Le processus de transformation démocratique du pays imposé par l’action du peuple burkinabè en octobre 2014, a du plomb dans l’aile. Après plusieurs mois de crise ouverte entre le premier ministre Yacouba Izaac Zida et son corps d’origine, le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), ce dernier a décidé, le mercredi 16 septembre 2015, de passer à la vitesse supérieure en arrêtant le chef de l’Etat Michel Kafando, le même premier Ministre Yacouba Izaac Zida et deux (02) autres ministres, avant d’annoncer, le lendemain jeudi 17 septembre, la dissolution des institutions de la transition. A la place est mis en place un Conseil National pour la Démocratie (CND) dirigé par le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’Etat major particulier de Blaise Campaoré, et à ce titre créateur et responsable du RSP jusqu’à l’insurrection populaire d’octobre 2014.
Cette regrettable intervention, et apparemment programmée, de l’armée dans le processus démocratique démontre la volonté des partisans du président déchu Blaise Campaoré de ne pas se laisser écarter du jeu électoral. Elle rappelle aussi à l’ordre les acteurs qui ont conduit le mouvement insurrectionnel d’octobre 2014, et qui font preuve d’excès de confiance en se comportant comme s’ils avaient remporté une victoire totale et définitive sur l’ancien régime.
Fort heureusement pour le Burkina Faso et même pour tous les pays de la sous-région, que le peuple burkinabè tient à son processus démocratique et que les chefs d’Etat de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ont vite accouru pour éteindre l’incendie.
Dès l’annonce du coup d’Etat le jeudi 17 septembre 2015, les militaires du SRP n’ont pas caché le mobile de leur intervention : l’exclusion dont sont victimes les pro-Blaise pour les élections à venir. Une exclusion fondée sur la loi électorale qui a permis l’invalidation des candidatures, aussi bien aux présidentielles qu’aux législatives, de tous ceux qui sont restés fidèles à Blaise Campaoré jusqu’au bout dans sa volonté de se maintenir au pouvoir en modifiant la constitution. On se rappelle que cette loi électorale, qui fait l’objet de beaucoup de controverse, a été déclarée illégale par la Cour de justice de la CEDEEAO. Les autorités de transition burkinabè avaient choisi de passer outre et les chefs d’Etat de la CEDEAO avaient adopté un profil bas en disant espérer que son application ne va pas perturber le processus de transition. Et très malheureusement c’est ce qui est craint qui est arrivé.
Les acteurs de l’insurrection de fin octobre 2014 et de la transition ont fait preuve d’excès de confiance quant à leur capacité de contenir les actions, de la part des partisans de Blaise, de résistance à toute entreprise visant à le liquider. Au premier plan dans la conduite des affaires du pays pendant au moins 27 ans, et donc solidement encrés dans l’appareil militaire et dans le tissu socio-économique du pays, il est tout à fait évident qu’ils ne se laisseront pas éliminer sans se battre. Et la première arme qu’ils disposent, c’est l’armée et tout particulière le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP). Fort de 1.300 hommes, dit-on, solidement entrainés et suréquipés, c’est la principale force de l’armée burkinabè. Pour estimer la puissance du RSP, il faut constater qu’après l’annonce du coup d’Etat, le Chef d’Etat Major de l’armée burkinabé, Pingrenoma Zagré, qui est pro-gouvernement de transition, n’a rien pu faire qu’appeler la population à la résistance.
Il faut aussi rappeler que lorsque le président Blaise Campaoré avait fui laissant le pouvoir vaquant, c’était le RSP qui s’en était accaparé au détriment du chef d’Etat major de l’armée de l’époque, le général Nabéré Honoré Traoré. C’était le RSP qui avait imposé le lieutenant colonel Yacouba Izaac Zida, qui secondait le général Gilbert Diendéré à la tête de ce corps d’élites. Il faut noter que Yacouba Izaac Zida est le neveu de Gilbert Diendéré.
