moins le temps, pour certains, de faire leurs affaires et d’amener le peu qu’ils avaient avec eux. Cette fois-ci, on a des situations de déplacement avec des familles entières qui arrivent absolument avec rien et qui doivent composer avec un environnement extrêmement hostile et aride sur place, d’où l’importance de la réponse humanitaire pour subvenir aux besoins de base pour ces gens qui arrivent dans un état assez déplorable.
Q : Quels sont les besoins les plus urgents ?
R : Pour les besoins les plus urgents, on parle d’environ 30 000 personnes sur une population déplacée en tout qui dépasse les 100 000 personnes. Il y’a notamment deux sites principaux qui concentrent à eux-seuls presque 50 000 personnes. L’approvisionnement en eau et en nourriture au jour le jour, pour ces 30 000 personnes qui dépendent à 100% de l’aide humanitaire, sont donc prioritaires. Après l’eau et les vivres, les soins en santé et en nutrition sont très importants : des partenaires comme Médecins Sans Frontières et Save The Children ont constaté des taux de malnutrition très élevés ainsi que des maladies associées sur le site, nécessitant donc une intervention d’urgence.
Et globalement, il y’a des besoins de protection, avec tous les facteurs de risque réunis : porteurs d’armes un peu partout, mineurs non accompagnés, femmes seules ; ce qui nécessite une présence également sur ce volet protection pour sécuriser ces personnes.
Q : Le service de la Commission européenne à l’aide humanitaire et à la protection civile (ECHO) est présent au Niger depuis des années. Quelle a été la réponse à Diffa depuis 2013 ?
R : D’abord, nous avons soutenu depuis le début de la crise de 2013, une action spécifique visant à renforcer la protection des personnes déplacées et qui contient à la fois l’enregistrement des personnes déplacées par le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) et la fourniture d’abris et de kits essentiels. On a progressivement augmenté notre soutien, notamment en diversifiant nos partenaires et en appuyant directement plusieurs ONG, en particulier Save the Children, avec le financement d’un projet régulier d’appui à la santé et à la malnutrition, dans les centres de santé. On a étendu ce soutien à l’appui en cliniques mobiles, stratégies foraines, au-delà des centres de santé, en allant vers les populations sur les sites de déplacement, pour apporter une assistance d’urgence pour les premiers soins.
Nous appuyons aussi le Comité International de la Croix Rouge qui est un des acteurs principaux de distribution de vivres en particulier dans les zones difficiles d’accès.
Nous avons également consolidé notre partenariat avec International Rescue Committee (IRC) qui est une ONG qui travaille notamment sur les aspects de protection, pour s’assurer que les violences basées sur le genre par exemple et que les considérations liées à la protection de l’enfance sont prises en considération dans les programmes. En outre, nous appuyons le Programme Alimentaire Mondiale pour distribuer des vivres aux 100 000 personnes.
En 2015, notre allocation pour Diffa uniquement s’élève à €12.8 millions. C’est une assistance qui a triplé en une année, au regard de la détérioration de la situation depuis février 2015, date à laquelle le conflit a directement touché le Niger, car avant, il était surtout concentré au Nigéria et l’on ne subissait que les effets secondaires.
Q : Le commissaire européen chargé de l’aide humanitaire, Christos Stylianides, a récemment annoncé plus de fonds pour le Niger. A quoi ces nouveaux financements vont-ils servir ?
R : On a des discussions en cours avec nos partenaires et l’idée en effet est de rapidement avancer pour être certain de sécuriser les distributions mensuelles de vivres et les compléments nutritionnels pour les enfants de moins de 5 ans. On souhaite également renforcer les aspects Eau et Assainissement à la fois sur les sites de déplacés et dans les camps, puisqu’actuellement, il y a un camp officiellement ouvert qui accueille près de 1 400 personnes et un deuxième qui est en cours d’ouverture et qui nécessite un investissement initial pour apporter les services de base.
Q : Qu’est-ce qui vous a frappé le plus dans cette mission ?
R : Ce qui m’a frappé le plus est le niveau de désespoir et de détresse de ces populations. Certaines d’entre elles sont là, depuis quelques jours seulement et d’autres depuis plusieurs mois et bénéficient pour une partie d’entre elles, de l’aide humanitaire. Mais celle-ci reste largement insuffisante au regard de l’ampleur et de la sévérité des besoins.
Beaucoup ont l’espoir de rentrer chez eux mais beaucoup savent également que la situation va durer, qu’ils sont un peu piégés, dépendant de l’aide extérieure, mais aussi de la solidarité des populations locales. Ils avaient été hébergées, pour certains, au sein de cette population locale, mais la durée de cette période commence à faire naître des tensions entre ces populations locales déjà très pauvres et des populations déplacées qui dépendent de l’assistance extérieure.