Au Niger, c'est le processus électoral qui risque de se retrouver à l'arrêt. Pourtant, samedi tout avait bien commencé. Pouvoir et opposition étaient tombés d'accord pour un audit du fichier électoral, contesté par les opposants, et destiné à l'élaboration les listes et des cartes pour les différents scrutins. Il devait s'achever le 18 décembre. C'est dans un communiqué lu à la télévision nationale que le gouvernement annonce la décision de l'opposition de suspendre sa participation à cet audit. Elle réclame l'intervention d'un cabinet international, indépendant et crédible. Les opposants menaçant même d'empêcher la tenue du scrutin si leur revendication n'est pas satisfaite. L'ancien Premier ministre et candidat déclaré à l'élection présidentielle du 21 février, Amadou Boubacar Cissé est formel « le régime en place veut passer en force dés le premier tour des élections, d'où la multiplication des manoeuvres ». Il donne au Point Afrique, des éléments de réponses sur la situation politique.
Le Point Afrique : Avez-vous des informations sur les arrestations d'officiers depuis lundi, on parle d'un coup d'État ?
Amadou Boubacar Cissé : le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) au pouvoir est passé maître dans l'art de la manipulation. Après avoir tenté d'imputer l'attaque de leur siège à l'opposition, ils ont fini par reconnaître qu'il s'agit d'un fait divers pour lequel ils n'ont pas donné beaucoup de précisions. Nous n'avons aucun élément nous permettant d'expliquer ces arrestations.
La décision de l'opposition de suspendre sa participation à l'audit du fichier électoral, vous conforte-t-elle dans votre propre stratégie ? Qu'attendez-vous désormais de la classe dirigeante avant les élections ?
Les périodes électorales en Afrique constituent toujours des sources indéniables de conflits susceptibles de déboucher sur une instabilité politico-institutionnelle préjudiciable à la paix et au développement de nos pays si les processus ne sont pas gérés de façon consensuelle par les acteurs politiques. Or, un des éléments-clés de ces processus, voire le plus déterminant, est celui de l'élaboration d'un fichier électoral consensuel, fiable, crédible et accepté de toute la classe politique, d'où l'impérieuse nécessité d'un audit indépendant et intégral dudit fichier, gage de confiance et d'assurance pour tous les acteurs y prenant part. Ce qui est donc attendu du pouvoir actuel avant les élections, c'est son engagement réel et sa volonté manifeste de conduire ces processus de gestion électorale afin que les différents scrutins soient inclusifs, transparents, honnêtes et crédibles.
Pourquoi attendre maintenant pour critiquer un fichier électoral qui a servi lors des précédentes élections ?
L'ancien fichier serait perdu selon les autorités en place ! Ce qui leur a donné le loisir de concocter un nouveau fichier frauduleux, parce que trituré et trafiqué dans leur funeste dessein de faire un passage en force dès le 1er tour des élections présidentielles. Donc, nous refusons tout simplement ce fichier en l'état actuel, qui n'a pas de réalité sur le terrain, car il a été fait de manière tendancieuse.
Donnez-nous des détails de ce qu'il ne convient pas...
Par exemple, toutes les régions dans lesquelles le président pense qu'il n'a pas assez de représentation sont nettement sous-recensées. Pour prendre le cas de la capitale Niamey, ville où le pouvoir en place n'a pas beaucoup d'électeurs ni de militants. On y compte 1,3 million d'habitants, aux élections de 2010, il y avait 800 000 inscrits, aujourd'hui en 2015, on se retrouve avec plus que 300 000 inscrits sur les listes électorales. Vous voyez, ce n'est pas possible, mais comme c'est une ville qui vote plutôt pour l'opposition, on a modifié les chiffres pour faire pencher la balance. En comparaison, d'une ville comme Tahoua, d'où est originaire le chef d'État Mahamadou Issoufou, sur une population de 1,6 million, il y a 1,4 million d'inscrits sur les listes, ce qui défi vraiment l'imagination, puisque nous savons que la population nigérienne dans sa majorité a moins de quinze ans. Il y a donc un problème, il s'agit d'une volonté manifeste du pouvoir de faire passer les choses en force. Et le danger est que le pouvoir actuel pense avoir les bonnes réponses pour la lutte contre l'insécurité, pour l'économie, et donc ils pensent obtenir ainsi le soutien de l'Europe, pour masquer ce que je nomme une dérive autocratique.
