Son territoire est immense, ses frontières poreuses et ses moyens limités : le Niger, voisin de la Libye, d'où partent chaque année des dizaines de milliers de migrants vers l'Europe, est devenu un hub malgré lui pour clandestins africains.
Tous les jours, des flots de Sénégalais, Gambiens, Ghanéens, Ivoiriens, Maliens..., à peine arrivés du Burkina Faso, précédente étape de la "route vers l'Occident", se retrouvent dans les gares routières de sa capitale Niamey, pour se ruer vers Agadez, principale ville du nord du pays.
Agadez, cette légendaire "porte du désert", située à un millier de kilomètres de la Libye, par laquelle "les migrants sont toujours passés", même s'"il y en avait moins", observe Mohamed Anako, le président du conseil régional.
"Là, les seuls couloirs migratoires (vers l'Europe) encore ouverts passent par Agadez. Toute la concentration de migrants de trouve à Agadez", constate M. Anako.
La route vers l'Espagne via le Maroc, qui a conduit ces dernières années des centaines de clandestins à la noyade en Méditerranée, et des milliers d'autres sur le Vieux continent, est plus étroitement surveillée, et donc moins empruntée.
Celle de la Libye a pris le relais. Depuis la mort fin 2011 du dictateur Mouammar Khadafi, ce pays à l'Etat moribond, où grand banditisme et groupes jihadistes pullulent, est devenu le nouvel eldorado des migrants.
Plus de 45.000 immigrés clandestins ont débarqué en Italie, la plupart partis des côtes libyennes, depuis le début de l'année. Environ 60% d'entre avaient transité par le Niger, selon des chiffres officiels.
- 150.000 migrants -
Quelque 150.000 migrants, en grande majorité ouest-africains, sont attendus cette année à Agadez par les autorités.
"Quand les frontières sont fermées en Egypte, ou que des groupes veulent éviter le Soudan, on a aussi ici des ressortissants d'Afrique de l'est : des Érythréens, des Somaliens, des Kényans", note Rhissa Ag Boula, un fils d'Agadez devenu conseiller du président nigérien Mahamadou Issoufou.
Le prix de la traversée du Sahara est fixé à 150.000 francs CFA (230 euros) par personne, selon des migrants interrogés par l'AFP. Des convois de pick-up, chargés de passagers jusqu'à la garde, emportent chaque lundi leurs cargaisons humaines en Libye, dans des conditions de sécurité précaires.
Si l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) dénombre 1.800 morts ou disparus en mer début 2015 entre Afrique et Europe, "ce que nous voyons en Méditerranée pourrait n'être que le sommet de l'iceberg", craint Giuseppe Loprete, son représentant au Niger.
"Des centaines" de migrants périssent chaque année entre Sahara et Libye, par manque d'eau, de nourriture, dans des accidents ou du fait d'"abus" divers, affirme-t-il.
Fin 2013, 92 Nigériens, dont de nombreuses femmes et enfants, sont morts de soif dans le désert, abandonnés par des passeurs qui devaient les emmener en Algérie.
Le parlement nigérien, pour contrer les trafiquants, a voté début mai une loi très sévère pénalisant leurs crimes, qui les rend passibles de peines allant jusqu'à 30 ans de prison.
Mais ce texte s'annonce difficile à mettre en application. La plupart des candidats à l'exil sont en effet des ressortissants de la Cédéao, la Communauté des Etats d'Afrique de l'ouest, qui compte quinze Etats-membres, dont le Niger.
- Libre circulation -
Or à l'instar des ressortissants de l'Union européenne, qui peuvent aller où ils veulent dans l'espace Schengen, "la libre circulation est une réalité" pour ces personnes à l'intérieur de la Cédéao, observe Rhissa Feltou, le maire d'Agadez.
Au Niger, les Africains de l'ouest "ne peuvent être considérés comme des migrants" et ont le droit d'aller "jusqu'aux frontières", rappelle-t-il.
Autre problème, la corruption rampante dans cet Etat sahélien très pauvre, où les forces de sécurité sont accusées par beaucoup de fermer les yeux sur les trafics moyennant subsides.
D'autant que leur nombre est limité, pour un territoire à protéger plus grand que la France, qui plus est entouré par la Libye, le Mali, le Tchad et l'Algérie, où les groupes jihadistes sont fortement représentés.
"A un moment donné, quand il y a eu Ebola, le gouvernement a essayé de limiter les flux de migrants pour éviter une éventuelle propagation de la maladie. Mais cela n'a pas marché. Le pays n'a pas les moyens d'arrêter cela", estime Rhissa Ag Boula.
Reste l'aide attendue de l'Europe par de nombreux acteurs nigériens. En visite mi-mai à Niamey, le ministre français de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a promis l'ouverture de plusieurs centres d'accueil des migrants... sans aborder la question des financements.
Une mesure qui ne saurait suffire. "Il faut faire du développement dans les pays d'origine", afin d'éviter les départs en amont, plaide Giuseppe Loprete.
La solution, connue, se heurte toutefois à la mauvaise volonté de l'Europe de financer des projets en Afrique. "Pourtant, si on avait commencé il y a deux ans, il n'y aurait pas 150.000 partants potentiels attendus à Agadez", remarque, sibyllin, le patron de l'OIM au Niger.