Ramtane Lamamra et Nouredine Bedoui ont fait le travail : revenir de Niamey avec l’assurance de poursuivre la coopération frontalière entre l’Algérie et le Niger.
Le ministre des Affaires étrangères puis celui de l’Intérieur ont rencontré du 27 juillet au 1er août de hauts responsables nigériens pour une réunion bilatérale consacrée à la zone frontalière entre les deux pays. «Il s’agit surtout de la circulation des personnes et des biens et de la gestion de la frontière qui est fermée», explique-t-on à l’ambassade du Niger à Alger.
Les responsables locaux des régions frontalières (Tamanrasset, Illizi, Agadez et Tahoua) doivent désormais se réunir régulièrement pour travailler sur la lutte contre la contrebande ou la coopération sécuritaire et aussi sur la poursuite des expulsions des Nigériens «entrés illégalement» en Algérie.
«Le rapatriement va se poursuivre», assure un membre de l’ambassade du Niger. «Il y a une pause pendant l’été, car les chaleurs dans le sud de l’Algérie sont insupportables, mais les convois devraient reprendre en octobre-novembre», a indiqué un membre du Croissant-Rouge. Lors de son déplacement à Niamey, le ministre de l’Intérieur, Nouredine Bedoui, a indiqué que 3727 Nigériens avaient été rapatriés «dans de bonnes conditions» depuis le début de l’opération au mois de décembre 2014.
A l’époque, l’objectif affiché des autorités était de rapatrier 3000 personnes. Aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur veut «éradiquer le phénomène de l’immigration clandestine», il estime que ces rapatriements ainsi que l’aide à la « stabilisation des populations» y contribuent.
Retour
Pourtant, ces rapatriements ne permettent pas de réduire le nombre de migrants sans-papiers ni de freiner les entrées. «De nombreuses personnes rapatriées par le Croissant-Rouge depuis le début de l’année sont de retour», affirme un bénévole. Issa, jeune Nigérien mineur rapatrié, est revenu dès le mois de mars.
De sa ville natale Agadez, il prend un bus puis un 4x4 avec un passeur jusqu’à la frontière algérienne. Il est contrôlé deux fois et relâché, par une patrouille nigérienne puis par l’armée algérienne. Il rejoint le nord du pays, retrouve ceux qu’il a rencontrés lors de son premier séjour et travaille comme homme à tout faire pour un entrepreneur. Au début de l’été, Issa est parti pour le Maroc, franchissant la frontière avec l’aide d’un passeur, et il envisage aujourd’hui de revenir en Algérie : «Les Nigériens viennent en Algérie pour avoir de l’argent.
Certains mendient, certains travaillent. Malgré les expulsions, ils reviennent et ils reviendront.» Les migrants soulignent que l’Algérie est un pays de transit qui permet de trouver du travail ou de l’argent du fait de l’importance des circuits économiques informels.
«Rafles»
Par ailleurs, si les autorités répètent qu’il s’agit de «rapatriements volontaires», plusieurs opérations de police, à Oran, Alger ou Tamanrasset ont eu lieu pour trouver des ressortissants nigériens.
A Tamanrasset comme à Oran, des logements ont été détruits, certaines personnes ont été blessées et des migrants ont perdu leurs affaires personnelles. La Ligue de défense des droits de l’homme dénonçait, au début de l’année, des procédés qu’elle qualifie de «rafles». «Nous ne comprenons pas pourquoi le Croissant-Rouge participe au travail d’expulsion avec les forces de sécurité. Il existe des conventions internationales que nous devons respecter.
Ces personnes sont des réfugiés politiques, économiques et certains fuient les conflits. Nous ne pouvons pas les renvoyer dans leur pays», a déclaré Salah Debbouz, président de la LADDH. Officiellement, ces expulsions visent les personnes qui «vivent de la mendicité». «Certains Nigériens qui mendient sont impliqués dans des réseaux de drogue», explique une source sécuritaire.
Comment expliquer alors que les groupes organisés de ressortissants syriens qui mendient ne soient pas touchés par les rapatriements ? «Les Syriens ont fui la guerre. L’Algérie n’a jamais expulsé des réfugiés de guerre et les lois interdisent de les renvoyer chez eux», ajoute cette source. Salah Debbouz a un autre avis : «Le pouvoir algérien utilise la présence de ces ressortissants syriens pour faire peur aux Algériens qui demandent un changement politique.
Cela va de pair avec le discours officiel qui dit qu’il n’y a pas de Printemps arabe, mais seulement des situations chaotiques comme en Libye et en Syrie. Les autorités ont également des pratiques racistes : on expulse ceux qui viennent d’Afrique subsaharienne, et on traite les autres ressortissants différemment.»
Trafic
Cette politique d’expulsion oublie de protéger certains migrants, notamment les femmes, comme le souligne le dernier rapport du département d’Etat américain :
«Des sources diplomatiques et des ONG indiquent que les femmes migrantes nigériennes qui mendient en Algérie sont parfois victimes de travail forcé et sont souvent accompagnées d’enfants qui sont loués à leurs mères au Niger (…) Le gouvernement algérien ne respecte pas les standards minimums pour éliminer le trafic humain et ne fait pas d’effort significatif pour y parvenir.
Le gouvernement n’a pas enquêté vigoureusement ou intenté des actions en justice concernant les crimes de travail forcé ou le trafic sexuel. Il continue à associer trafic humain et contrebande et certains officiels nient qu’un tel trafic existe dans le pays.» Les autorités algériennes ont répondu que le rapport comportait des «observations erronées».
Aucune, selon plusieurs témoignages, les procédures d’expulsion devraient rester les mêmes. Contactées par El Watan Week-End, les autorités américaines déclarent n’avoir «aucun commentaire à faire sur l’opération de rapatriement des ressortissants nigériens se trouvant en Algérie».