Huit mois après les émeutes anti-Charlie qui ont embrasé le Niger, musulmans et chrétiens ont amorcé un dialogue en vue d'une cohabitation pacifique dans un pays traversé par des courants radicaux islamistes et subissant les assauts de Boko Haram.
Jusqu'au début de cette année, les chrétiens vivaient sans heurt avec les musulmans, majoritaire à 98% dans ce pays sahélien pauvre et laïc de 17 millions d'habitants.
Mais le 16 janvier 2015, des manifestations contre la publication de la caricature de Mahomet en une de Charlie Hebdo, après l'attentat dont l'hebdomadaire français venait d'être victime, ont dégénéré en émeutes faisant dix morts.
Quarante-cinq églises, cinq hôtels, des débits de boissons, des commerces et écoles chrétiens ont été pillés puis incendiés dans la capitale et à Zinder, la deuxième ville du Niger.
Depuis, les deux communautés religieuses tentent de restaurer la quiétude rompue. Au coeur du dispositif du "dialogue inter-religieux", le projet Revalorisation du vivre ensemble (REVE), financé par l'Union européenne et piloté par l'ONG américaine CARE International, veut "prévenir les violences" et "renforcer la coexistence pacifique", explique à l'AFP son chef, Ibrahim Niandou.
Des "Comités de dialogue" ont été mis sur pied dans les huit régions du pays et "toutes les tendances" y compris "les plus radicales" sont représentées, précise-t-il.
- 'Dialogue urgent' -
A Niamey et en province, adeptes des deux religions organisent des "rencontres et des discussions". "Chrétiens et musulmans s'éclairent mutuellement sur une meilleure coexistence pacifique selon les recommandations de la Bible et du Coran", avance Ibrahim Niandou.
"Ce dialogue est urgent depuis janvier!", martèle Boubacar Seydou Touré, membre influent de l'Association islamique du Niger (AIN), la plus ancienne et la plus importante du pays. Une centaine d'oulémas, pasteurs, théologiens musulmans et chrétiens ont participé la semaine passée à un forum initié par l'AIN sur "la coexistence pacifique".
"Les crises sont souvent engendrées par les leaders religieux à travers leurs prêches enflammés dans les mosquées ou les églises", accuse Seydou Touré.
Pour le pasteur Baradjé Diagou, les troubles de janvier "ont accentué la nécessité de vivre ensemble dans la cohésion". "Si nous vivons chacun de son côté, c'est très difficile que nous puissions nous comprendre", glisse-t-il.
En début de semaine, pour la première fois, évangélistes et catholiques se sont réunis "autour d'une même table" pour aussi "discuter de coexistence pacifique". "Accepter de nous écouter et de nous réexaminer pour progresser ensemble, c'est très important", assure Boureima Kiomso, le président de l'Alliance des églises et missions évangéliques du Niger (Ameen).
- Attaqué au Nord et au Sud -
Ces rencontres suffiront-elles à éviter au Niger une répétition de nouveaux troubles religieux?
Il existe incontestablement une poussée islamique: les mosquées se sont multipliées dans les grandes villes et les hameaux. Dans certains milieux, les femmes ne serrent plus la main des hommes...
Certains radicaux musulmans n'apprécient pas la prolifération de lieux de cultes chrétiens, notamment évangélistes, parfois à côté de mosquées. Enfin, la présence de jeunes Nigériens dans les rangs du groupe islamiste armé nigérian Boko Haram, en guerre contre Niamey, démontre combien l'islam radical a conquis du terrain dans le pays.
Depuis le 6 février, Boko Haram et ses éléments locaux ont perpétré des attaques meurtrières dans la zone de Diffa (sud) faisant des dizaines de morts, civils et militaires. Cette localité est frontalière du nord-est du Nigeria, fief des insurgés islamistes qui combattent les autorités nigérianes depuis 2009.
Le Niger qui se prépare à des élections générales en 2016, doit également faire face à la menace des groupes de jihadistes à ses frontières malienne et libyenne.
"Les chrétiens sont plus avertis" après les violences de janvier, pointe Boureima Kimso.
"Ils sont obligés de revoir leurs positions et s'adapter aux nouvelles conditions pour pouvoir survivre au Niger", admet-il. "Beaucoup de chrétiens ont gagné la sympathie des musulmans qui les supportaient mal" auparavant, relativise Adamou, un musulman habitant de Niamey.
Idi Ali, autre musulman assure: "J'ai moi-même aidé à la reconstruction d'une église incendiée".