De sa constitution en entité militaire (3ème Territoire militaire du Haut-Sénégal-Niger, puis le Territoire militaire du Niger) puis administrative (Territoire du Niger, colonie du Niger, Territoire d'Outre-mer du Niger, Etat membre de la Communauté), ce qui constitue aujourd'hui la République du Niger a évolué pendant 60 années dans le giron colonial de la France. Des moments importants, du point de vue de l'historien, ont marqué l'évolution qui a vu l'ancien territoire militaire devenir un pays indépendant et souverain. Au nombre de ces moments, le 18 décembre 1958, date de la proclamation de la République du Niger. Que représente dans l'histoire du Niger cette date que nous nous préparons à célébrer ? A priori, pas grand-chose pour le commun des Nigériens, le pays étant, depuis novembre 2011, sous la 7ème République.
Le contexte de la naissance de la République au Niger
L'avènement, par la constitution du 4 octobre 1958, de la 5ème République française a, sans conteste, accéléré le processus d'évolution des territoires d'Afrique Noire sous domination française. A l'issue du référendum du 28 septembre 1958, par lequel cette constitution a été adoptée, des changements politiques majeurs sont intervenus au Niger : démission du conseil de gouvernement de l'autonomie interne et dissolution de l'Assemblée territoriale où le Sawaba, parti gouvernemental d'alors, était majoritaire. Cette situation de crise politique a rendu nécessaires de nouvelles élections territoriales pour se conformer au nouveau contexte colonial: la Communauté, créée par le titre XII de la constitution, remplace l'Union française de la 4ème République française.
A l'issue de ces consultations, tenues le 14 décembre 1958, la nouvelle Assemblée territoriale élue a été convoquée en session extraordinaire pour le 17 décembre 1958 pour mettre en place son bureau. Le lendemain, 18 décembre, elle élit les membres d'un nouveau conseil de gouvernement et décide du statut du Niger qui devient « ... Etat membre de la Communauté » : « l'Etat du Niger prend le titre de République du Niger » .
Mais, qu'est-ce qu'une république ? Sans nous engager dans des définitions académiques ou polémiques, on peut simplement retenir que la république est, à l'inverse de la monarchie, le type d'Etat dans lequel la souveraineté appartient au peuple par l'intermédiaire de représentants élus. Cela signifie liberté de choix et de suffrages pour ce peuple, participation et responsabilité du citoyen, appropriation de la res publica, la ''chose publique'', en toute souveraineté : souveraineté du peuple sur son territoire et maître de son destin. Si nous nous accordons sur cette définition élémentaire de la république, il serait pertinent de s'interroger, du point de vue de l'histoire, sur ce que peuvent être le contenu, la portée et la signification de celle proclamée dans le contexte de décembre 1958 au Niger.
Pour rappel, ce contexte était dominé, au Niger, par :
- la revendication de l'« indépendance immédiate » portée par les gouvernants nigériens de l'autonomie interne (le Sawaba)
- l'impérieuse nécessité pour Paris de trouver une formule propre à dompter les populations colonisées et leurs élites, de plus en plus préoccupées par leur devenir : il lui fallait créer les conditions appropriées de « partir pour mieux rester »
- la crispation des positions politiques, à la veille du référendum du 28 septembre 1958, qui va aboutir au premier coup d'Etat politique en Afrique noire française.
- la crise politique née de l'échec du NON prôné par le Conseil de gouvernement à ce référendum dont le dénouement a été la démission du gouvernement sawaba, la dissolution de l'Assemblée territoriale et l'organisation de nouvelles élections territoriales.
- les choix « orientés » offerts aux anciennes colonies par le titre XII de la constitution de la 5ème République française : sécession (et non indépendance) refusée au Niger mais imposée à la Guinée, statut de territoire, de département d'outre-mer ou d'Etat membre d'une Communauté amarrée à Paris
- l'entrée dans la Communauté a connu, au Niger, la plus forte abstention de tous les territoires d'outre-mer d'A.O.F. et d'A.E.F. .
C'était donc un contexte dans lequel le Niger s'illustrait par des singularités qui font du 18 décembre 1958 un moment particulier de son histoire politique.
Contenu et fondements juridiques de la République proclamée
Officiellement, la proclamation de l'Etat et celle de la République avaient pour finalité de rendre effective l'autonomie octroyée dans le cadre de la Communauté à travers l'article 77 de la constitution, aux termes duquel, ''la République du Niger s'administre elle-même et gère démocratiquement ses propres affaires''. A la suite d'une délibération, l'Assemblée territoriale s'est érigée en Assemblée constituante qui '' ... établira la constitution de la République du Niger '' et ses membres ont pris le titre de députés'' . C'est donc le point de départ d'une autonomie effective du Niger, même si l'article 78 de la constitution française ne réserve que peu de compétences pour la nouvelle république qui ne disposait pas de base constitutionnelle.
Quelques jours après, un décret crée un comité constitutionnel qui élabore et soumet au gouvernement un avant-projet de constitution adopté le 25 février 1959 et promulgué le 12 mars 1959 : '' ... l'Assemblée constituante se transforme en Assemblée législative'' (article 63, alinéa 1).
