Le séminaire de formation organisé du 7 au 8 juillet 2015 à l’intention des membres de la CENI participe de cette volonté de la communauté internationale, avec le PNUD en tête, d’alerter assez tôt les acteurs électoraux ainsi que la CENI sur les risques et dangers d’un processus électoral bancal afin de les mettre face à leurs responsabilités.
Le module dispensé, « Introduction à l’administration électorale », a mis le doigt précisément sur les grands maux qui risquent de plomber l’organisation des élections attendues en fin d’année 2015 et début 2016. D’entrée de jeu, comme pour interpeller les premiers responsables de la CENI, le consultant a indiqué que « les capacités des personnels engagés et leur éthique professionnelle (impartialité, responsabilité et transparence) constituent les garanties nécessaires pour que les citoyens aient confiance au processus et en acceptent les résultats ». Il précise d’ailleurs que, pour avoir des élections libres et équitables, les normes et les principes à respecter sont l’impartialité, l’intégrité (ensemble des mesures pour assurer la transparence, la prévention de la fraude et la crédibilité du processus électoral) ; la participation inclusive et libre aux scrutins ainsi que la gestion des conflits qui s’entend comme la prévention des conflits ou, dans le pire des cas, leur mitigation. L’arbitre du jeu électoral doit, quant à lui, « afficher une attitude de neutralité vis-à-vis de tous les acteurs que sont les partis politiques et candidats, les citoyens et les électeurs ». Quand on sait que l’ARDR [Opposition politique] dit récuser la Cour constitutionnelle qu’elle accuse de parti pris et d’allégeance au président de la République, il n’est pas exagéré de dire qu’il y a de l’électricité dans l’air. Tout est passé au peigne fin lors de ce séminaire et la mission du CSC [Conseil supérieur de la communication] n’a pas échappé à cette analyse saine. Le consultant a particulièrement insisté sur la publicité payante au cours des campagnes électorales qu’il a décortiquée pour relever la problématique qui se pose : comment faire pour encadrer la publicité dite payante en campagne électorale et éviter tout débordement, tout abus qui romprait le principe d’égalité des parties prenantes à l’accès aux médias publics ? Faut-il l’accepter totalement ? Faut-il l’admettre à condition qu’elle soit confinée dans des fourchettes bien définies ? Ou faut-il carrément l’interdire pour éviter, sur tout de la part du parti au pouvoir, des abus prévisibles ? Dans la plupart des cas, des publicités de longue durée sont enrobées sous le couvert de « publireportage » alors que rien, absolument, n’a été véritablement payé. Et même lorsque c’est effectivement payé, la pratique n’est pas de nature, lorsqu’elle n’est pas encadrée, à assurer l’accès équitable des parties concurrentes aux médias d’État.
Le PNUD est pour des élections apaisées, crédibles, transparentes et acceptées de tous.
Alors que les Nigériens attendent anxieusement de voir comment la CENI va se comporter face au dilemme du choix d’un chronogramme, la communauté internationale, avec le PNUD en tête, essaie tant bien que mal d’attirer l’attention des acteurs politiques et électoraux sur les risques liés à un processus électoral biaisé. Déjà, en juillet 2014, dans la perspective de la biométrisation du fichier électoral nigérien, le PNUD a commandité une mission d’évaluation des besoins électoraux et a dressé rapport de tout ce qu’il a considéré comme déterminant dans l’organisation des élections de fin 2015- début 2016. Le Courrier s’est procuré copie de ce rapport tenu confidentiel pendant longtemps. Très instructif à propos du contexte politique, sécuritaire et socio-économique dans lequel les élections pourraient se dérouler, mais également sur en ce qui concerne les conditions objectives à remplir afin d’aller vers des élections apaisées, crédibles, transparentes et acceptées de tous comme dirait Fodé Ndiaye, le Représentant-résident du PNUD au Niger, ce rapport, qui s’étend sur 18 pages, doit être le «livre de chevet » de la CENI et de tous les acteurs électoraux. Il permet, s’il est exploité à bon escient, sans passion, mais avec le seul souci de réussir le pari d’élections équitables et incontestables, de rassembler les parties prenantes autour d’une plate-forme consensuelle, gage de la sérénité requise pour que la CENI puisse accomplir sa mission.