Comment en est-on arrivé là ?
Le PNDS, est un parti limite stalinien. C'est un groupe de personnes qui s'est connu durant ses études et qui a joué sur tous les dysfonctionnements qu'a connus le pays. Et progressivement avec l'arrivée de la démocratie, ils ont créé des groupes politiques qui, dans la réalité, n'ont jamais été acceptés par la majorité de la population. Mais ils ont su jouer sur tous les axes de la démocratisation de la société. C'est comme ça qu'ils sont arrivés au pouvoir.
Mais vous avez complètement adhéré à cette coalition présidentielle ?
Moi, je n'ai pas appartenu directement à ce parti. Mais en 2009, face à la tentative du président Mamadou Tandja, il a fallu faire barrage et donc s'associer entre forces politiques démocratiques. Et c'est le rôle que j'ai tenu, on était véritablement parti sur l'idée de créer quelque chose de pérenne. Ce groupe devait exercer le pouvoir et nous avions convenu que le gagnant de l'élection de 2010 obtiendrait le soutien des autres partis. Et j'ai été membre de la coalition pendant quatre ans et demi. Mais le jeu a été véritablement dévoilé en septembre où on pouvait imaginer qu'après avoir gouverné avec une coalition pendant quatre ans, on trouverait un mécanisme par lequel cette coalition pourra continuer avec un programme commun, une répartition des rôles bien précise. Mais à la dernière minute, on nous apprend que le président va être le candidat de son parti, mais que nous autres membres de la coalition devons le soutenir. Ce n'est pas tenable pour nous, on ne peut pas soutenir un candidat concurrent pour l'élection présidentielle, et le même jour, appeler à voter pour son parti aux législatives. Les gens ne peuvent pas comprendre ce message. C'est une façon d'inféoder le système. Alors, le parti au pouvoir a décidé de retirer tous les postes nominatifs aux personnes qui étaient contre cette décision. Depuis plus d'une année, le président Issoufou a perdu du terrain. Il ne représente pas plus de 10 % de la population.
Connaissez-vous les motifs réels de votre limogeage, en septembre dernier du gouvernement ?
Ma décision de me porter candidat au 1er tour de l'élection présidentielle du 21 février 2016 au sujet de laquelle le président de la République exigeait que tous les partis membres de la Mouvance pour la renaissance du Niger (MRN), majorité au pouvoir, le soutiennent pour lui permettre de rempiler pour un second mandat dès le 1er tour.
Quel bilan faites-vous de votre action, à la tête du ministère du Plan ?
Un bilan hautement positif, unanimement reconnu tant par les populations nigériennes que par les partenaires de coopération bi et multilatérale, action qui m'a permis de corriger la structure de la dette et de mobiliser au profit des finances publiques plus de 3 mille milliards de FCFA, très majoritairement sous forme de dons et de prêts concessionnels.
Et pourtant, vous encourez une action en justice au nom du pays pour son surendettement, comment expliquez-vous ces menaces qui pèsent sur vous ?
Il s'agit purement de la surenchère politicienne, car à notre connaissance, aucun rapport de spécialistes de la question et aucune autorité internationale du domaine comme le FMI et la Banque mondiale n'ont soutenu cette assertion concernant le Niger.
Les nombreux projets de développement infrastructurel n'ont pas vu le jour, pourquoi, quelles sont vos responsabilités dans ce constat d'échec ?
Nous n'avons aucune responsabilité dans cet échec, cette mal performance étant essentiellement attribuable aux ministres sectoriels chargés d'utiliser rationnellement et à temps les fonds mobilisés et mis à leur disposition.
Vous avez récemment affirmé que le groupe Areva est un partenaire « traditionnel et obligé » du Niger, cela veut dire que le déséquilibre de ces accords ne sera jamais remis en cause ?
Toutes les conventions et tous les accords, dans le processus de leur mise en œuvre, sont susceptibles d'être revus dans le sens de l'intérêt général de notre pays et de ses populations.
Quelles sont vos motivations pour l'élection présidentielle de février 2016 ?
Gouverner et développer le Niger autrement dans l'unité retrouvée, la justice sociale, la solidarité, le travail bien fait et bien rémunéré et le progrès, valeurs républicaines constituant le socle sur lequel repose notre parti.