Dénonçant une volonté de « passage en force » pour la présidentielle de février, l’opposition nigérienne émettait vendredi, jour de la fête nationale, des réserves sur la réalité d’un coup d’Etat déjoué par le président Mahamadou Issoufou qui a justifié une vague d’arrestations.
« On a les plus grandes réserves. Il (le président) ne nous a donné aucune preuve. Nous sommes dans l’incertitude », a affirmé à l’AFP l’opposant et candidat à la présidentielle du 21 février, Amadou Boubacar Cissé dit « ABC », joint depuis Abidjan.
Dans son message traditionnel diffusé jeudi, à la veille des cérémonies de l’indépendance, le président Issoufou a assuré que le gouvernement avait « déjoué une tentative malheureuse de déstabilisation des institutions » justifiant une vague d’arrestation de hauts responsables militaires évoquée par les réseaux sociaux et la presse locale depuis lundi.
En 2011, le président Issoufou avait déjà annoncé dans un message à la nation avoir déjoué un putsch contre son régime. Selon les autorités, dix militaires dont des officiers avaient alors été arrêtés pour « tentative de renversement du régime » et « tentative d’assassinat du chef de l’Etat ».
Vendredi, la fête nationale a été célébrée dans la sobriété, « en compassion » pour les victimes du « terrorisme », avec un défilé militaire à Maradi, capitale économique du pays, choisie cette année pour accueillir les festivités.
La parade s’est déroulée sans incident en fin de matinée sous la surveillance d’un impressionnant dispositif sécuritaire, a constaté un journaliste de l’AFP.
Depuis février, le groupe islamiste nigérian Boko Haram mène des attaques meurtrières dans la zone de Diffa (sud-est), frontalière du fief des insurgés islamistes dans le nord-est du Nigeria, alors que des groupes jihadistes de la bande sahélienne sont une menace au nord.
A Niamey, la capitale, la situation était calme. La prière du vendredi s’est déroulée sans événement majeur alors que beaucoup d’habitants étaient incrédules après l’annonce du coup d’Etat déjoué en attendant d’en savoir plus.
Pour ABC, le pouvoir tente « le passage en force » pour s’assurer la victoire à la présidentielle. « Nous sommes tellement habitués aux manipulations, a-t-il dit. Dès qu’ils sont en difficulté, ils cherchent des moyens de s’en sortir. Ils savent qu’ils ne peuvent gagner l’élection ».
Beaucoup de ratés
« Les seules personnes qui menacent la démocratie au Niger sont le gouvernement. Il y a une dérive autoritaire », a-t-il ajouté.
Le candidat a rappelé le blocage dans lequel se trouve l’audit du fichier électoral en vue du scrutin.Mardi, l’opposition a suspendu sa participation au comité sur cet audit, réclamant l’intervention d’experts internationaux et critiquant les délais trop courts, alors que le pouvoir avait fixé la date butoir pour réaliser l’audit à ce vendredi pour pouvoir tenir la présidentielle dans les délais.
Mi-novembre, Sabiou Gaya, un des responsables chargés de l’élaboration de ce fichier, avait reconnu qu’il comportait « beaucoup de ratés », notamment avec des « bureaux de vote manquants », des « mineurs et des non Nigériens inscrits » sur les listes.
Le président Issoufou « a eu cinq ans pour préparer le fichier mais maintenant on ne peut pas nous dire: +le délai ou la transparence+ », a souligné ABC, qui a écarté tout « boycott » mais ne « renonce pas » à un fichier électoral crédible.
« On ne va pas leur laisser le champ libre », a-t-il conclu.
Ousseïni Salatou, le porte-parole de la coalition de l’opposition, dénonce également l’intention du président Issoufou de faire « un passage en force dès le premier tour » grâce à un fichier électoral tronqué. Mais « le gouvernement n’imposera pas un fichier au peuple nigérien » et « une chose est sûre, il n’y aura pas d’élection sans un fichier audité et consensuel », a-t-il affirmé.
« Le gouvernement n’a pas le choix (…) il est évident qu’il y aura des élections au Niger car il y a un Etat, il y a une République du Niger qui doit continuer à fonctionner » s’est défendu Mohamed Moussa, membre du parti au pouvoir et proche d’Issoufou sur une télévision locale.
Le président avait rappelé jeudi dans son discours sa « volonté d’organiser des élections dans la transparence ». Mais, avait-il souligné, « la libre expression du vote ne doit pas être mise à profit par ceux qui, par des manœuvres dilatoires, veulent conduire le pays dans une impasse en repoussant les élections au-delà des délais constitutionnels ».