Du contexte général
Le rapport du PNUD indique d’abord — un détail encourageant — que « la vie politique au Niger est caractérisée par une longue tradition de recherche du consensus sur l’ensemble des questions électorales à travers le CNDP ». Il est par conséquent hasardeux de vouloir contourner le principe du consensus ou de mettre le CNDP out pour régler, comme on veut, des contentieux que seul le dialogue inclusif au sein de cette instance politique permet de vider convenablement. La volonté affichée de substituer la CENI au CNDP pour trancher la question du chronogramme électoral est une démarche qui place inévitablement ses premiers responsables face au principe d’équité vis-à-vis des parties prenantes. Peut-elle objectivement choisir un chronogramme sans prendre parti alors que les deux principaux camps politiques divergent sur la question ? Sur ce sujet, un observateur de la scène politique fait observer que le consensus obtenu au sein du CNDP peut s’imposer à la CENI mais un choix de celle-ci ne peut pas s’imposer à toute la classe politique dans ce contexte de désaccord sur l’ordre séquentiel des élections. Observation pertinente d’autant plus que, selon le rapport du PNUD, « pour la quasi-totalité des interlocuteurs, la situation politique est tendue alors que cet avis n’est pas partagé par la majorité et le gouvernement qui estiment que les développements récents participent du jeu démocratique ». C’est dire que l’atmosphère est suffisamment chargée de périls pour qu’on en rajoute. Le rapport du PNUD rappelle opportunément que le Niger recèle un passif important en matière de crise institutionnelle et de crises sociopolitiques récurrentes et que, conformément à l’avis de la majorité des interlocuteurs, le dialogue politique nigérien est actuellement en difficulté. Pointant du doigt le contexte politique lourd de périls en perspective, avec en toile de fond les interminables affaires politico-judiciaires, suscitées et entretenues [Ndlr : le commentaire est de la rédaction], le rapport du PNUD indique « qu’il est essentiel d’assurer un climat serein avant, pendant et après les scrutins afin de créer les conditions favorables pour des élections crédibles et apaisées dont les résultats sont acceptés comme étant le reflet de la volonté des Nigériens ». Le message est clair, mais il est surtout sage. Mention honorable pour le cadre de dialogue politique nigérien, le rapport relève que « sur des questions électorales, malgré le contexte, le CNDP a réussi un consensus jusqu’à présent ». Cadre permanent de prévention, de règlement des conflits politiques et de concertation entre ses membres autour des questions d’intérêt national, le CNDP veille à la concertation entre ses membres (partis politiques légalement reconnus) et à la recherche du consensus, notamment sur les questions électorales (Code électoral, régularité des scrutins, accès équitable aux médias d’Etat, droits de l’opposition, code d’éthique politique), la Constitution, la Charte des partis politiques et toute autre question d’intérêt général.
Du calendrier et de la séquence des élections
La divergence de vue entre le PNDS Tareyya et les partis membres de l’opposition à propos de la séquence des élections est assez sérieuse pour ne pas rapidement chercher la solution consensuelle au sein du CNDP. Le rapport du PNUD souligne d’ailleurs cette divergence de vue et d’interprétation entre, d’une part, la majorité, d’autre part, l’opposition et les non-affiliés, sur la date d’expiration du mandat des élus locaux. « Elles pourraient donc avoir lieu avant les présidentielles et législatives comme le souhaitent l’opposition et les partis nonaffiliés ou après ces scrutins selon la majorité et le gouvernement ». La divergence est de taille et le CNDP doit prendre ses responsabilités.