C’est donc tout naturellement que les pro-Blaise se croyaient en sécurité après avoir placé un homme issu de leurs rangs dans les sérails de la transition ; parce que, même si Zida, sous la pression de la communauté internationale, n’a pas pu conserver la présidence de la transition, il s’en est tiré avec le deuxième rôle au poste de premier ministre et du ministre de la Défense. Sauf que très rapidement Zida a été submergé par la détermination des meneurs du mouvement insurrectionnel et des manœuvres des politiciens qui avaient lâché Blaise pour participer à la contestation qui l’avait fait partir. Ces politiciens avaient tout naturellement comme souci de ne pas affronter d’autres politiciens qui peuvent être pour eux une menace. Au fur et à mesure que la transition avançait, Zida cédait et finit par se retrouver dans le camp des anti pro-Blaise et d’avoir donc contre lui leur bras armé, le SRP qui le considère désormais comme un traitre. Pour se protéger et protéger la transition, il pense n’avoir comme alternative que de dissoudre le RSP. Ce qui devrait être fait au conseil des ministres du 16 septembre au cours duquel les éléments du RSP avaient fait irruption dans la salle pour opérer leurs arrestations.
A ce projet de dissolution du RSP, il faut ajouter, rapporte-t-on, que des éléments de l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara devraient être rendus publique le jeudi 17 septembre. Au Burkina Faso, il est de notoriété publique que le général Gilbert Diendéré est l’homme qui aurait dirigé le commandant qui avait abattu Sankara et ses compagnons. En plus du dossier Sankara, Diendéré est aussi cité dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, directeur de L’Indépendant.
Ce Gilbert Diendéré n’est vraiment pas n’importe qui. En 1983, lorsque Thomas Sankara avait pris le pouvoir, c’était lui qui avait annoncé le coup d’Etat à la radio. C’est probablement lui qui avait aussi éliminé Lingani et Zongo, les deux autres militaires, avec Blaise, compagnons de Sankara. Après avoir fait le vide, il est devenu le N°2 du régime et chef d’Etat major particulier du chef et a construit un instrument puissant, le RSP, pour protéger le régime. Il ne s’affichait pas politiquement parce que, suppose-t-on, le ‘’pouvoir ne l’intéresse pas’’, mais sa femme, Fatou Diendéré, est une grande figure du parti de Blaise, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès), dont elle est la vice-présidente.
Après avoir joué un tel rôle dans le pays et accumulé autant de dossiers judiciaires, le général Gilbert Diendéré ne peut pas rester l’arme au pied pendant que l’avenir du pays se décidait sans ses camarades, avec le risque de se retrouver dans quelque temps derrière les barreaux.
Les raisons du coup des éléments du RSP sont donc claires : enrayer les «mesures d’exclusion prises par les autorités de transition» et imposer des élections «inclusives». Et tout indique qu’ils vont avoir ce qu’ils veulent. Selon l’annoncent des médiateurs de la CEDEAO, le plan de sortie de crise prévoit le maintien du chef de l’Etat Michel Kafando à son poste, le départ du premier ministre Yacouba Izaac Zida, le ‘’traitre’’ du RSP, de son poste, la révision de la controversée loi électorale pour permettre aux pro-Blaise de candidater aux élections et tout naturellement une amnistie pour les putschistes qui, pour les pro-Blaise, ont accompli avec brio leur mission.
Ainsi donc, à l’issue des élections, même s’ils ne seront pas partie prenante à la gestion de l’Etat, les partisans de Blaise Campaoré conduiront la force politique de l’opposition. C’est une très bonne position pour limiter le champ et la portée des poursuites judiciaires qui suivent la chute de tout régime en Afrique et qu’on appelle ‘’chasse aux sorcières’’.
Et le plus grande perdant sera le neveu du putschiste Gilbert Diendéré, Yacouca Izaac Zida, le traitre du RSP. Quand il aura quitté la primature, il n’y a aucune chance qu’il n’en soit pas ainsi, la seule possibilité de ‘’sauver sa peau’’ c’est d’être ‘’exfiltré’’ en se faisant envoyer dans une mission de la CEDEAO, de l’UA ou de l’ONU. Autrement, ça sera ‘’dur’’ pour lui. Noter que à l’annonce du coup d’Eta le 17 septembre, les anti-putsch ont brûlé une maison du général Diendéré dans son village situé à environ une centaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou. Et immédiatement, les partisans du putschiste sont partis brûler la maison du premier ministre Zida. S’en est suivie une bataille rangée dans le village jusqu’à l’arrivée des forces de sécurité qui se sont interposées entre les protagonistes. C’est dire le climat qui attend l’ex-premier ministre lui qui n’a plus ses camarades du RSP pour le protéger.