Cette constitution, promulguée pour donner un fondement juridique à la République proclamée, garantit les libertés syndicales et admet la compétition politique à travers les partis et regroupements politiques. Pourtant, dès le 12 octobre 1959, l'ancien parti gouvernemental Sawaba est dissout comme pour signifier que le pluralisme des opinions politiques, qui est une des caractéristiques fondamentales de la république, n'existe pas dans celle du Niger. L'accession du Niger à l'indépendance, le 3 août 1960, rend cette constitution caduque : conçue pour codifier la république proclamée et pour donner une base juridique au régime d'autonomie octroyé dans le cadre de la Communauté, elle ne peut, en effet, être compatible avec la nouvelle situation : l'adoption d'une autre constitution devenait alors impérative pour gérer le nouveau statut de République indépendante du Niger et pour donner enfin au Niger un président de la République, titre jusqu'alors exclusivement réservé au général de Gaulle.
La république proclamée en décembre 1958 est ainsi formalisée dans la continuité. Ce sont, en effet, les élus de décembre 1958 et juin 1959, choisis pour servir la Communauté, qui ont été maintenus pour gérer l'indépendance. Cette 1ère République a vécu jusqu'au coup d'Etat d'avril 1974. Le pays connaîtra alors un passage à vide, au plan constitutionnel, de 1974 à 1989. Depuis, on assiste à une inflation de républiques (six de 1989 à 2010), avec des interruptions d'une durée cumulée de 33 mois (de transitions civile ou militaires). Avec une durée de vie de 15 ans, la 1ère République détient ainsi le record de longévité des sept républiques que le Niger a connues jusqu'ici, puisque la durée de vie moyenne des six dernières est de moins de quatre ans.
Portée et signification de la République proclamée
Au moment de sa proclamation, la République du Niger ne disposait d'aucun attribut spécifique à même de l'ancrer dans les consciences politiques, y compris de l'élite. Alors qu'une république doit avoir des attributs propres qui incarnent le peuple et ses valeurs, celle-ci semble vide de contenu, en termes de symboles : le drapeau et la devise ne seront adoptés que le 23 novembre 1959 ; l'armée nationale (créée sur le papier le 1er août 1960), l'hymne national , la nationalité nigérienne, les sceaux et armoiries ne seront adoptés et rendus effectifs qu'en 1961. Jusqu'à leurs adoptions respectives, les attributs de la République du Niger étaient ceux de la Communauté, définis pour l'ensemble des Etats membres .
En dehors de ces attributs, la souveraineté que suggère une république doit s'appuyer ou s'exercer sur un territoire propre. Or, au moment de sa proclamation, l'Organisation commune des Régions sahariennes (OCRS), créée en janvier 1957, avait compétence sur les 9/10e du territoire du Niger, soit environ 1 036 000 km² sur une superficie totale de 1 267 000 km² (Treyer Claude, 1966 :286).
La signification de la république était loin d'être évidente pour les populations puisqu'il n'y a eu ni débat public préalable ni référendum pour les sensibiliser, les impliquer dans le processus, les responsabiliser face au nouveau statut. Au lendemain de sa proclamation, il n'y a pas eu, non plus, de sensibilisation pour expliquer et susciter une adhésion civique. Proclamée ''d'en haut'', elle n'a pu ainsi être ni appropriée ni intégrée dans les consciences pour poser les bases d'une conscience politique préalable au développement d'une conscience républicaine. Il n'est, dès lors, pas exagéré de considérer que cette 1ère république découlait plus d'un pays peut-être légal que d'un pays réel (les populations nigériennes concernées) : la diffusion de sa portée, de sa signification et de ses valeurs a donc été limitée.
Même si le mode d'adoption des textes constitutionnels semble avoir changé depuis 1989 à travers des référendums, les multiples républiques proclamées et évincées, au gré des coups d'Etat et des mauvaises pratiques démocratiques, sont le signe d'une insuffisante adhésion du citoyen ordinaire à la république. Aucune référence n'est faite, dans ces constitutions, à l'histoire des populations nigériennes ou à leurs valeurs culturelles, les différents rédacteurs s'inspirant plutôt de modèles étrangers. Cela peut expliquer l'insuffisante adhésion ou l'attitude d'indifférence, sinon de défiance, du Nigérien ordinaire, de son Armée et même de sa classe politique, vis-à-vis de la république, de ses valeurs et des comportements républicains pourtant indispensables.
La république, née avec l'Etat proclamé, a donc précédé la constitution. Contrairement à la tradition, sa proclamation n'a incarné ni la souveraineté du peuple ni l'indépendance du pays. A première vue, elle ne traduit ni une volonté nationale, ni un véritable projet politique autonome. Sa proclamation s'inscrivait dans le cadre du projet global de réforme du système colonial français porté par le retour du général de Gaulle. Mais, en plus de ''marquer de son sceau la nouvelle identité politique de l'Etat du Niger '' (Tidjani, 2009 :1), elle a aussi eu le mérite de doter le Niger d'une architecture institutionnelle, d'organiser les services de l'Etat et de servir de socle à la gestion de l'indépendance qui surviendra deux années plus tard. Etape supérieure par rapport au statut de colonie ou même de T.O.M., elle a surtout constitué une nouvelle étape vers une relative liberté politique et une émancipation institutionnelle à travers une autonomie plus avancée que celle de la loi-cadre. Comme le soutient Tidjani, ''elle reste indiscutablement un projet à bâtir'' (Ibid.). Malheureusement, l'évocation de la république, à travers la célébration annuelle du 18 décembre, au Niger, semble se limiter, de plus en plus, à de simples messages politiques à la nation et procurer un jour férié, sans autre ambition d'éducation civique.
Mamoudou DJIBO