Du vote des Nigériens de l’étranger
Le vote des Nigériens de l’étranger, précise le rapport du PNUD, est prescrit par l’article 9 de la loi 2014- 01 qui dispose que « les circonscriptions électorales sont le territoire national étendu aux missions consulaires pour l’élection présidentielle et le référendum ; la région et la commune pour l’élection des conseillers régionaux et des conseillers municipaux ». En réalité, note le rapport du PNUD, le vote des Nigériens de l’étranger se heurte à des contraintes majeures. Entre autres contraintes, il y a l’absence de données fiables sur la taille de la diaspora, la nécessité d’un recensement préalable et de l’établissement des documents nécessaires aux recensés, la méfiance au sein de la classe politique et les divergences de vue sur son opportunité ainsi que la nécessité d’en assurer la transparence. Or, depuis quelques jours, l’ARDR fait état de manoeuvres en cours au Soudan où un conseiller personnel du président de la République, Alassane Karfi, est mis en cause ; au Nigeria où c’est l’ambassadeur en personne qui est le maître d’oeuvre ; en Algérie et au Cameroun où ce sont des fonctionnaires des Affaires étrangères qui font le sale boulot ; bref, le processus est déjà entaché et il est fort à craindre que les partis membres de l’ARDR rejettent au finish le résultat de ce recensement. Le PNUD a, donc, vu juste. Mieux, il a avisé les autorités nigériennes en transmettant à qui de droit ledit rapport. Mais, autant prêcher dans le désert.
Des risques de violence électorale
« Le fait que le président sortant briguera un second mandat et les défis que cela poserait en terme d’équilibre dans l’application des règles du jeu et d’utilisation des moyens de l’État ainsi que l’égalité d’accès aux médias d’État ; les divergences de vue sur certaines questions électorales si elles n’étaient pas résolues de façon consensuelle… » sont, entre autres, des facteurs qui pourraient éventuellement peser lourd dans l’aboutissement du processus électoral. Car, s’il est vrai que le Niger, en général, n’a pas une tradition de violence électorale, il n’en reste pas moins vrai qu’il y a lieu, au regard de certains indices inquiétants, de faire beaucoup attention. La responsabilité du CNDP est d’autant plus engagée que les consensus qu’il pourrait dégager sur les questions de litige sont de nature à désamorcer la crise latente. En tout cas, c’est l’une des recommandations expresses du rapport du PNUD qui indique, entres autres, qu’il faut :
1.Poursuivre les efforts de concertation entre les acteurs nationaux concernés afin de garantir un climat politique et électoral serein, avant, durant et après les élections (CNDP, partis politiques et gouvernement).
2.Rechercher un consensus sur les dates des élections locales et les séquences des élections, notamment à travers le CNDP (gouvernement et partis politiques).
3.Discuter, notamment au sein du CNDP, des modalités qui puissent permettre d’améliorer l’élaboration et la mise en place de mécanismes qui permettent d’assurer un meilleur traitement des dossiers de candidatures et ainsi, d’éviter des rejets massifs out en tenant compte des exigences et délais légaux.
4.Mettre en place la CENI et ses démembrements dans de meilleurs délais tenant compte des défis opérationnels à relever et des innovations (vote des Nigériens de l’étranger).
5.Prendre des mesures pour assurer la disponibilité effective des ressources financières et des décaissements rapides permettant aux structures impliquées d’être opérationnelles en ayant une autonomie sur le financement des processus.
6.Les Nations Unies se réservent le droit de réévaluer leur appui aux processus électoraux, en fonction de l’évolution de l’environnement électoral et politique.
Quant au journal « Le Courrier », il relève que :
1.Le temps est court mais le CNDP n’a pas encore été convoqué pour plancher sur les questions de discorde, en l’occurrence la séquence des élections.
2.La recherche de consensus sur les questions de discorde ne semble pas être le souci des autorités politiques actuelles du Niger qui préfèrent les coups tordus.
3.La mise en place rapide des démembrements de la CENI ne semble pas non plus tenir à coeur, comme si quelque part, la décision est déjà prise que la séquence électorale débutera avec la présidentielle et non les locales.
4.Il y a de gros nuages noirs quant à la disponibilité effective des ressources financières et des décaissements rapides afin de permettre aux structures impliquées d’être opérationnelles en ayant une autonomie sur le financement des processus.
5.La conduite actuelle du processus électoral, avec toutes les manoeuvres vulgaires que dénonce au quotidien l’opposition, risque, si l’on ne prend garde, d’amener le PNUD à reconsidérer ses promesses d’accompagnement.
Barmou