Les forces françaises déployées au Sahel, dans le cadre de l'opération Barkhane, ne sont pas et ne seront jamais capables d'empêcher des attaques du genre de celle qui a fait 29 morts vendredi à Ouagadougou, assurent experts et officiels.
Pour ces 3.800 soldats déployés dans cinq pays, sur une zone désertique de la taille de l'Union Européenne, entraver l'action de petits groupes de jihadistes mobiles et bien armés, qui choississent des cibles molles comme des hôtels, et surtout n'espèrent pas survivre à leur assaut, est tout simplement mission impossible, estiment-ils.
"La mission des soldats français au Sahel est avant tout militaire", explique l'ancien chef d'un service français de renseignement, qui demande à rester anonyme. "C'est à dire lutter contre les groupes armés terroristes, pour les empêcher de se regrouper et de menacer des villes ou des territoires. Empêcher une résurgence de ce qui s'est passé lors du déclenchement de l'opération Serval".
Cette opération, entre janvier 2013 et juillet 2014, a coupé la route de Bamako aux jihadistes qui fonçaient sur la capitale malienne puis a permis la dissolution de leurs bases permanentes dans la région. Mais elle a ainsi, comme une goutte de mercure qui s'écrase, provoqué une dissémination des foyers jihadistes dans toute la région.
"Il n'a jamais été question d'aller faire la chasse au moindre terroriste qui va aller faire une prise d'otage", ajoute la même source. "C'est totalement mission impossible. On n'est déjà pas capable de défendre en France tout ce qui mériterait de l'être avec tous les effectifs de police et de gendarmerie, alors vous imaginez dans cette immense région C'est la taille de l'UE : vous allez défendre l'UE avec 3.500 hommes?"
- 'Trous dans la raquette' -
Face aux armées et polices locales sous-équipées et sous-entraînées, et à des soldats français qui ne sortent de leurs bases qu'en force, pour des missions ou des patrouilles forcément limitées, les nombreux groupes jihadistes de la région ont appris à contourner l'ennemi, ce qui est un jeu d'enfant sur un terrain pareil, et à se dissimuler jusqu'au moment de frapper.
"Des trous dans la raquette sécuritaire, il peut en exister", admet une source militaire française de haut rang, qui préfère ne pas être identifiée. "Les jihadistes sont dans une relation du faible au fort, ils cherchent à nous contourner (...) Nous sommes face à une menace durable. Les vulnérabilités qui sont les nôtres sont partagées par d'autres pays: qui demanderait au gouvernement burkinabé d'en faire davantage ?"
A Ouagadougou vendredi soir, comme lors de l'attaque contre l'hôtel Radisson Blu de Bamako deux mois plus tôt, qui a fait vingt morts, les membres des commandos jihadistes ont lutté jusqu'à la mort, dans des missions suicides destinées à faire le maximum de victimes.
"Or quand vous avez à faire à un ennemi qui accepte la mort comme résultat de ses opérations, vous ne pouvez pas faire grand-chose" confie à l'AFP Michael Shurkin, du centre de réflexion américain Rand Corporation. "Ils savent que les forces spéciales françaises ou américaines interviendront à temps pour les éliminer mais ils y vont quand même. Donc il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de prévenir ce genre d'attaque".
Dans les pays du Sahel, les cibles potentielles comme les grands hôtels ou les restaurants fréquentés par les Occidentaux sont la plupart du temps gardés par des vigiles civils mal ou pas armés, qui ne peuvent en aucun cas s'interposer face à un commando motivé, armé de kalachnikov. Même des soldats ou des policiers en armes, pris par surprise, ne sauraient à coup sûr les arrêter devant l'entrée.
"Ce genre de cible molle est impossible à protéger dans toutes les villes africaines", ajoute Michael Shurkin. "La seule solution à long terme est de continuer à travailler avec les forces locales, pour qu'elles le fassent. C'est ce que la France et les Etats-Unis font, cela doit être amélioré. De toutes façons, combien la France pourrait ajouter de soldats à l'opération Barkhane? Zéro. Et même si elle pouvait en envoyer 10.000 de plus, ça ne changerait rien".