YOLA - Bulama Buba Kadai était autrefois propriétaire de 20 fermes et de plus de 100 têtes de bétail près de Gwoza, au nord-est du Nigeria. Il y a un an de cela, ses terres ont été détruites et seules deux de ses bêtes ont été épargnées quand Boko Haram a attaqué son village. Ses deux fils sont morts, eux aussi – les seuls héritiers des biens qu’il pourrait laisser un jour. « Je pense que la majorité d’entre nous reviennent vers nos tombes », a dit à IRIN M. Kadai.
Les attaques qui se succèdent depuis 2009 ont entraîné la destruction de terres et fait plusieurs milliers de victimes chez les hommes jeunes ; parfois, elles ont décimé ou déplacé des générations entières d’agriculteurs et d’éleveurs. L’avenir de bon nombre de communautés rurales du nord-est du Nigeria est au mieux incertain, au pire insoutenable.
M. Kadai et quelque 500 autres agriculteurs de son ancienne communauté ont trouvé refuge à Malkohi, dans la banlieue de Yola, la capitale administrative de l’Etat d’Adamawa. En début d’année, le gouvernement local a attribué des petites parcelles de terre à titre temporaire à certains d’entre eux, mais les rendements étaient faibles.
Comme bon nombre d’agriculteurs, M. Kadai rêve de retourner vivre à Gwoza, mais il craint de ne plus avoir d’avenir là-bas.
« Dans le Nord rural, les jeunes sont les piliers de l’agriculture, ils s’occupent des fermes et du bétail », a expliqué Yakubu Musa, un agriculteur d’Askira. « Aujourd’hui, après six années de violences de Boko Haram, les fermes ne sont plus exploitées, les animaux sont morts ou ont été volés ».
Comme M. Kadai, M. Musa a tout perdu, y compris ses fils, dans une attaque commise par Boko Haram l’année dernière.
Vivre dans la peur
Ahmadu Buba et sa famille ont échappé à une attaque perpétrée par Boko Haram en début d’année. Aujourd’hui, il travaille la terre à une vingtaine de kilomètres de la ville frontalière de Mubi. S’il a eu « la chance » de survivre, il a assisté à l’assassinat de plusieurs de ses voisins et il redoute de connaitre le même sort.
« J’allais travailler à la ferme avec mes quatre enfants quand j’ai repéré cinq hommes », a-t-il expliqué à IRIN. « Ils avaient le visage caché par un turban et ils étaient armés de fusils AK-47. Ils ont tué certains de nos meilleurs agriculteurs ».
M. Buba a expliqué qu’une bonne partie des agriculteurs qui ont décidé de rester sur place limitent leurs déplacements aux « zones sûres » et travaillent un nombre d’heures limité dans les champs pour réduire les risques. Il s’inquiète de l’impact que cela pourrait avoir sur les stocks de nourriture et craint que le calendrier des précédentes attaques ne favorise des pénuries alimentaires cette année.
Bulama Modu, un riziculteur de Gwoza qui a trouvé refuge dans un camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) à Malkohi, a dit à IRIN : « Boko Haram a empêché les agriculteurs de cultiver leurs champs. Ils nous ont attaqués et plusieurs agriculteurs ont été tués, des jeunes pour la plupart. Nous avons dû partir avant de la récolte du riz ».
Au début, les militants réclamaient aux agriculteurs des taxes et des impôts pour ne pas brûler leurs récoltes, a-t-il expliqué. Dans un village de la région de Chwawa, à Madagali, le chef d’une communauté qui a souhaité garder l’anonymat, a dit que le montant de ces « amendes » allait d’un million de nairas à trois millions de nairas (de 6 000 dollars à 18 000 dollars), en fonction de la taille du village.
« Mais plus tard, ils ont commencé à tuer les gens et nous avons été contraints de partir à cause de la situation », a expliqué M. Modu.
Depuis, son village a été repris par les soldats. Un jour, il espère reprendre le travail de la terre, mais il a encore trop peur pour planter de nouvelles cultures.
