En ouvrant grandement les yeux et en écoutant les uns et les autres, acteurs politiques et partenaires du Niger, on est bien obligé de reconnaître que notre pays se retrouve, à nouveau, à la croisée des chemins. Deux facteurs, voire trois ou même quatre, doivent retenir l’attention de tous ceux qui se préoccupent de savoir à quoi ils doivent s’en tenir.
Amère vérité, les élections risquent de ne pas se tenir aux dates constitutionnelles. Et pour cause ? Premièrement, la Ceni a été installée avec beaucoup de retard qui est préjudiciable à une bonne organisation des élections. Ce retard, qui va continuer à s’accentuer du fait d’une combinaison d’actes et de contentieux, va forcément hypothéquer le respect des dates constitutionnelles. De quoi s’agit-il ? En avril 2011, Issoufou Mahamadou, fraîchement investi dans ses fonctions, a solennellement déclaré que les élections de 2015-2016 vont être organisées sur fonds propres de l’État.
Or, tout le monde sait que notre pays fait face actuellement à d’énormes tensions de trésorerie et que les ressources mobilisées sont orientées au quotidien ailleurs, pour satisfaire certaines lubies de prince, à croire que l’organisation des élections à date, est le dernier souci du gouvernement. Malgré, donc, la profession de foi du Président Issoufou, les ressources financières peuvent constituer un sérieux blocage dans l’organisation des élections. Deuxièmement, l’agenda des élections n’est pas encore connu. La raison, c’est que la classe politique ne s’est pas encore réunie pour s’entendre sur un chronogramme électoral.
La MRN et l’ARDR divergent carrément quant à l’élection qui doit ouvrir le cycle électoral 2015-2016, ce qui constitue un contentieux à vider, d’abord, au sein du CNDP, conformément aux recommandations de grands partenaires du Niger. La CENI est, donc, attendue au tournant par les Nigé- riens qui ont hâte de se faire une idée précise de son impartialité et de son indépendance vis-à-vis des forces politiques en présence.
Troisièmement, les partenaires du Niger, dans leur ensemble, souhaitent l’organisation d’élections apaisées, crédibles, transparentes et acceptées de tous, pour emprunter à Fodé Ndiaye, le Représentant-résident du Pnud au Niger, les mots qu’il a personnellement utilisés lors de l’ouverture du séminaire de formation des membres de la CENI. Non seulement ils le souhaitent, mais ils y attachent le plus grand prix, conscients que des élections contestées pourraient précipiter le Niger dans un cycle de violences dont personne ne peut soupçonner l’étendue et les conséquences.
En plus du Représentant-résident du Pnud au Niger, le Secrétaire adjoint (vice-ministre) américain, Antony Blinken, en visite officielle, a laissé entendre, lors d’une déclaration de presse faite le jeudi 9 juillet 2015, qu’ils sont pour des élections inclusives au Niger. Quatrièmement, et c’est là le véritable nœud gordien, le CFEB, manifestement, n’est pas capable de faire un fichier électoral crédible à la date indiquée par son coordonnateur, Oumarou Mallam. À ce jour, malgré les fanfaronnades de son premier responsable, et le bruit organisé dans une certaine presse pour donner du crédit au travail en cours, il reste que le recensement est très mal conduit.
Un journal de la place a dit qu’il accouchera d’un monstre inédit dans l’histoire politique nigérienne et il n’a pas tort. Pour preuve, le Moden Fa Lumana Africa, le parti de Hama Amadou, a dénoncé en fin de semaine passée, les manœuvres de manipulation en cours pour établir un fichier électoral au goût du pouvoir en place. Le fichier électoral risque par conséquent d’être la source du conflit électoral tant redouté. Par delà les dénonciations du parti de Hama Amadou, beaucoup d’observateurs parlent des tortuosités constatées dans la conduite du processus de recensement, le coordonnateur du CFAB ayant donné des chiffres avant même que le recensement ne prenne fin, comme si, effectivement, un autre fichier est dans l’air, quelque part, en cours de manipulation pour répondre aux attentes de…
C’est à s’arracher les cheveux que de vouloir comprendre d’où sont sortis ces chiffres, surtout lorsqu’on sait que de l’avis d’experts rompus à la tâche, le CFEB ne peut même terminer son travail avant fin décembre, mais qu’il joue pratiquement « au chat et à la souris » avec les Nigériens. Vérifiez par vous-même. Pour finir, il faut que les fiches remplies et reversées sur les listes électorales soient centralisées au niveau, d’abord des localités, puis remontées au niveau des communes, avant d’être acheminées dans les chefs-lieux de régions qui transmettent à Niamey. Une fois les listes électorales centralisées à Niamey, il faut ensuite procéder à la saisie. Et cette phase de saisie prendra, dans les meilleurs des cas possibles, trois mois.
Lorsque la saisie est faite, on procède à l’épuration des listes en éliminant les doublons et autres anomalies constatées par des logiciels spé- cialisés. Après quoi, les listes établies sont envoyées dans les communes qui les affichent dans toutes les localités afin que, conformément au Code électoral, les citoyens puissent vérifier et faire les réclamations nécessaires. Le délai pour cela est de 21 jours fermes. Les listes et les corrections éventuelles reviennent encore à Niamey pour subir les amendements qui s’imposent. Aujourd’hui, nous sommes à cinq mois, à peine, des élections et la loi exige que les listes et les cartes électorales soient disponibles deux mois avant la tenue du scrutin concerné. Bref, la Ceni a du pain sur la planche.
À tous ces facteurs, il faut ajouter le contentieux qui oppose le pouvoir en place à l’opposition politique à propos de la Cour constitutionnelle que l’ARDR a décidé de récuser, dans sa composition actuelle, pour parti pris au profit du président de la République. De tout ce qui précède, il y a des vérités, certes, amères, mais qu’il faut se dire. D’abord, la Ceni est indépendante et représente le Niger entier, pas une moitié du pays, encore moins un parti politique. Elle doit, pour rester à équidistance des partis politiques, faire tout pour éviter de s’immiscer dans le jeu politique en marquant sa préférence pour tel ou tel schéma d’organisation des élections.
Elle, doit, pour donner confiance à l’ensemble des Nigériens, laisser le soin à la classe politique de faire jouer le consensus habituel au sein du CNDP. Amè- res vérités, il n’est pas du ressort de la CENI de choisir quelle élection doit-on faire en premier mais bien de la responsabilité partagée de la classe politique qui dispose d’un espace de dialogue pour ce faire. Si la Ceni le fait malgré tout, elle aura, non seulement outrepassé ses prérogatives, mais aussi violé le serment coranique de ses premiers responsables en tranchant un débat qui ne le regarde nullement.
Ce facteur, aussi, constitue un goulot d’étranglement qu’il faut pourtant lever avant que la Ceni s’attelle à sa mission en toute sérénité. Ensuite, les autorités actuelles, en particulier le président de la République, sur qui pèsent de lourds soupçons de fraudes et de manœuvres dilatoires tendant à faire repousser les dates de tenue des élections, doivent donner des preuves concrètes que tout ceci n’est que supputations et spéculations de la part de l’opposition.
Elles doivent savoir que l’élection ne se gagne pas contre la volonté du peuple souverain et que vouloir utiliser tous les moyens pour rester au pouvoir ne mène qu’à la ruine. Enfin, les partenaires du Niger dans l’organisation des élections doivent impérativement laisser tomber les gangs pour tenir un discours de vérité et de franchise, de façon à recadrer les uns et les autres avant que les choses ne pourrissent.