Le Monde d’Aujourd’hui : Bonjour Maître et merci d’avoir accepté cette interview et merci de nous recevoir dans votre bureau pour parler Politique. Nous sommes dans un contexte sociopolitique assez riche en évènements de toutes sortes. Alors, quelle analyse faites-vous de la situation sociopolitique du Niger en ces moments précis ?
Maître Souleye Oumarou : Actuellement au Niger nous vivons une situation qui n’a pas de précédent dans l’histoire politique de notre pays. Je le dis parce que depuis 25 ans, nous n’avons jamais connu une situation de tension politique semblable à celle que nous avons vécue sous le régime du général Baré en 1998. Autant du général Baré, il n’y a pas de remise en cause des rapports opposition –majorité. Aujourd’hui, le régime de Issoufou Mahamadou, veut éradiquer l’opposition et quand on ne veut pas d’opposition dans un pays, c’est qu’on tourne le dos à la démocratie. Ne soyez pas surpris de constater que c’est sous le régime de Tarayya qu’il y une multitude de création de partis politiques tous azimuts dans le dessein de « tuer » tous les partis dont ils sont l’émanation. C’est le cas des partis comme AMEN – Amine, CPR, MPR, CDS de Labo et consorts, véritable création du pouvoir actuel. C’est une technique politique tendant à éparpiller les voix à l’occasion des prochaines élections pour qu’au finish tous les partis en compétition soient perdants sauf le PNDS-Tarayya qui veut se perpétuer au pouvoir.
Lorsqu’un régime dénie l’existence d’une opposition, c’est qu’ilne veut ni de la démocratie, ni du jeu démocratique. A l’heure actuelle, nous avons au Niger un parti - Etat qui se nomme le PNDS-Tarayya et qui ne veut d’aucune concurrence sur le plan politique. Aujourd’hui, tout le monde constate que le régime d’Issoufou fonctionne à l’image de la 4e république faite de violences, notamment, l’interdiction des manifestations publiques, les emprisonnements, l’instrumentalisation de la chefferie traditionnelle et des forces de sécurité, le vol des urnes et des procès-verbaux de dépouillement des élections. C’est exactement ce qui risque de se reproduire en 2016. Et rappelez-vous également que le général Baré comptait beaucoup sur l’appui des puissances extérieures, notamment, de la France pour se maintenir au pouvoir. Malheureusement, comme chacun le sait, tout cela s’est mal terminé. Cette soif d’éliminer les adversaires politiques n’est donc pas nouvelle au Niger. Vous vous rappelez sans doute de la lettre que Issoufou Mahamadou a adressée à la Cour suprême pour déchoir Mahamadou Ousmane de son poste de président de la République. De même sous le président Tandja Mamadou, Issoufou Mahamadou a fait publiquement appel à l’armée pour mettre un terme au régime sous le prétexte de la mise en œuvre de Tazartché par le président Tandja. Issoufou Mahamadou cherche aujourd’hui, à rééditer un nouveau Tazartché qui ne dit pas son nom pour s’offrir un deuxième mandat en gagnant seul et au premier tour les élections présidentielles à venir. Et cela, malgré l’existence de plus de quatre-vingt partis politiques légalement reconnus. Actuellement, le Niger est à la croisée des chemins. Il y a lieu de craindre le pire à tout moment. Le Niger n’a pas que Boko Haram comme adversaire et les dangers qui nous guettent sont nombreux et multiformes.
« Le président Issoufou est en train de faire exactement à Hama Amadou ce qu’il a tenté de faire à Mahamane Ousmane en 1996, en cherchant à finir physiquement et politiquement avec lui » dixit Me Souleye Oumarou
On sait que Hama Amadou, Président du parti Moden FA Lumana est arrivé au pays et est arrêté et déporté à la prison civile de Filingué. Quelle appréciation faites-vous de cette arrestation ?
Le président Issoufou est en train de faire exactement à Hama Amadou ce qu’il a tenté de faire à Mahamane Ousmane en 1996, en cherchant à finir physiquement et politiquement avec lui. Cette affaire dite des bébés et de supposition d’enfants est un dossier qui concerne plus Issoufou Mahamadou et son clan que les citoyens Nigériens. Sinon, quel Nigérien se sent concerné par cette affaire qui stigmatise des enfants en bas âge dans le dessein d’atteindre des objectifs politiques.
