Un mois et demi avant la présidentielle, l’ancien ministre, aujourd’hui opposant, a été arrêté pendant trois heures, jeudi, à Niamey. Il répond à «Libération».
Niger : le candidat Amadou Boubacar Cissé dénonce «la machine à frauder» du pouvoir
Une mode abusive à Niamey, la capitale du Niger, serait-elle d’arrêter les opposants ? Il semble en tout cas que le pouvoir de Mahamadou Issoufou, candidat à sa propre réélection, se crispe à un mois et demi des élections couplées (présidentielle et législatives) prévues le 21 février. Après Hama Amadou, ex-président de l’Assemblée nationale, maintes fois ministre, candidat à la présidentielle pour le Mouvement démocratique nigérien (Moden), arrêté à l’aéroport de Niamey mi-novembre lors de son retour au Niger après une année d’exil à Paris en raison d’accusations de trafic de bébés, c’est au tour d’Amadou Boubacar Cissé, 67 ans, candidat de l’Union pour la démocratie et la république (UDR), de connaître l’arbitraire.
Le 31 décembre, Cissé a passé «trois heures à la PJ» de Niamey au moment où il s’apprêtait justement à déposer sa candidature. Joint vendredi soir par Libération, il déclare : «C’est une pression intolérable qui s’exerce. Nous sommes dans une situation de crispations qui n’annonce rien de bon. Le pouvoir provoque les opposants et joue un jeu dangereux.»
Le parti présidentiel (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, PNDS) serait, pour Amadou Boubacar Cissé, aux abois. Il se viderait de ses militants et surtout, représenterait «un réel facteur de division dans le pays». Il évoque les atteintes «aux libertés politiques» qui seraient «de plus en plus confisquées, avec la mise sur écoute des candidats et opposants, y compris mes lignes [téléphoniques]». Celui qu’on appelle «ABC» expliquait vendredi à Libération que «les cabinets noirs» seraient «déjà en ordre de marche pour truquer les élections».
«Autocratique».
Amadou Boubacar Cissé est un vieux routier de la politique nigérienne. Il a été Premier ministre en 1996, sous la présidence Baré, et en connaît toutes les arcanes, les chausse-trappes et aussi les ressorts les plus douteux. De sorte aussi qu’il ne feint pas de découvrir «les coups bas», dont son arrestation de quelques heures «est un exemple», mais il s’étonne quand même «de la dérive autocratique de Mahamadou Issoufou».
Cette «dérive» ne semble d’ailleurs pas appeler de réaction de Paris, qui apparaît «aveugle et sourd», comme l’explique anonymement un ancien diplomate fort inquiet de cet «enfermement du pouvoir nigérien sur lui-même».
«ABC» a été formé aux sciences dures à Paris. Il est diplômé de l’Ecole nationale des ponts et chaussées. Economiste, il a siégé à la Banque mondiale et a été vice-président de la Banque islamique de développement (BID). Jusqu’à ces dernières semaines, il faisait partie du gouvernement du Premier ministre Brigi Rafini comme ministre du Plan. Il fut une pièce importante de la coalition qui a porté Mahamadou Issoufou en pouvoir au printemps 2011.
«Fraudes».
Depuis ces deniers mois, les rapports entre ces deux grands fauves de la politique nigérienne s’étaient dégradés. Voilà ce qu’en disait Amadou Boubacar Cissé dans un entretien à Jeune Afrique il y a quelques jours : «Ma candidature est l’aboutissement de quatre ans de frictions au sein du gouvernement. Mahamadou Issoufou a voulu, de la même manière qu’il l’a fait avec l’opposition, créer des dissensions au sein des partis alliés. Je suis pour le moment le seul à avoir dit non et à affirmer ma volonté d’être présent au premier tour.» «ABC» rappelle à Libération que «l’appareil d’Etat» est sollicité «pour mettre en place les futures fraudes». Pour lui, le Niger «est sorti du combat démocratique car les moyens de l’Etat sont clairement mis au service de la propre réélection de Mahamadou Issoufou». Il poursuit en expliquant qu’il est impensable «que Mahamadou Issoufou puisse même être présent au second tour» sans la mise en place d’une «machine à frauder». A ce titre, l’histoire, à l’automne, du fichier électoral «perdu» dans un premier temps, puis miraculeusement «retrouvé», est un signal «terriblement inquiétant», explique-t-il.
Pour «ABC», l’élection de février ne se jouera pas forcément «sur un programme et des professions de foi», mais sur «le rejet de la personnalité du Président. C’est, dit-il, toutes proportions gardées, ce qui s’est passé en 2012 en France où l’on a voté contre Sarkozy et pas forcément pour Hollande».
Fatigué.
Le pouvoir avance de son côté que Cissé aurait quitté ses fonctions de ministre du Plan pour ne pas être comptable d’éventuelles poursuites pénales pour mauvaise gestion de deniers publics. «Je mets au défi quiconque de faire un audit général de tous les ministères. Je suis d’ailleurs certain que beaucoup ont plus de raisons de s’inquiéter que moi», répond l’ancien ministre du Plan, qui affronte désormais frontalement Mahamadou Issoufou, lui reprochant de ne pas avoir mis en œuvre «les moyens matériels» pour assurer la sécurité des Nigériens «face aux menaces terroristes». Et surtout, d’avoir fait de «la sécurité un alibi» pour que des proches du pouvoir «s’enrichissent». «ABC» semblait, au téléphone, affecté et fatigué par ces dernières quarante-huit heures : «Je m’attends à être sali par les rumeurs. J’ai mis en doute la sincérité du pouvoir qui dit avoir déjoué un coup d’Etat [mi-décembre]. Nous attendons tous des preuves irréfutables et une enquête sérieuse. Par ailleurs, je viens d’apprendre par la rumeur que j’aurais été aussi pressenti pour prendre le poste de Premier ministre de transition si ce coup d’Etat avait réussi…» La campagne électorale vient d’être lancée.