Impact sur la sécurité alimentaire
Plus de 17 000 agriculteurs ont fui le nord-est du Nigeria pour rejoindre le sud du pays depuis 2012, d’après l’Agence nationale de gestion des urgences (NEMA).
Le Réseau des systèmes d’alerte précoces contre la famine (Famine Early Warning Systems Network, FEWS NET) explique que la région devrait avoir une production alimentaire inférieure à la moyenne cette année, et que l’ouest de l’Etat de Yobe, le nord de l’Etat d’Adamawa et la quasi-totalité de l’Etat de Borno ainsi que les zones dans et autour de la région Maiduguri, où bon nombre de PDIP ont trouvé refuge, devraient rester « en crise » jusqu’en mars 2016 au mois.
Les prix des denrées alimentaires ont également été affectés.
Inusa Daudu, qui vend des oignons sur le marché de ‘Mile 12’ à Lagos, a dit que les prix des haricots et des oignons ont augmenté de jusqu’à 70 pour cent depuis que Boko Haram attaque les agriculteurs.
« La majorité de nos négociants ont trop peur de se rendre sur les marchés alimentaires du Nord », a dit à IRIN M. Daudu. « Les transporteurs considèrent que l’acheminement de produits agricoles vers les villes comme Maiduguri représente [un] risque élevé ».
Il a pris l’exemple de l’attaque commise contre un marché aux poissons fréquenté de Baga, dans l’Etat de Borno, par des militants armés de Boko Haram.
« Bon nombre de magasins d’alimentation sont fermés et les denrées sont en train de pourrir à l’intérieur », a expliqué M. Daudu. « Les agriculteurs ne sont pas les seuls à prendre la fuite, [mais] les vendeurs de nourriture et les transporteurs s’en vont aussi ».
Le danger des mines terrestres
Une bonne partie des agriculteurs qui sont rentrés chez eux sont incapables de planter de nouvelles cultures dans leurs champs à cause des mines.
Ils sont obligés de trouver un autre emploi tant que leurs terres n’ont pas été nettoyées.
D’autres n’ont pas autant de chance.
Yandum Kwageh a passé près d’un an dans un camp de PDIP après que Boko Haram l’a forcée à quitter ses terres à Michika. Agricultrice depuis de nombreuses années, elle a dit que la seule chose qui l’a aidé à supporter les conditions de vie difficiles dans le camp était son rêve de retrouver sa ferme.
Mais, au mois d’avril, quand les troupes ont repris son village et qu’elle a reçu l’autorisation de rentrer chez elle, elle a retrouvé des champs détruits et en jachère. Ce qu’elle ne savait pas à l’époque, c’est qu’ils étaient infestés de mines. Après plusieurs semaines de désherbage et de plantation du maïs, elle a marché sur une mine laissée par Boko Haram.
Mme Kwageh s’est réveillée à l’hôpital. Aujourd’hui, elle ne peut plus travailler la terre et produire de la nourriture pour sa famille, alors elle espère obtenir un petit prêt pour démarrer une activité.
Le général V.O. Ezugwu, chef de la 28ème Force d’intervention de la Brigade de Mubi, a dit à IRIN que « plusieurs » explosions similaires ont eu lieu dans des champs au cours de ces derniers mois, alors que les réfugiés et les PDIP sont de plus en plus nombreux à rentrer sur leurs terres.
Le gouvernement explique que les troupes nigérianes travaillent au déminage des zones reprises, mais que le travail est « à la fois dangereux et très coûteux en temps ».
« Les troupes se concentrent d’abord sur les écoles, les cliniques [de santé] et les routes », a expliqué à IRIN Muhammad Bindow Jibrilla, le gouverneur de l’Etat d’Adamawa. « Les fermes ne sont pas considérées comme une priorité élevée ».
A Malkohi, M. Kadai ne croit plus que sa communauté d’agriculteurs de Gwoza sera capable de se remettre sur pied. « A quoi ça sert quand les jeunes sont partis ? », a-t-il demandé à IRIN. « Comment faire quand tout ce que nous avions a disparu ? ».