Rappelez-vous que tout est parti de l’intention qu’on prête à Hama Amadou de mettre Issoufou Mahamadou en cohabitation. Ce qui a mis Issoufou Mahamadou aux abois. Issoufou Mahamadou découvre qu’il n’est pas prêt de vivre ce qu’il a souhaité aux autres. Or, la cohabitation est prévue par la constitution fabriquée par Morou Amadou et consorts lorsqu’ils étaient au Conseil consultatif national sous la transition militaire du CSRD. C’est ce péché qu’on prête à Hama Amadou qui a entraîné la mise en place d’une série de batteries et de mesures pour « l’abattre » : le retrait de sa sécurité personnelle suivi de l’attaque armée de son domicile, la corruption et l’achat de conscience des députés de l’opposition pour le destituer de son poste de président de l’Assemblée nationale. C’est lorsque les moyens de corruption n’ont pas prospéré que l’affaire des bébés a été montée pour permettre à Issoufou Mahamadou d’atteindre son objectif qui est de mettre hors course Hama Amadou. D’ailleurs, vous l’avez remarqué, c’est uniquement les porte-voix du PNDS-Tarayya qui passent leur temps à parler de cette affaire dans les médias. Bazoum Mohamed, président par intérim de Tarayya, a déjà condamné Hama Amadou à une peine de prison, en lieu et place des tribunaux, et l’a disqualifié pour les élections présidentielles 2016, en lieu et place de la Cour constitutionnelle. Mais je reste convaincu, que la stratégie élaborée par les ennemis de la démocratie va lamentablement échouer. Incha Allahou, Mahamane Ousmane, Hama Amadou et Seïni Oumarou seront présents aux élections présidentielles 2016. A défaut de les gagner au premier tour, l’un d’entre eux l’emportera au deuxième tour avec le soutien actif des partis membres du FPR. Le candidat Issoufou n’imposera pas aux Nigériens d’autres candidats de son choix aux compétitions électorales à venir.
Le souhait des Nigériens, en général, et de l’opposition en particulier, est de voir Hama Amadou en liberté pour compétir aux présidentielles 2016 et cela, dans un souci d’apaisement et de quiétude sociale. C’est faire preuve d’aveuglement politique que d’ignorer cette réalité. En comparaison avec nos dirigeants actuels, le général Baré a fait preuve de vision et d’esprit de responsabilité en signant avec son opposition un protocole d’accord de sortie de crise.
Les élections générales s’approchent à grands pas et jusque- là le fichier électoral n’est pas livré. Que vous inspire toute cette impasse ?
Ce n’est pas une affaire d’impasse .Il s’agit d’une pagaille volontairement organisée pour faire perdre tout repère politique aux citoyens et aux électeurs. Depuis 2011, c'est-à-dire depuis plus de 4 ans, le gouvernement actuel a fait le choix de la biométrie, ce qui est une bonne chose. Et pendant 4 ans, il n’a rien entrepris pour mettre en place la biométrie. Non seulement, il ne s’est pas préoccupé de la mettre en place, mais aussi il s’est gardé de mettre à jour annuellement le Fichier électoral existant comme, du reste, l’a prévu la Loi. C’est ainsi qu’il a décidé, à quelques mois des élections, d’engager la confection d’un prétendu Fichier électoral issu d’un recensement porte à porte qui est un véritable échec pour la démocratie et une réussite pour ceux qui ont un projet de fraude électorale. Or, un mauvais fichier électoral donne forcément et inévitablement des élections truquées. C’est pourquoi, l’opposition politique a dénoncé ce fichier truqué avec toutes les multiples imperfections qu’il comporte. Les dirigeants du CFEB ainsi que l’Assemblée générale de la CENI, nous ont totalement donné raison en reconnaissant le bien-fondé de nos griefs. C’est pourquoi, jusqu’à ce jour, on n’a pas de fichier électoral crédible, fiable et consensuel. Si jamais l’opposition politique allait aux élections avec un tel fichier, c’est qu’elle a décidé de se faire elle-même hara-kiri.
Et les différentes sorties de l’opposition et des acteurs de la société civile font état d’un abandon de l’opposition, que pensez-vous de la solidité des liens entre les leaders de l’opposition ? Sont-ils capables de s’unir comme un seul homme afin d’imposer démocratiquement l’alternance au régime actuel ?
Il faut d’abord retenir que l’opposition nigérienne est plurielle. Vous avez en son sein des acteurs de culture politique et d’idéologie différente, de sorte qu’il peut y avoir à certains moments des incompréhensions sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. C’est vrai que certains responsables du PNDS ont soutenu que l’opposition politique actuelle n’a pas la capacité ni les reins solides pour résister aux assauts de la majorité, comme eux l’ont fait dans leurs luttes contre les régimes précédents. Mais ils vont vite en besogne. La résistance contre le gouvernement actuel n’est pas seulement l’affaire de l’opposition politique mais plutôt celle de l’ensemble des citoyens et des forces organisées du pays. S’ils ont tenu en leur temps, c’est parce qu’ils drainaient de telles forces derrière eux et non parce qu’ils ont des mérites individuels particuliers. Les Nigériens, les forces organisées de la société civile, associations et syndicats, l’opposition politique, n’ont pas encore dit leur dernier mot. Les mouvements sociaux et les luttes politiques ont leur dynamique propre contre lesquelles on ne peut faire violence. Il faut retenir dès à présent que les élections à venir sont les élections de tous les dangers. Le gouvernement de Issoufou Mahamadou pense gagner les élections à coup d’argent, car selon eux, c’est l’argent qui sera la clef de la victoire. Le lendemain des résultats électoraux, ils l’apprendront à leur dépens. Si malgré tout, ils forcent le destin pour passer dès le premier tour, le Niger vivra des moments difficiles dont ils en seront les seuls responsables et seuls comptables.
Votre mot de la fin ?
Notre plus grand souhait est d’éviter que la classe politique nigérienne conduise notre pays dans une situation semblable à celle qu’ont connue le Rwanda, le Burundi ou la Côte d’Ivoire sous Gbagbo. Que Dieu sauve le Niger et son peuple !
Nous vous remercions infiniment